mardi 31 mai 2011

"Les privilèges"

L'écrivain américain Jonathan Dee a écrit un très bon roman remarqué par la critique. Le titre encore une fois est choisi à merveille car il raconte l'ascension fulgurante d'un trader à New York qui devient milliardaire en jouant à la Bourse et en plaçant son argent dans un paradis fiscal. Il ressemble à cet escroc du siècle, Madoff, qui a ruiné des milliers d'épargnants. On vit sur la planète des "très riches" américains qui, pour se donner une bonne conscience, passent leur vie sociale dans des fondations et des organisations caritatives. Ce portrait d'un couple soudé par les privilèges que leur procure l'argent ressemble à un conte de fées moderne et aseptisé. Tout leur réussit : amour, santé, argent, relations sociales. Adam, le trader audacieux est vraiment fou amoureux de sa femme Cynthia. Ils ont deux beaux enfants mais qui déraillent un peu dans leur jeunesse dorée. April, leur fille aînée dérivera du côté des fêtards drogués et leur fils Jonas essaiera de se trouver un voie dans le monde de l'art brut. Adam et sa femme, face aux égarements de leurs progénitures, feront en sorte de les protéger et de les ramener dans le cercle fermé de leur micro-société des "ultra-riches". Cette fresque familiale et sociale sur les privilèges renseigne le lecteur sur le mode de vie d'Adam et de Cynthia, symboles d'une classe sociale inaccessible et ultra-minoritaire. Un article dans la Quinzaine littéraire du 1er mai explique la grande portée du roman. Je relève cet extrait : "Tout s'achète : le loisir, le silence lors d'une sale affaire, l'art et la bonne conscience, tout, même l'exclusivité d'un deuil". L'argent tient lieu d'idéal, d'objectif, de raison de vivre. Lire ce roman, c'est se retrouver sur une autre planète, celle des "pauvres" milliardaires, pitoyables à mes yeux... Un écrivain américain à suivre dorénavant et qui va compter dans le panorama littéraire anglo-saxon.

lundi 30 mai 2011

Dernier billet de Nancy Huston

Intitulé "Le chemin du merci", Nancy Huston annonce la fin de sa chronique dans le Monde ce lundi 30 mai. J'éprouve une admiration profonde pour Nancy Huston et je regretterai son billet qui donnait à ce mythique journal français si retenu et si prudent, un ton original, plein d'humour et de saveur, d'une sincérité totale et plaçant la littérature au coeur de la société. Son dernier billet porte sur la notion de gratitude envers la vie. Elle dénonce des postures post-modernes : la haine de la famille, le sarcasme, le cynisme, le désespoir de l'autonomie glaçante. Elle illustre ses propos en commentant des articles de presse. Pour conclure et nous envoyer un dernier message d'espoir et d'optimisme, elle cite une phrase de Peter Handke :" Faites votre chemin dans le vide... Ne vous laissez pas convaincre qu'il n'y a pas de beauté. Négligez les sceptiques loin de l'enfance... et n'ayez que mépris pour les persifleurs : soyez reconnaissants. La reconnaissance, c'est l'enthousiasme. La gratitude seule donne la vision du vaste monde." Nancy Huston nous livre son credo avec enthousiasme et une certaine ferveur. A l'heure des pessimistes, des cyniques, des "jemenfoustistes", des égoïstes et des privilégiés blasés, j'aime ce concept de gratitude et de défense de certaines valeurs démodées comme la fidélité, l'honnêteté, la simplicité, la générosité, la tolérance et le respect des femmes (enfin, on parle du machisme dans le monde politique !). Quel dommage que ce billet disparaisse du paysage journalistique... Nancy Huston va me manquer mais je peux toujours lire ces essais et ces romans et attendre son futur opus qui paraîtra dans l'année. La littérature est un "chemin du merci" aussi pour emprunter le titre du dernier billet.

vendredi 27 mai 2011

Rubrique cinéma

"We want sex equality", film anglais de Nigel Cole, sorti en 2010, vaut vraiment le détour. Encore des femmes en lutte... L'histoire se passe en 1968 dans une Angleterre du temps des Beatles... Des ouvrières de l'usine Ford décident de faire grève car elles estiment que leur travail de confection des housses de voiture est aussi qualifié que celui des hommes. Après des réunions sans suite, elles commencent à comprendre que le syndicat ne les soutiendra dans leur lutte pour l'égalité des salaires. S'engage alors une grève qui finit par paralyser le travail des ouvriers à la chaîne. On suit particulièrement une des ouvrières qui joue le rôle de leader. En plus de la lutte, on les voit vivre au quotidien dans leur famille respective. Elles finiront par rencontrer une femme ministre qui satisfera leurs revendications et finira par faire voter une loi sur l'égalité salariale. Ce film rend compte d'une injustice archaïque et ce droit à l'égalité salariale semble un combat d'arrière-garde alors qu'il est toujours actuel. On sort du film avec la conviction ancrée en soi de l'idéal féministe qui sera toujours pour moi une des causes les plus justes et les plus belles du monde. Un film optimiste, tonique, émouvant sur la force des femmes et de leurs combats pour une vie plus digne. J'ai remarqué que nous étions une petite dizaine de femmes à assister à la séance...

