mardi 5 mars 2024

"Le carnet d'or", Doris Lessing, 1

 Pour l'atelier Littérature du jeudi 15 mars, j'ai choisi quelques romancières anglaises indémodables : Jane Austen, Virginia Woolf, Doris Lessing, Anita Brookner, Tracy Chevalier, Anna Hope, Jessie Burton, Penelope Lively. Evidemment, j'ai aussi pensé à George Eliot, Margaret Drabble, Zadie Smith mais il fallait trancher. J'ai donc relu "Le Carnet d'or" de Doris Lessing, prix Nobel de Littérature en 2007. Cette écrivaine puissante et originale a influencé de nombreuses générations de femmes et même si elle ne se revendiquait pas comme une féministe militante, elle est devenue une icône de la libération des femmes. Paru en 1962, et traduit en français en 1976 aux éditions Albin Michel, ce roman polyphonique a reçu le pris Médicis étranger. Ce grand texte expérimental explore des thèmes politiques majeurs au XXe siècle : le communisme des années 30 à 50 en Angleterre, lres prémices de la révolution sexuelle et des mouvements de libération des femmes. Pour entrer plus facilement dans ces 1 000 pages, il faut décrypter sa structure, composée de quatre carnets de couleurs (jaune, bleu, rouge et noir). La narratrice, Anna Wulf (hommage à Woolf), écrivaine, se cherche à travers ses carnets car elle a peur de sombrer dans la folie comme sa consoeur, Virginia. Cette écriture fragmentaire lui permet une lucidité clairvoyante pour se comprendre et tenter d'appréhender la complexité du monde. Ces differents strates de textes concernent sa vie intime avec sa fille unique, Janet qu'elle élève seule, ses relations tumultueuses avec les hommes, son amitié précieuse avec Molly. Elle relate avec sincérité ses expériences politiques et professionnelles. Un cinquième carnet va fusionner les parties précédentes en un seul, le fameux "carnet d'or" qui donne son titre à l'oeuvre. Le récit se veut réaliste avec la vie d'Anna et de son amie, Molly Jacobs, car elle intègre dans le roman, leurs péripéties familiales, intitulées "Femmes libres", "Free women". Le roman démarre avec l'expérience d'Anna en Rhodésie du Sud, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale qui a inspiré son propre roman à succès. Les carnets s'enchâssent les uns dans les autres sans que l'on perde le fil de ce savant montage. Dans le carnet rouge, elle explicite son engagement en tant que membre du parti communiste. Dans le jaune, elle évoque un roman en cours d'écriture de la propre histoire d'amour de la narratrice. Dans le bleu, elle écrit un journal intime où elle évoque ses souvenirs, ses rêves et ses émotions. Ce jeu littéraire post-moderne pourrait effrayer les lecteurs-lectrices mais bien au contraire, il faut se laisser porter par ces vagues divergentes de mots qui se chevauchent sans cesse en donnant un rythme vibrant au roman. Découvrir "Le carnet d'or", demeure encore aujourd'hui une expérience passionnante et il n'a pas pris une seule ride, soixante après sa publication ! Un classique du XXe. (La suite, demain)