mardi 12 janvier 2021

"East Village Blues"

 Chantal Thomas, écrivaine discrète et élégante, s'est souvenue de New York dans les années 70. Elle ne cesse d'exploiter et d'explorer à notre grand bonheur sa mémoire comme un champ fertile en émotions, sensations, pulsations. Ce texte, paru en 2019, est sorti dans le Livre de Poche que j'ai emporté dans mon sac. Je l'ai lu dans l'avion qui me menait à Biarritz et je retrouvais dans ces mots la même apesanteur, la même légèreté d'être. Suspendue dans les airs comme dans les mots de Chantal Thomas. Je connais sa passion des cafés mythiques, des voyages atypiques, des histoires décalées. Elle a aussi évoqué la liberté, la souffrance, Casanova, Sade, etc. Son récit magnifique, "Souvenirs de la marée basse", racontait sa mère, son éternelle fuite dans la natation et sa fugue parentale. Dans "East Village Blues", la narratrice entame "une méditation sur le temps perdu et sur la manière dont on est constitué par ce temps perdu". Elle n'exprime aucune nostalgie sur ces années 70, années de sa jeunesse vagabonde où elle part à la découverte de cette cité tentaculaire. Elle loge chez une amie d'amie, Cynthia, qui l'introduit dans les milieux féministes et dans les fêtes spectaculaires qui se déroulaient dans les appartements. Cette époque festive reflète une certaine attitude dans la vie, composée de désinvolture, de libertinage, où l'alcool et la drogue stimulaient l'art, la création littéraire, la poésie, le militantisme politique. Des spectres célèbres traversent le récit comme Andy Warhol, Kerouac, Ginsberg, Burroughs. Des anecdotes sulfureuses tapissent en catimini ce texte d'atmosphère. Chantal Thomas utilise son style feutré, coulant, rêveur pour nous plonger dans un monde disparu mais pourtant retenu dans les filets d'une mémoire impressionniste. Quand elle revient dans ce quartier en 2017, les traces de toute cette vie d'artistes marginaux se révèlent sur quelques graffitis comme à Pompéi... Les bars, les fêtes, les peurs, les amours, tout est décrit avec une intensité qui provoque, malgré tout, une nostalgie douce et mélancolique. Cette époque des années 70 à New York  n'est jamais aussi bien décrite que par une jeune étudiante venue de France pour découvrir un monde américain audacieux, avant-gardiste et libertaire. Un ouvrage indispensable pour les amoureux de New York, de la contre-culture et d'une certaine folie urbaine.