jeudi 26 mai 2011

Siri Hustvedt

Ce nom vous dit-il quelque chose ? Il est d'origine norvégienne mais Siri Hustvedt est une écrivaine américaine, compagne de Paul Auster, le génial. Ce couple mythique des lettres américaines (voir l'article du Nouvel Obs de ce jeudi 26 mai) a de quoi faire rêver les lecteurs amateurs de littérature américaine. On pense à Sartre et à Beauvoir, Aragon et Elsa Triolet... J'ai lu le dernier roman de Siri Hustvedt, "Un été sans les hommes". En plein coeur de l'actualité très franco-américaine, le mystère du comportement des hommes reste une donnée essentielle pour nombre de femmes. Dans le roman, le lecteur accompagne Mia, poétesse sans succès qui découvre l'infidélité de son Boris, neuroscientifique de renom, succombant au charme de sa collaboratrice, situation banale... Pour Mia, c'est la douche froide, la catastrophe. Trente ans de mariage aboutissent à ce dénouement pitoyable : Mia réagit très mal au début mais elle veut s'en sortir. Il faut compter sur l'art de Siri Hustvedt, son talent original et décapant. Ce livre est un pamphlet féministe, une défense illustrée des femmes humiliées, des femmes trahies, des femmes trompées. Le personnage de Mia pourrait servir de modèle tellement elle se bat pour re-coller les morceaux exploisés de son identité bafouée. Elle part rejoindre sa mère qui vieillit dans une maison de retraite, entourée de ses copines (moyenne d'âge 85 ans). Elle pilotera le cercle de lectrices de la maison de retraite et elle va aussi initier des jeunes filles à la poésie dans un atelier d'écriture. Elle s'occupera de sa jeune voisine, Lola, maltraitée par son idiot de mari. Le titre du roman, "un été sans hommes", résume parfaitement ces belles histoires de femmes, et la solidarité féminine qu'elle va vivre avec sa mère avec ses copines, sa fille, sa voisine, ses lycéennes, la remettra "d'aplomb" et lui permettra d'envisager un avenir possible pour son couple, car son mari finira par comprendre l'erreur de l'avoir trompée... Siri Hustvedt sait parler des femmes, des jeunes comme des très âgées, des trentenaires comme des petites filles. Livre attachant, livre décapant, livre tonique malgré des reflexions très lucides sur la comédie de la vie et sur les difficultés de l'amour, du couple et de la place des femmes dans la famille. Découvrez aussi les romans de Siri Hustvedt chez Actes Sud, tous aussi passionnants que ceux de son mari Paul Auster et peut-être plus sensibles et plus proches de nous, les lectrices à qui elle rend hommage dans son livre.

mardi 24 mai 2011

Quand j'étais normal

Quelquefois, en lisant bon nombre de romans écrits par des écrivains français, je regrette que le "social" ne soit pas assez décrypté, mentionné, décortiqué, exposé, présenté. C'est pour cette raison que je lis davantage de romans étrangers souvent anglo-saxons car la littérature doit évoquer le monde dans lequel on vit pour l'expliquer, le dénoncer, le louer, bref apporter un commentaire éclairant. J'ai fini ce matin un roman d'un écrivain français, Marc Weitzmann. Je connais peu cet écrivain mais il a un sacré talent pour restituer une atmosphère délétère de la société française. L'histoire se passe en 2003. La canicule sévit à Paris et le personnage principal, Gilbert Bratsky, travaille dans une agence de communication. Il aborde la question de l'antisémitisme à travers un personnage odieux, un copain de jeunesse, Didier Leroux qui a eu toujours un comportement limite. Vingt ans plus tard, Gilbert Bratsky le retrouve introduit dans la vie militante de ses parents qui n'ont jamais renoncé à leur idéal politique de justice. Pour les parents du narrateur, seule la culture peut sauver les individus mais Gilbert sent bien que le copain de jeunesse convoite ses parents, les parasite. Gilbert Bratsky se rend vite compte de ce rapt "symbolique" et de la haine que son ex-copain ressent contre les gens "normaux", ceux qui ont réussi à se bâtir une vie de citoyen "normal", honnête et intégré. Didier n'est que ressentiment, jalousie et violence. Il finira par avouer un meurtre gratuit pour se sentir exister. Gilbert mettra un terme à cette relation "dangereuse". Marc Weizmann décrit dans son roman la violence sociale et familiale, les rancoeurs des laissés pour compte, la brutalité des relations entre individus qui n'ont pas les mêmes intérêts dans la vie. Et cette chaleur moite circule dans le livre et nous donne des sueurs de malaise... Roman social, roman lucide, réaliste, à la "Zola" d'un XXIème siècle.

