lundi 12 juillet 2021

"Mémoires d'une jeune fille rangée", 1

 J'ai enfin ouvert ma Pléiade de Simone de Beauvoir, un monument de la littérature française. Ces Mémoires m'attendaient tranquillement dans ma bibliothèque et l'été est une période favorable à un retour aux œuvres fondamentales de notre patrimoine culturel. Cette expérience de relecture (plus de quarante après) peut décevoir ou au contraire, provoquer un deuxième choc admiratif. La jeune fille que j'étais, étudiante en lettres, découvrait avec une avidité curieuse l'autobiographie de Simone de Beauvoir et au fil des publications, ses romans et ses essais. J'avais abandonné "Simone" avec ingratitude car j'adhère à son féminisme universaliste depuis des décennies. Elle fait partie de mon Panthéon personnel même si j'ai une préférence pour la merveilleuse Marguerite Yourcenar dans son approche vertigineuse du Temps. Comment la relire après des décennies qui me séparent de ma première lecture ? En ouvrant la première page de la Pléiade, j'ai perdu mes années cumulées et je me suis retrouvée dans ma tête de trentenaire avec plus d'attention, plus de concentration, plus de maturité. Une expérience riche d'émotions et d'interrogations. Je ne lisais pas seulement le récit de la jeunesse de Simone de Beauvoir qui symbolise pour moi un destin de femme libre, libérée, indépendante. J'avais devant mes yeux un aspect de l'Histoire de France, de notre société au début du XXe siècle à travers les yeux d'une femme géniale. Un modèle pour des générations de filles. Même si elle a choisi un compagnon de vie en la personne de Jean-Paul Sartre, elle a mené son destin en toute indépendance amoureuse et économique. Son autobiographie démarre en 1958 avec les  "Mémoires d'une jeune fille rangée". Pourquoi évoque-t-elle ce terme de "rangée" ? Née en 1908 à Paris dans une famille de bourgeois aisés, son destin semble tout tracé : devenir une épouse avec enfants au service d'un mari au travail qui prenait tout en charge. Ce rôle traditionnel ne l'enthousiasme guère : "Chaque jour, le déjeuner, le dîner ; Chaque jour, la vaisselle ; ces heures indéfiniment recommencées et qui ne mènent nulle part : vivrais-je ainsi ?" . Pour elle, pas de dot pour un mariage arrangé car son père a perdu la fortune familiale dans des placements hasardeux. Il lui faut donc travailler !  Issue d'un milieu conventionnel, Simone s'est émancipée de ce carcan en pratiquant tout simplement le grand art de la lecture libératrice. Car, elle adore lire très tôt : "Les filles du docteur March", "Le moulin sur la Floss", "Le Grand Meaulnes" qu'elle cite en particulier. Naît chez elle à quinze ans sa vocation d'écrivain, un projet d'avenir qui lui donnera une force de vivre inaltérable. A six ans, elle entre au Cours Désir, un institut catholique privé pour les filles de bonne famille, qu'elle quittera après le baccalauréat. Elle a vécu une enfance très pieuse entre messes et confessions, sa mère et ses professeurs étant très pratiquants. Ces pages qu'elle consacre à la culture religieuse décrivent une France catholique des années 1930. Sa mère surveille les fréquentations de sa fille, lit son courrier, surveille ses lectures, lui impose des règles de vie strictes. Comment s'est-elle émancipée de cette influence ? Son père, voltairien, lui donne les clés pour sa formation intellectuelle et à 13 ans, elle perd la foi. Elle aime plus que tout "penser et écrire" et les rencontres qu'elle fera dans son adolescence finiront par transformer son destin. (La suite, demain)