vendredi 27 novembre 2020

"Histoires de la nuit"

 Laurent Mauvignier fait partie d'une maison d'éditions commune à beaucoup d'écrivains français d'une qualité littéraire incontestable, les Editions de Minuit,  à la couverture blanche et aux titres imprimés en bleu. Un de ses derniers romans, "Continuer" avait obtenu un grand succès, ce qui n'est pas toujours évident pour un auteur "Minuit". Dans son dernier roman de 600 pages, "Histoires de la nuit", l'intrigue ressemble à un thriller palpitant. Patrice Bergogne, un des personnages clés, vit dans un hameau composé de trois maisons. Agriculteur-éleveur, il s'est marié avec une fille de la ville, Marion, et ils ont une petite Ida. Mais, le couple ne va pas très bien. Cet homme discret et silencieux n'en revient toujours pas de la chance d'avoir rompu son célibat dans un coin de compagne peu attractif. Quand il regarde sa femme et sa fille, heureuses et complices, il se sent marginalisé : "Quelque chose le blessera, il les entendra rire toutes les deux, quelque chose le renverra à un sentiment lointain, perdu dans les brumes de son enfance, la sensation d'être exclu, surnuméraire, peut-être déjà oublié ou inutile". Ce mal-être, ce malaise, souvent provoqués par un sentiment d'humiliation, circulent constamment chez les protagonistes du roman. Marion travaille dans une imprimerie et son esprit rebelle lui attire des ennuis. Ida, leur petite fille, se refugie souvent chez leur voisine, Christine, une artiste septuagénaire, venue de Paris et en retrait de la vie sociale, se consacrant à la peinture. Elle devient un peu la grand-mère symbolique de la petite Ida. Marion doit fêter ses quarante ans et Patrice veut préparer cette fête à la perfection. Il part dans la ville la plus proche et même s'il est amoureux fou de sa femme, il fréquente une prostituée. Quand il revient chez lui, un autre surprise l'attend. Trois hommes se sont invités dans la ferme. Qui sont ces inconnus ? Que veulent-ils ? Ils semblent liés au passé mystérieux de Marion. Un huis clos éprouvant va commencer pour la famille et ces inconnus menaçants. Les deux collègues de Marion s'invitent aussi dans ce cercle infernal de la prise d'otages. Laurent Mauvignier manie le suspens avec une maîtrise implacable et la violence des personnages va crescendo jusqu'à la fin de ce règlement de comptes. Dans un article du Monde des Livres, le critique écrit : "Plus la phrase s'allonge, plus l'angoisse augmente et plus le lecteur est attentif à ses ondulations, ses changements de rythme, ses relatives et autres volutes digressives et plus, à nouveau, le suspens s'accroît". Ce roman prend les allures d'un conte noir où chacun recèle un secret honteux. Un grand roman d'une écriture somptueuse où la violence régit les comportements des uns et des autres et même la petite Ida se voit contaminée par cette pulsion pour défendre sa propre vie. A lire pour découvrir une prose proustienne au service d'une intrigue à la Hitchcock.  Un des meilleurs livres de cette rentrée littéraire.