lundi 23 mai 2011

Alain Finkielkraut

Dans le "Monde des Livres" du vendredi 20 mai consacré aux Assises du roman à Lyon, j'ai remarqué un entretien entre Alain Finkielkraut et Jean Birnbaum, entretien sur la littérature et le parcours du philosophe. Quand il parle d'écrivains, il cite surtout Milan Kundera et son roman "La plaisanterie" et Albert Camus. Le concept de modération lui semble issu de cette lecture formatrice : modération et non compromission. Le roman apporterait cet esprit de modération,"c'est à dire la sagesse de l'incertitude, la distance à soi, l'ironie comme auto-ironie". Alain Finkielkraut cite aussi quelques écrivains d'aujourd'hui : Emmanuel Carrère, Pierre Michon, Michel Houellebecq, Yasmina Reza, Camille Laurens et Annie Ernaux. La littérature, dit-il, est un art de la nuance. Pour terminer son entretien, le journaliste lui pose cette question :
"S'en remettre à la littérature, c'est aussi confier son existence à quelques phrases. Quelle est la phrase qui rayonne le plus dans votre vie ?
Réponse : "Je me récite souvent ces vers de La Fontaine dans l'espoir fragile de pouvoir en être digne : J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique, la ville et la campagne, enfin tout ; il n'est rien qui me soit souverain bien jusqu'au sombre plaisir d'un coeur mélancolique."
Belle réponse, lumineuse réponse...

vendredi 20 mai 2011

Colères

Ce titre convient très bien au roman de Lionel Duroy. Avant de lire "Colères", il vaut mieux découvrir son "autobiographie" romancée dont j'ai parlé en 2010 dans mon blog. "Colères" constitue une suite plus courte, plus ramassée, plus concentrée. Lionel Duroy ou la difficulté d'avoir été un fils (voir le roman "Le chagrin"), d'être un mari deux fois abandonné, et d'être un père en difficulté. Lionel Duroy, le "Marcel" du roman ne cesse de faire le procès de la "cellule familiale", de la famille, ou de l'image de la famille. Il exploite sa vie d'homme et la restitue dans la littérature. Son style direct, simple et efficace atteint le lecteur comme une flèche, sa cible. Je cite un des passages du roman : "Pourquoi les choses se délitent-elles au moment justement où nous pensons les tenir ? Nous passons des mois à écrire que nous avons compris, à sauver de l'oubli ceux que nous avons le plus aimés, à régler leurs compte à ceux que nous haïssons, non pour eux-mêmes car ils sont morts la plupart du temps, mais pour les sentiments qu'ils ont incarnés que nous ne voulons plus voir, jamais, et tandis que nous menons à bien cette entreprise colossale, toute notre vie présente se fissure et puis s'effondre." La relation père-fils est décortiquée avec humour et dérision. Son fils a fui à New York en lui laissant des dettes d'argent. Son fils veut ainsi se venger de son père pour faire "payer" son premier divorce et le livre où il dénonce la folie de sa mère et la vie d'escroc de son père. Le roman de Lionel Duroy est un réquisitoire contre la famille, cellule vivante mais fragile, où l'on peut vivre heureux et malheureux, amoureux de sa femme et ne pouvant pas la toucher (la relation avec sa deuxième femme finira par une séparation), fier de ses filles et fou de rage contre son fils. On ne s'ennuie pas chez Lionel Duroy : c'est une thérapie familiale en permanence qui se joue devant nous. Un bon roman plein de colères, d'humour et de vie...

