lundi 14 février 2011

Quel style !

j'ai terminé le prix Médicis 2010, je veux parler de Maylis de Kerangal et de son roman "Naissance d'un pont". C'est l'histoire d'un chantier gigantesque, une histoire d'hommes, écrite par une femme. Je regrette que les professeurs de français ne donnent plus de dictées (quel dommage...) aux collégiens et aux lycéens car il suffirait que notre ministre offre à chacun des enseignants ce magnifique traité de style avec des mots techniques pointus, des phrases très longues, un vocabulaire d'une richesse rare. Les descriptions de paysages et des atmosphères, l'étude socio-spatiale d'une communauté humaine au travail entraînent l'adhésion du lecteur. Ce travail harassant et dangeureux, celui de la construction titanesque d'un pont dans un pays imaginaire de l'Amérique du Sud, donne le vertige. L'écrivain a glissé dans son livre quelques personnages qui donnent de la chair au texte : le chef du chantier, la responsable du béton, quelques ouvriers. Tous éprouvent une solitude poignante malgré la vie en commun. Ils sont tous obsédés par la maîtrise de la nature, avec tous les dangers qu'ils doivent éviter. La ville en question se nomme "Coca" : "Quand vient la nuit sur le territoire, Coca se précise. Le noir lui est propice, il l'affole, la chauffe, la livre crue et brutale, les contours acérés quand l'intérieur se trouble de milliers de lueurs rivales, il la divulgue orange, effervescente, pastille de vitamine C jetée dans un verre d'eau trouble, bocal de fioul posé dans une cuvette, distributeur d'oxygène, de speed et de lumière."
Ce roman original dégage une énergie communicative. Ce style d'écrivain-bâtisseur à l'image du chantier nous offre des descriptions chatoyantes de ce lieu mythique. Ce pont en construction suspendu au dessus d'un fleuve, pourrait s'adresser à de futurs ingénieurs en bâtiment... Quelle erreur ! Lisez donc ce roman en vous laissant porter par le rythme des phrases, la richesse des images, la symbolique de l'histoire... Maylis de Kerangal a écrit une oeuvre que l'on pourrait qualifier de "masculine" tellement le sujet concerne une activité plutôt "du côté des hommes". Quelle fierté que ce soit une femme qui a imaginé un tel monde ! J'ai rarement lu un livre avec un tel souffle, et j'attends le suivant avec impatience. Je vais aussi lire ses oeuvres précédentes : "Je marche sous un ciel de traîne", "La vie voyageuse", "Corniche Kennedy".
Je me réjouis de savoir qu'une écrivaine est née...