jeudi 13 août 2015

"Un Candide à sa fenêtre"

J'avais lu en 2010 le premier volume du journal iconoclaste de Régis Debray, "Dégagements" et j'ai donc acheté en librairie la suite, "Un Candide à sa fenêtre", paru en janvier 2015 chez Gallimard. Cet ouvrage a obtenu le Prix Montaigne de Bordeaux. Cet intellectuel français revendique avec gourmandise ses 70 ans (ce qui est rare de nos jours...). Il écrit dans sa préface en reprenant Rimbaud  : "On est très sérieux quand on a 17 ans : on l'est beaucoup moins, par chance, à 70 ans. On musarde, on galèje, on griffe, on batifole, on déraille." Régis Debray se lit avec un plaisir jubilatoire. Il possède un style inimitable, manie les mots à merveille, brasse les idées sans complexe, mélange des anecdotes sans problème. Son regard "d'ancien" sur la vie en société lui distribue un rôle de bougon, de ronchonneur contre les travers de la modernité pour le plus grand bonheur de ses lecteurs(trices). J'ai savouré quelques passages tellement je m'y reconnaissais. Un exemple parmi tant d'autres : "D'où vient qu'on oublie que le portable de quatrième génération a pour usager le même mammifère nativement angoissé, doté de la même carcasse ostéo-musculaire et du même système nerveux que le plantigrade effaré guettant le mammouth dans la savane". Son humour ravageur, son ironie flamboyante, sa liberté de ton donnent à l'ouvrage un air vivifiant dans le paysage intellectuel d'aujourd'hui. Régis Debray se sent bien dans sa marginalité assumée (sauf pour l'assemblée du Goncourt), dans son âge libérateur, dans sa lucidité et dans sa clairvoyance sur l'état de notre pays. L'ouvrage se compose de six chapitres : "Frances, Mondes, Politiques, Philosophies, Arts, Littératures". Dans chaque partie, le même festival d'érudition, de portes à franchir pour un lecteur(trice), d'interrogations à naître. J'apprécie particulièrement tous les extraits sur son écrivain fétiche, Julien Gracq, au style toujours inégalé de nos jours. Lire "Un candide à sa fenêtre", c'est découvrir un homme généreux, un intellectuel facétieux et aussi profondément humaniste. Ses passions pour une France républicaine vertueuse et pour une littérature française somptueuse, me confirment que Régis Debray dont je partage sa lucidité blessée, est un très grand écrivain...