jeudi 19 mai 2011

Eloge de la marche

Je lis chaque semaine la chronique de Jean Birnbaum dans le Monde Magazine où il parle de philosophie. Daté du 14 mai, le journaliste philosophe évoque la marche et la pensée. Penser chez soi, dans son bureau, dans sa tour d'ivoire ne suffit pas. Il faut se mettre en mouvement pour que la pensée se développe, s'affirme et s'inscrive sur le papier. Il nous conseille de lire l'ouvrage de Frédéric Gros, "Marcher. Une philosophie", paru en poche dans la collection "Champs" chez Flammarion. Beaucoup d'écrivains et de philosophes s'adonnent à la balade pédestre, à la randonnée tranquille ou à la flânerie urbaine. L'éloge de la marche devient pour Frédéric Gros une conquête libératrice, "la marche, on n'a rien trouvé de mieux pour aller plus lentement". Cet article sur la marche m'a donné envie de lire cet ouvrage et je préfère pour ma part marcher seule dans un paysage où la présence de l'eau me semble indispensable. Je crains les performances techniques de certains randonneurs qui ne pensent qu'à leur exploit physique. Pensent-ils à leurs lectures quand ils arpentent les chemins escarpés ? La marche est une lecture du paysage et combien de fois, alors que je marchais à mon rythme de "retraitée", j'ai observé une quantité de micro-événements : un gros poisson gobant une mouche, des tortues cistudes se prélassant au soleil, des mouettes rieuses dans le ciel, des cygnes orgueilleux, des canards coquins et amoureux, des poules d'eau noires et solitaires, tout un spectacle naturel qui nous fait du bien et qui nous rafraîchit l'esprit. Le lac du Bourget où je vais souvent me balader devient pour moi un livre illustré de mille couleurs, sonorisé de silence et de bruits amortis par les arbres. Marcher renforce mes idées et me prépare à la lecture. En plus, il fait très beau en ce moment... Profitons-en !

mardi 17 mai 2011

Quatre jours en mars

Le dernier roman de Jens Christian Grondahl, "Quatre jours en mars", édité chez Gallimard a tenu toutes ses promesses. Le temps du roman se passe en quatre jours, du jeudi au dimanche. Ingrid Dreyer est architecte. Divorcée, elle consacre son temps à son travail. Or son fils Jonas va commettre des actes de violence inexplicables. A partir de cette crise majeure, elle va remonter le fil du temps pour comprendre son présent chaotique sur le plan familial. Elle s'interroge sur la liaison qu'elle entretient avec son amant, qui a vingt de plus qu'elle. Pendant huit ans, elle l'attend, mais quand elle lui demandera de quitter sa femme, elle comprendra que ce sera inutile. Et Ingrid se retrouve seule face à elle-même. La relation grand-mère-mère-fille court tout au long du récit, un récit qui promène le lecteur dans le passé reconstitué de la grand-mère d'Ingrid, Ida, poètesse danoise et sa mère Berthe, journaliste littéraire. Les tensions entre elles dominent et Ingrid, pendant ces quatre jours, établit un bilan de sa vie pour essayer d'appréhender une vérité qui au fond sera difficile à percevoir. La vie reprendra son cours après sa rupture avec son amant. Ses souvenirs sur son enfance et sa jeunesse composent la trame du roman. L'éducation ratée de son fils provoque cette remise en question. Ingrid Dreyer se demande si son destin de femme sera semblable à celui de sa mère et de sa grand-mère qui vivent dans une solitude assumée. Je ne vous livre pas la fin du roman qui se termine sur une note d'espoir. Jens Christian Grondahl est un écrivain danois "proustien" et proche des thèmes de Patrick Modiano. Ce très beau portrait de femme libre touche le lecteur. Lisez ses livres précédents, vous ne regretterez pas...

lundi 16 mai 2011

Bon anniversaire, Monsieur Nadeau

Maurice Nadeau, directeur de la revue "La Quinzaine littéraire" vient de fêter ses cent ans. Je veux témoigner de ma reconnaissance envers ce grand Monsieur des Lettres françaises et étrangères. J'avais lu ses mémoires "Grâces leur soient rendues" il y a une dizaine d'années où il raconte ses passions littéraires et ses rencontres à travers le siècle. J'avais déjà trouvé ce livre très important pour comprendre le rôle de la littérature dans sa vie d'éditeur, de critique et de directeur de journal. Il faut lire aussi le dernier ouvrage de Maurice Nadeau, "Le chemin de la vie, entretiens avec Laure Adler" aux éditions Verdier, paru aujourd'hui. Le dernier numéro de la Quinzaine littéraire lui consacre un dossier-hommage. Ma passion de la littérature a pris naissance très tôt vers l'âge de douze ans quand j'ai commencé à lire vraiment, étant allitée pendant trois mois. Les livres m'ont sauvé la vie de l'ennui. Je n'ai plus quitté le monde de la fiction et de la littérature depuis 1962 ! Pour choisir des livres, pour connaître les écrivains, il faut des "ressources" et Maurice Nadeau à travers sa "Quizaine littéraire" m'a servie de guide ,de balise, de phare littéraire. Mon exploration continue de la planète littérature provient de cette source unique en France. La revue est remarquable avec son format particulier, la qualité du papier, son graphisme sobre et élégant, sa parution bimensuelle. Un ami de Maurice Nadeau, Enzo Traverso, écrit dans un hommage :"Aujourd'hui, il a cent ans. il a traversé, avec élégance et noblesse un siècle de feu et de sang, et son esprit critique en est sorti aiguisé. Son amour des livres, sur lequel il a bâti son eouvre, est un amour du monde et des hommes : c'est là le secret de sa jeunesse." Les différents articles qui composent cet hommage dans ce numéro 1037 du 1er mai au 15 mai sont vraiment très intéressants et nous confirment la passion de Maurice Nadeau pour la littérature, pour les écrivains et pour la découverte de talents originaux. Merci donc à ce grand, très grand amoureux des livres et de la vie et bon anniversaire !

