lundi 4 octobre 2021

"Un vrai roman, Mémoires"

 Un bulletin scolaire qualifiait Philippe Sollers ainsi : "d'esprit frondeur. Passe son temps sur les rebords des fenêtres à faire le chimpanzé pour amuser les filles". Cette sentence justifiée réjouissait notre écrivain, à la réputation sulfureuse dans le milieu des lettres françaises. Je viens de terminer un de ses ouvrages, "Un vrai roman, Mémoires", publié en 2007 et disponible en Folio. Cet écrivain considère sa vie comme un vrai roman. La fiction et le réel fusionnent allégrement : "Toute ma vie, on m'a reproché d'écrire des romans qui n'étaient pas de vrais romans. En voici enfin un. Mais c'est de votre existence qu'il s'agit, me dira-t-on. Sans doute, mais où est la différence ?". Sollers est un pseudonyme (soleil en latin) et se cache sous ce masque, Philippe Joyaux, né en 1936 à Bordeaux. Son père, issu de la bourgeoisie locale, possédait une grande entreprise d'ustensiles ménagers. L'écrivain raconte l'histoire de sa famille avec deux frères (dont son père) mariés avec les deux sœurs, vivant dans des maisons similaires, situées dans un grand parc. L'atmosphère semble rétrécie pour notre écrivain dans cette tribu élargie : "Je me souviens de mon enfance à Bordeaux, de la formation lente, inexplicable, constante d'un silence de fond".  Dès sa jeunesse, il comprend qu'il ne veut pas de cette existence réglée, conforme et étouffante : "Impossible. C'est décidé, je ne ferai rien. En réalité, je m'en rends compte aujourd'hui : je n'ai jamais travaillé. Ecrire, lire, et puis, encore écrire et lire ce qu'on veut, s'occuper de pensée, de poésie, de littérature n'est pas travailler". Philippe Sollers se raconte enfant, adolescent, sa première aventure sexuelle avec une nounou espagnole. Il évitera la Guerre d'Algérie en se faisant passer pour fou. Le narrateur se jette dans les bras de la littérature avec son premier roman, "Une curieuse solitude", publié en 1958. Il est reconnu par Mauriac en particulier et s'annonce pour lui un chemin pavé de succès littéraires. En évoquant sa "carrière" d'écrivain, il livre aussi toutes ses admirations "spirituelles" : Bach, Nietzsche, Casanova, Mozart. Sa vie intime amoureuse est dévoilée avec les deux femmes les plus importantes de sa vie : l'écrivaine belge, Dominique Rolin, rencontrée quand il avait 22 ans alors qu'elle avait 46 ans. Leur amour secret se cachera à Venise, ville fétiche pour ces deux amants. Car, il se marie avec Julia Kristeva, une éminente psychanalyste venue de Bulgarie pour parachever ses études à Paris. Sa vie littéraire est largement décrite avec la création de la revue  d'avant-garde, "Tel Quel", ses romans et ses essais, ses rapports amicaux avec certains écrivains et ses relations tumultueuses avec ses nombreux détracteurs. Ses positions politiques sont décryptées avec sincérité : son maoïsme naïf, son soutien au pape expliqué par le décorum de la religion catholique. Ses contradictions comme ses adhésions lui appartiennent et son tempérament "libertaire" le protège de tout sectarisme et de tout dogmatisme. Ce texte foisonnant, désordonné, ironique ressemble à une bouteille de champagne qui pétille sans cesse. Evidemment, il vaut mieux avoir lu quelques romans de Philippe Sollers pour apprécier cette autobiographie iconoclaste. Je laisse la parole à cet écrivain inclassable et devenu aujourd'hui un contemporain classique : "Je n'ai rien à cacher, rien à me reprocher, rien dont je doive m'excuser ou rougir, aucun regret, aucune repentir, aucune bassesse". Il représente à mes yeux un homme du XVIII un peu égaré au XXe siècle, un Diderot espiègle et ironique.. Son "vrai roman", sa vraie vie, et pour ses lecteurs et ses lectrices fidèles, une vrai bonheur de lecture.