samedi 24 août 2019

"La salle de bal"

Anna Hope, jeune espoir de la littérature anglaise, avait déjà convaincu son public avec un très bon premier roman, "Le Chagrin des vivants" qui évoquait la guerre de 14-18 à travers trois portraits de femmes : une mère, une fiancée et une sœur ayant perdu un fils, un compagnon et un frère. L'écrivaine analysait avec une finesse toute psychologique le chagrin profond et irrémédiable des trois héroïnes. Avec ce deuxième livre, "La salle de bal", publié en 2019 dans la collection Folio, elle confirme son talent d'écriture. Lors de l'hiver 1911, l'asile de Sharston accueille une nouvelle pensionnaire, Ella, une ouvrière de la filature, car elle a brisé une fenêtre dans l'usine. Son geste de colère est assimilé à un coup de folie et voilà notre personnage enfermée dans une institution très organisée. Des centaines d'hommes et de femmes travaillent et vivent séparément. Les hommes cultivent la terre et les femmes s'occupent des tâches ménagères à l'intérieur des bâtiments. Un seul lieu devient commun chaque vendredi soir : une somptueuse salle de bal. Deux autres pensionnaires vont côtoyer Ella : John, un Irlandais taciturne et Clem, une jeune fille rebelle. Un docteur sinistre, nommé Fuller, observe les patients lors du bal car il dirige l'orchestre. Cet homme caresse un rêve : se débarrasser des cas impossibles par l'eugénisme, un concept aberrant qui voulait améliorer l'espèce humaine en sélectionnant les races supérieures et en éliminant les indigents, les aliénés, les handicapés. Les nazis ont élaboré et mis ce programme en place dès leur arrivée au pouvoir. Même le grand Winston Churchill s'intéressait à ce projet… Ella remarque John et après un bal, la jeune femme reçoit une première lettre. Clem l'aide en lui lisant ce courrier car Ella est analphabète comme beaucoup de femmes à cette époque. Dans ce milieu chaotique où malades mentaux, réfractaires, inadaptés sociaux se côtoient sans se mélanger, où les gardiens n'ont aucune pitié pour ces hommes et ces femmes en souffrance, l'amour peut encore naître entre des patients. La relation amoureuse démarre avec les mots simples et poétiques de John et Ella lui répond avec la main de Clem qui compose et écrit les réponses. Mais, le docteur Fuller commence à déraper en observant ce lien d'amour, tellement il est jaloux de voir naître l'inadmissible pour lui. Cet asile modèle, selon les médecins, dispensait du travail, des soins et d'une soirée de bal. Un rêve pour ces pauvres malades et un scandale historique en ce début du XXe siècle. L'écrivaine dénonce ces conditions de vie ignobles en s'attachant à décrire les destins broyés de ces trois personnages. Ella va être libérée sans retrouver son John qui réussira à s'enfuir des mains criminelles du docteur eugéniste et Clem se suicide pour ne pas vivre un mariage forcé, organisé par son père. Anna Hope a dédié ce roman, sombre et lumineux à la fois, à son arrière-arrière grand-père interné dans un établissement similaire. Réalité historique avérée, fresque romanesque, personnages attachants, très bonne traduction d'Elodie Leplat, ce roman noir s'éclaire souvent avec des touches poétiques sur la nature environnante et sur la bonté innocente des  trois personnages contrebalançant la folie mégalomaniaque d'un soignant taré. Un très bon roman, anglais, évidemment…