vendredi 13 mai 2011

La littérature sans fard

Je suis à la trace cette grande, très grande femme écrivain et j'attends toujours son prochain roman avec impatience. Je lis son billet dans le Monde et chaque fois, Nancy Huston frappe juste, frappe vrai, frappe authentique. Daté du dimanche 8 MAI, Nancy Huston nous raconte dans sa chronique en dernière page du journal, ses rencontres avec de vrais lecteurs, loin des amphis universitaires ou des colloques entre spécialistes de littérature. Dans une prison ou dans un quartier populaire, elle nous montre l'écart qui existe entre des lecteurs novices, simples qui épousent sans problème la vie des personnages et les événements du livre et des lecteurs blasés qui mettent trop de distance en le roman et eux. Elle dénonce le manque de chair de la critique littéraire qui ressemble plus à de l'analyse linguistique : métaphore, allitération, prolepse, etc. Ce langage adopté par le milieu universitaire ne convient pas du tout à Nancy Huston. Le fossé culturel entre des "gens de peu" et des super-cultureux n'est pas à l'avantage des seconds. Je ne résiste pas à vous citer le dernier paragraphe du billet : "O littérature ! Littérature qui sauve un peu la vie ! Qui permet de vivre mille vies et pas seulement la sienne ! D'apprendre le monde par le coeur, par le corps, en se glissant dans la peau et la pensée des êtres différents de nous ! Dostoïevski nous permettant d'écouter des bagnards, O'Connor nous plongeant dans le sub-conscient de grand pervers, Gary nous administrant l'antidote à tous les héroïsmes ! Littérature liberté ! Bol d'air ! De grâce, reviens !"
Quel bel hommage de la place de la littérature dans nos vies de lecteurs...

jeudi 12 mai 2011

Cette vie ou une autre

Je viens de terminer un bon roman de Dan Chaon, dans la collection "Terres d'Amérique" chez Albin Michel. Ce roman possède les qualités d'un bon policier psychologique. L'histoire se partage en trois destins. Lucy a quitté sa famille pour suivre son professeur, subjuguée par son charisme et son mystère. Miles recherche son jumeau disparu depuis dix ans, et responsable de la mort de ses parents, ce jumeau à problèmes permanents. Le dernier personnage s'appelle Ryan, élevé par sa tante et en quête de son vrai père. Leur destin respectif finira par se rejoindre mais Dan Chaon prend le temps de nous décrire le troublant phénomène de l'identité individuelle, une identité floue et trompeuse. Chaque personnage est ainsi à la recherche de sa vie, une vie qu'il n'arrive plus à contrôler. Le rôle d'Internet intervient dans leur destin quand chacun essaie de masquer leur vrai moi pour endosser des identités multiples qui leur permet de frauder. Le lecteur se perd parfois dans cette composition en tryptique mais on finit par s'attacher à ces trois marginaux qui ont tant de mal à survivre dans un milieu normalisé... Une atmosphère sombre donne au roman cette allure de "polar" américain. L'histoire se terminera mal, la rédemption ne verra pas le jour pour chacun d'entre eux. Seule, Lucy échappera de justesse aux tueurs russes. Ryan finira pas perdre son vrai père et Miles, son frère. On aurait aimé suivre ces trois personnages dans une suite romanesque... Comme dans une série américaine...
Un dernier mot sur le roman extrait du résumé du site Decître : "Dan Chaon, finaliste du National Book Award, établit des correspondances subtiles entre ces trajectoires, transformant peu à peu son récit en un véritable suspense psychologique, à la croisée des univers de David Lynch et de Don DeLillo. Une démonstration de virtuosité et d'audace littéraires sur l'érosion de l'identité dans un monde de plus en plus virtuel."

