lundi 2 novembre 2020

"Ci-git l'amer, guérir du ressentiment"

 Comment évoquer, commenter, analyser cet essai salutaire, "Ci-gît l'amer, guérir du ressentiment" de Cynthia Fleury? Quand je lis un essai qui mélange avec bonheur la psychanalyse, la philosophie, la littérature et la psychologie, je crains l'effet raccourci, l'aspect superficiel de mon commentaire, le rabotage des idées exposées. La première remarque que je peux émettre en toute modestie concerne la lisibilité cristalline du récit même si Cynthia Fleury adopte un langage philosophique, semé de concepts psychanalytiques. La problématique du livre pourrait se résumer dans ce mot si important : le ressentiment, source profonde et indélébile du malaise individuel et social. Dès la première ligne, la psychanalyste explicite le titre de l'essai : "D'où vient l'amertume ? "De la souffrance et de l'enfance disparue. Dès l'enfance, il se joue quelque chose avec l'amer et ce Réel qui explose notre monde serein. Ci-gît la mère, ci-gît l'amer. Chacun filera son chemin, mais tous connaissent ce lien entre la sublimation possible (la mer), la séparation parentale (la mère), et la douleur (l'amer), cette mélancolie qui ne se révèle pas d'elle-même". L'horizon proposé par la psychanalyste serait peut-être d'éprouver ce sentiment océanique décrit par Romain Rolland à Sigmund Freud en 1927 défini comme un "désir universel" de faire un avec l'univers, un "sentiment d'éternité, de fulgurance et de repos". Le ressentiment empêche de vivre, de se dépasser, et surtout "s'inscrit" dans la faillite de l'être sans chercher une guérison. Sa seule aptitude dans laquelle il excelle : "Aigrir, aigrir la personnalité, aigrir la situation, aigrir le regard sur". Cynthia Fleury, pour illustrer sa pensée, invite Melville, Montaigne, Verlaine, Nietzsche, Scheler, Jankélévitch et surtout Frantz Fanon à qui elle consacre plusieurs chapitres. Dans un entretien du Figaro, Cynthia Fleury reprend les thèmes de son essai et explique avec clarté le rôle de la démocratie qui doit "produire les conditions collectives de lutte contre le ressentiment". Le fascisme et les populismes ne sont que le triomphe du ressentiment. La violence surgit quand le logos, le langage, la raison s'effacent de la cité. Pour surmonter, dépasser ce sentiment mortifère, la philosophe utilise le concept freudien de sublimation : "La sublimation est cette aptitude nécessaire au sujet individuel, isolé ou pris dans les rets de la société : elle est cette habilité à tisser à partir de ses propres névroses et à tisser avec celles des autres, encore plus difficiles à digérer, un talent quasi alchimique de faire avec les pulsions autre chose que du pulsionnel régressif, de les tourner vers un au-delà d'elles mêmes, d'utiliser à bon escient l'énergie créatrice qui les parcourt". Cynthia Fleury apporte une conclusion convaincante quand elle évoque la voie rilkéenne, "l'Ouvert ou s'ouvrir, tolérer l'incertitude, refuser le dogme, cultiver la pensée critique, pratiquer la vis comica, la force comique, le rire, enseigner les humanités". Un essai à lire surtout pour éclairer notre temps si sombre, si complexe en attendant avec patience le retour de notre vie d'avant quand le virus oubliera l'espèce humaine...