lundi 13 février 2023

"Inconsolable"

 Adèle Van Reth a longtemps animé l'émission de France Culture, "Les Chemins de la Philosophie"  qui reste encore un "must" pour les amateurs de cette discipline rigoureuse. Je l'ai beaucoup écoutée pendant des heures sur le monde de la philosophie en essayant de mettre à la portée des "écoutants" la pensée grecque, la philosophie allemande et tant d'autres courants. Je me souviens encore de Jankélévitch et de Clément Rosset dans ses entretiens avec des spécialistes universitaires. La journaliste avait écrit un premier ouvrage sur sa grossesse : "La vie ordinaire", un récit autobiographique étonnant, paru récemment dans la collection Folio. Son deuxième livre, "Inconsolable", paru chez Gallimard en janvier, évoque la mort de son père qu'elle adorait, un père cultivé, archiviste de métier et curieux de tout. Atteint d'une grave maladie, il est parti trop tôt à l'âge de 65 ans. Cette disparition la met dans un état de désolation totale, de chagrin insurmontable : "Qu'est-ce que ça change, vraiment, de perdre son père ? Sans croyance en un au-delà, que signifie l'ultime disparition de ce qui est ? Rien ne change, et pourtant, le monde n'est plus le même. Il faut s'habituer à vivre dans un monde sans lui. La vie continue, les matins se succèdent, les enfants grandissent, un nouveau chat rejoint la maison, et après la grande tristesse c'est la peur de l'oubli qui survient". Son récit de deuil explore le sentiment d'une certaine déréliction,  de cet effet sidérant de la perte d'un être cher. Elle raconte avec pudeur la maladie et l'hospitalisation de son père, loin de Paris. Elle sait qu'il va mourir et devant cette finitude prévisible, elle s'appuie sur la philosophie en analysant la notion "d'inconsolable". Elle écrit tout en déclarant que les mots ne suffisent plus à la consoler. Elle rappelle que la perte irréparable de son père la rend "inconsolable" : "L'inconsolable est notre condition d'êtres mortels" et désigne "le fait que rien ne dure, et que si de l'éphémère nous pouvons nous accommoder, de la fin définitive, jamais". Pour elle, pas de consolation dans la religion, ni dans une spiritualité quelconque. Même les mots forment une trahison, une vacuité insupportable. De tous temps, la consolation est liée à la philosophie comme celle des Stoïciens et des Epicuriens. L'écrivaine philosophe évoque aussi sa vie quotidienne, son enfant à naître, son petit chat adopté, sa famille recomposée. Comment survivre et vivre après la mort d'un parent, un père aimé comme celui d'Adèle Van Reth ? Le chagrin écrase, le chagrin étouffe jusqu'au moment où la vie reprend ses couleurs : "Tu verras combien la tristesse terrasse, mais comme elle déchire le voile qui recouvre le réel aussi. Tu verras la force qu'elle donne" . Une certaine forme de tristesse s'infiltre en permanence chez l'endeuillé et le laisse à tout jamais "inconsolable". Face à ce manque intolérable et irréversible, la philosophe s'ouvre au temps présent et futur à partir de la perte. Inconsolable face à la séparation irrémédiable, Adèle Van Reth pense que "la tristesse n'est pas un obstacle au goût de la vie".  Ce journal de deuil, très bien écrit, se lit avec intérêt malgré un sujet grave.