mardi 10 mai 2011

10 Mai 1981-10 Mai 2011

Cela fait trente ans : en 1981, le 10 mai, explosion de joie pour le "peuple de gauche", anniversaire nostalgique pour penser à François Mitterrand et la victoire de la gauche unie. J'avais moi-même trente ans et j'ai célébré chez des amis cet événement extraordinaire tellement on se sentait exclu du pouvoir politique. La contestation, l'opposition, les manifestations, les pétitions, c'était la gauche, de l'extrême à la social-démocrate. Et, on gagna la présidentielle : un choc culturel avant tout tellement on avait pris l'habitude de vivre avec la droite gaullienne, pompidolienne et giscardienne. Maintenant, qu'est-ce qu'il reste de cet héritage de gauche pour moi : l'abolition de la peine de mort, la retraite à 60 ans (je suis partie à temps !), la cinquième semaine de congé, la dépénalisation de l'homosexualité, et tant de réformes sociales après avec Lionel Jospin comme la parité homme-femme, les 35 heures... Le quotidien Libération met dans sa une un hommage à cet esprit de la gauche victorieuse... Ce que je retiens aussi en ma qualité d'ex-libraire et d'ex-bibliothécaire : le prix unique du livre qui a permis de sauver des centaines de librairies en France et le développement de la lecture publique en France. Une des grandes révolutions silencieuses de la gauche, c'est donc la construction de nouvelles bibliothèques dans toutes les communes de France pendant les deux mandats de Mitterrand dont on parle très peu. J'étais concernée en premier lieu car j'ai participé à la construction de trois bibliothèques et ma fonction de bibliothécaire est née d'un décret dans les années 80 quand l'Etat aidait les communes à financer des postes pendant deux ans à hauteur de 50 %. Merci à Jack Lang ! La culture devenait une priorité pour le gouvernement. C'était la belle époque pour le livre et l'écrit ! Mitterrand a laissé sa marque aussi, une marque "pharaonique" en décidant la construction de la Bibliothèque Nationale de France et je me souviens de son air gourmand et heureux quand il annonca cette nouvelle un 14 juillet. Pour lui, il était évident que lire et se cultiver étaient des actes émancipateurs et civilisateurs. J'ai visité la BNF avec le souvenir d'un Président qui aimait les arbres comme il aimait les livres... Dans sa forêt landaise comme dans les librairies qu'il fréquentait souvent, je l'imaginais apaisé comme Ulysse retrouvant Pénélope à Ithaque... Trente ans après, quel est l'homme ou la femme politique qui participerait à un Apostrophes ? Qui parlerait de ces écrivains préféres sans se ridiculiser ? Tout le monde s'en moque aujourd'hui... Nostalgie d'une époque civilisée où la littérature était appréciée par le plus grand de nos représentants républicains. Respect et gratitude pour ma part : il ne faut pas oublier les décisions politiques de l'ère Mitterrand qui ont changé la vie de millions de citoyens...

lundi 9 mai 2011

Solaire

J'ai été un peu déçue par le dernier roman de Ian McEwan qui n'a pas la force de son "Samedi", (ceux qui ne l'ont pas encore lu doivent absolument l'acquérir en poche Folio). Le thème du "solaire" est abordé en la personne d'un prix Nobel de physique, Michael Beard, la cinquantaine bien avancée. Tout dans cet homme, pourtant reconnu par la société scientifique, se révèle pitoyable : ses relations professionnelles, ses cinq mariages ratés, ses infididélités pathologiques, ses magouilles sur le solaire. Il a pillé les travaux de l'amant de sa femme et a maquillé un accident en meurtre. Il baigne dans le mensonge, l'hypocrisie sociale et le cynisme. Ian McEwan dresse un portrait sans concession d'un scientifique se reposant sur sa gloire ancienne et profitant totalement du système. Il surfe sur la vague très juteuse du développement durable et rejoint la cohorte de tous les imposteurs professionnels qui polluent sans vergogne le monde de la recherche. Une expédition au pôle Nord montre le caractère grotesque de ce scientifique fantoche. Le lecteur se rejouit des mésaventures de Beard. Le milieu de l'écologie environnementale fait l'objet d'une charge de Ian McEwan, satire sociale teintée de pessimisme sur la comédie humaine. Le solaire va-il devenir le dernier refuge des usurpateurs scientifiques ? Ce roman pose la question de l'attitude de certains membres de la communauté scientifique dans laquelle le "ccpier-coller" devient un acte banalisé. Ian McEwan saisit des thèmes sociétaux qui mêlent le tragi-comique et la satire sociale. Cet écrivain anglais ous offre toujours des romans forts, profonds et marquants. Humour, critique sociale, personnages cyniques et grotesques, ce cocktail décapant venu de Grande-Bretagne mérite évidemment le détour...

vendredi 6 mai 2011

"Rosa candida", un souffle frais d'Islande

Ce roman, édité aux éditions Zulma, a rencontré un succès d'estime à la rentrée de septembre. La littérature islandaise ne fait pas partie de mes lectures courantes. En effet, Audur Ava Olafsdottir, l'auteur, est islandaise. Son roman aborde le thème de la renaissance. Le jeune héros du livre partage avec sa mère la passion d'une rose particulière à huit pétales, la rosa candida. Or sa mère meurt dans un accident de voiture. Arnljotur se retrouve avec son père et un frère autiste. Il est aussi un jeune père sans l'avoir choisi car une seule nuit avec une jeune fille a changé sa vie. Il veut quitter sa terre islandaise pour travailler et le voilà dans un monastère où il se fait embaucher comme jardinier. Il va devoir se prendre en charge : travailler, se nourrir lui-même, s'intégrer dans la communauté du village, et surtout penser à la rosa candida. Il va cheminer lentement vers cette métamorphose d'autant plus qu'il va accueillir sa petite fille avec sa mère. Notre héros va connaître la solidarité du village et des moines pour l'organisation de sa vie quotidienne. Le face à face d'Arnljotur et de la mère de sa petite fille s'avère délicat et alors que le lecteur s'imaginait la naissance de cette petite famille, une surprise rompt le cours logique de l'histoire. Ce n'est pas un grand chef d'oeuvre mais on ne peut pas toujours lire des sommets en littérature. Ce roman ressemble à un bosquet ombragé et frais, simple et serein, avec des personnages qui n'ont rien d'héroïque et qui se battent humblement pour atteindre un bonheur certain. Il suffit parfois de patience dans l'attente amoureuse et de volonté pour vivre ses passions (la rosa candida). Le style du roman reflète la simplicité naturelle des personnages et des lieux. Bon roman pour l'été qui approche...

jeudi 5 mai 2011

Rubrique cinéma

"Tomboy", ce film atypique n'est pas un film américain. Sa réalisatrice s'appelle Céline Sciamma, et c'est une production française... L'histoire se situe dans un ensemble HLM, quelque part dans le Sud de la France. Laure, l'ainée de la famille a dix ans, sa soeur Jeanne cinq ans et la mère attend un bébé. Mais Laure est un garçon manqué. Elle aime vivre comme les copains du quartier : football, bagarres, jeux masculins par excellence. Elle est adoptée comme garçon par la bande y compris par sa "petite copine" avec laquelle elle échange des petits baisers. Laure devient Michael pour tous. Mais sa petite soeur découvre son secret et Laure l'intègre alors dans le groupe. Or Michael-Laure ne peut pas définitivement se faire passer pour un garçon. Je ne vais pas révèler la fin du film. Il vaut mieux aller le voir : Laure-Michael devra se dévoiler et reprendre son identité sexuelle réelle. Je considère ce film comme un vrai bijou du cinéma français. Ce personnage de fille-garçon joué formidablement par Zoé Héran pose le problème du mal-être des filles (ou des garçons) qui se sentent mal dans leur peau socialement obligatoire. Sa petite soeur est vraiment le modèle idéal d'une féminité assumée et jouée. Elle danse, minaude, joue à la poupée, porte les cheveux longs. Laure ressemble à un garçon et déteste tout ce qui touche à la féminité : robe et cheveux longs. Laure choisit la liberté des gestes en jouant au football, en nageant, en se bagarrant, et elle refuse de se conformer à cette image de fille. Sa copine ne se rend compte de rien et trouve un charme particulier à ce drôle de garçon. Simplicité, complicité, authenticité, fraîcheur, voilà des mots qui résument ce film si touchant. Ce film parle de l'identité sexuelle des enfants et de la résistance de Laure pour assumer sa façon d'être non conforme. Cela fait longtemps que je n'avais pas vu un film aussi attachant et aussi profond sur l'enfance. Il est diffusé dans les petites salles : ne le ratez surtout pas !

mardi 3 mai 2011

Bernard Pivot, zéro défaut

Un lecteur idéal, voilà comment je résumerais Bernard Pivot... Son autobiographie sous la forme d'un abécédaire vient de sortir : "Les mots de ma vie" aux éditions Albin Michel. La revue Lire de mai en fait sa "une" et lui consacre un grand article. La revue Marianne lui rend un hommage appuyé, "La grammaire d'un triomphe". Je ne vais pas reprendre sa carrière journalistique depuis 1958, mais il a été surtout pour moi le médiateur génial de l'émission "Ouvrez les guillemets" en 1973 et du célébre et incontournable "Apostrophes" de 1975 à 1990. J'ai suivi très souvent ce rendez-vous du vendredi soir car mon métier de libraire et de bibliothécaire l'exigeait. Les lecteurs me demandaient le samedi les romans et essais qui étaient au programme de l'émission. Je bascule moi aussi dans la nostalgie quand je pense aux "spéciales" consacrées à Marguerite Duras et Marguerite Yourcenar qui m'avaient enchantée à l'époque. La liste des écrivains qu'il a interrogés est extraordinaire et beaucoup d'entre eux doivent éprouver de la reconnaissance. Pour ma part, je ne serai peut-être pas devenue cette lectrice passionnée sans ces médiateurs comme Pivot et surtout Pierre Dumayet, critique d'une envergure non égalée. Je regrette qu'aujourd'hui, ces merveilleux médiateurs télévisuels n'aient pas été remplacés. Je n'ai qu'un nom à citer, François Busnel, qui présente la seule émission littéraire que je ne rate presque jamais, "La grande librairie", sur France 5. Comme il est aussi éditorialiste dans la revue Lire, longtemps dirigée par Bernard Pivot, il est le très digne héritier de Bernard Pivot. Je vais évidemment lire les "mots de ma vie" avec gourmandise et je reviendrai sur ce livre dans mon blog. J'aimerais aussi que Pierre Dumayet nous livre ses mémoires comme l'a fait un autre grand monsieur des Lettres, Maurice Nadeau, directeur de la Quinzaine Littéraire et qui vient de fêter ses cent ans !
La littérature a besoin de passeurs, de médiateurs qui permettent aux lecteurs de rencontrer les écrivains et leurs oeuvres. j'ai été à une très, très modeste échelle une "passeuse" de livres dans mes beaux métiers de libraire et de bibliothécaire et lorsque j'animais des clubs de lecture au sein des bibliothèques, j'essayais d'insuffler cette passion de la littérature. Lire sera toujours une aventure intellectuelle qui procure un bonheur indescriptible et Bernard Pivot m'a toujours donné l'impression que son métier de lecteur l'avait rendu heureux !

lundi 2 mai 2011

Olivier et Jérôme

Jérôme Garcin, écrivain et critique littéraire, nous livre un beau, très beau récit, publié chez Gallimard en février 2011. J'ai toujours suivi les conseils éclairés de Jérôme Garcin dans le Nouvel Observateur car il a du beau style pour nous parler de ses coups de coeur ou de griffe s'il le faut . Mais c'est plutôt un gentleman des lettres qui préfère la générosité à la rosserie. Son dernier ouvrage est une confession intime sur la mort accidentelle de son frère jumeau à l'âge de six ans en 1962. Journée tragique, journée horrible, journée à jamais marquée dans la mémoire familiale. Un conducteur a fauché cette jeune vie et s'est enfui lâchement. Jérôme Garcin revient sur cette tragédie et s'interroge sur son frère jumeau : il ouvre un dialogue spirituel en posant les questions essentielles : pourquoi lui et pas moi ? Cette culpabilité du survivant est un traumatisme que seule la parole et l'écriture peuvent estomper. Je conseille vraiment ce récit écrit avec authenticité, simplicité et émotion, une émotion dénuée de pathétique, de désespérance et d'esprit nostalgique. Le lecteur peut craindre ce style de témoignage en se disant que c'est trop triste de partager ce deuil si tragique. Jérôme Garcin nous parle surtout de la gémellité en puisant des références dans la littérature, la psychologie et la psychanalyse. Il parle de lui-même avec pudeur tout en s'exposant et en exposant ses proches. Entouré de sa femme comédienne, (Anne-Marie Philipe, fille de l'écrivaine Anne Philipe que j'aime beaucoup et de Gérard Philipe),de ses grands enfants et de sa mère, Jérôme Garcin nous brosse un portrait très attachant d'une famille bourgeoise française, cultivée, aimante et intelligente. Le père meurt aussi très jeune d'un accident de cheval à 43 ans. Ces ruptures l'ont façonné et l'ont conduit à transcender ces catastrophes par la lecture, l'écriture, la musique et la présence des chevaux. L'auteur décrit à merveille ses promenades à cheval, la nature, la province calme et solitaire, le métier de critique et d'écrivain. Ce livre devient une passerelle, une sacrée leçon de vie et d'espoir. Je cite ce passage, page 57 :"Parmi tout ce que tu m'as appris, il y a d'abord ceci : on écrit pour exprimer ce dont on ne peut pas parler, pour libérer tout ce qui, en nous, était empêché, claquemuré, prisonnier d'une invisible geôle. Et qu'il n'y a pas de meilleure confidente que la page blanche à laquelle, dans le silence, on délègue ses obsessions, ses fantasmes et ses morts. Tu m'as révélé l'incroyable pouvoir de la littérature, qui à la fois prolonge la vie des disparus et empêche les vivants de disparaître." Jérôme Garcin nous offre un récit poignant et magnifique avec des portraits croisés, des souvenirs proustiens de l'enfance perdue, des lectures salvatrices, la présence de la musique baroque sacrée, le cheval-compagnon : un hymne à la vie... et un dialogue émouvant avec son jumeau disparu.