jeudi 24 août 2017

"Mouvement"

Je ne résiste pas longtemps à ce "jeune homme" de presque quatre-vingt ans... Philippe Sollers a écrit un roman atypique, original et singulier, "Mouvement". Si le lecteur potentiel cherche une histoire, une intrigue, un début et une fin, des personnages, un drame, un lieu, il lui faut abandonner l'idée de lire Sollers... La littérature sollersienne (j'ose !) se situe dans les variations, les anecdotes sans suite, les aphorismes, les mélanges chronologiques, la critique subversive de la modernité. Tous ces thèmes sont conjugués entre eux avec un style jubilatoire. Tout se bouscule dans ce texte : la grotte de Lascaux, Mao, la cocaïne, la Bible, Pascal, la Chine, le transhumanisme, Rimbaud, Hegel, etc. Cet éclectisme virevoltant entraîne le lecteur(trice) dans une farandole de phrases dont certaines prennent des airs d'aphorisme. Philippe Sollers écrit : "J'ai ma méthode. je cible une partie de ma mémoire dont j'ai établi la carte. Je voyage en elle, je me pose là où je veux quand je veux. Comme j'ai toujours vécu au plus-que-présent, c'est facile. Je suspends le vol du temps, j'arrête le cours des heures propices, je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses, j'ai fait la magique étude du bonheur qu'aucun n'élude". Cet écrivain (qui agace et crispe souvent les lecteurs curieux qui se hasardent chez lui) aime par dessus tout la liberté dans la composition d'un roman : le fond, la forme, le sujet, le temps, le lieu. L'écrivain rejette toutes les contraintes et libère son imagination fantasque mais aussi imprégnée d'une érudition qu'il ose révéler sans passer pour un cuistre vaniteux. Bien au contraire... Lire Sollers ressemble à un acte de résistance pour tous les amoureux de la littérature. "Mouvement", ce roman hybride, évoque davantage un journal d'humeur, d'humour et de dérision. Je cite ce passage : "Les croyants de Facebook sont déjà 1,49 milliard. Tous ces gens pressés et décervelés adorent des idoles, mais je reste ferme, les seuls vrais dieux sont des livres, un certain nombre de livres agissent comme des dieux". Comme je partage son avis ! J'ai retrouvé dans ce dernier opus, la verve et l'érudition d'un écrivain heureux...

mercredi 23 août 2017

"De Chirico"

Dans mon escapade à Rome, j'ai découvert le peintre italien, Giorgio de Chirico (1888-1978). J'ai vu ses tableaux au Musée d'art moderne et surtout au Musée Bilotti, situé dans le parc Borghèse. Ma curiosité m'a poussée à emprunter un document sur lui, "De Chirico", écrit par Magdalena Holzhey, publié chez Taschen. Quand des univers picturaux surprenants, dérangeants, nimbés de mystère me questionnent, je veux comprendre les motivations du peintre. Giorgio de Chirico est né en Grèce de parents italiens. Son père, ingénieur, construisait les chemins de fer en Thessalie et sa mère était chanteuse d'opéra. Son frère deviendra le grand écrivain italien, Alberto Savinio. Il quitte la Grèce après la mort de son père et part vivre à Munich où il découvre les peintres Böcklin et Klinger. Installé  à Milan, il se passionne pour Nietzsche et Schopenhauer. Puis, Paris et Turin seront des étapes révélatrices dans sa vie de peintre. En 1913, il présente plus de trente tableaux qu'Apollinaire qualifie de "peintures étrangement métaphysiques". Il fréquente les surréalistes et expose dans les grandes capitales européennes. En 1945, il se fixe à Rome près de la place d'Espagne. Ses œuvres deviennent célèbres et sont souvent copiées par des faussaires. Il meurt à 90 ans, couvert d'honneurs. Il écrit sous son premier autoportrait : "Et que dois-je aimer si ce n'est l'énigme ?". Il ajoute aussi : "Il faut peindre tous les phénomènes du monde comme un mystère". Quand j'ai vu certains de ses tableaux, j'étais intriguée par ce langage et ces images. Fasciné par l'Antiquité, il peint des portraits d'hommes-mannequins qu'il baptise "archéologues" sur lesquels il met en scène l'imagerie antique : colonnes tronquées, temples détruits, vêtements. Ces signaux d'un arrière-monde perdu plonge les visiteurs dans "l'abîme sombre du temps passé". Ses toiles sont empreintes de mélancolie et les personnages semblent vivre dans un univers de solitude glaciale. Je retrouve dans ce monde absurde, la question de la métaphysique. La peinture de Chirico combine plusieurs influences : les mythes, le rêve, la philosophie grecque, Nietzsche. J'aimais déjà les peintres surréalistes comme Magritte et je retrouve chez Chirico, cette imagination débridée, née dans un inconscient abyssal. Un tableau raconte toujours une histoire et il faut la décrypter comme un secret que le peintre veut nous faire partager. Le livre en question m'a aidée à comprendre son univers énigmatique...

lundi 21 août 2017

"La Femme et le Sacrifice"

Cet été, j'ai donc découvert Anne Dufourmantelle en évoquant son "Eloge du risque" dans un billet récent. J'ai poursuivi ma lecture de son œuvre avec "La Femme et le Sacrifice" et "Puissance de la douceur". Le premier essai, publié chez Denoël en 2007, est consacré aux grandes figures féminines que l'on dit "sacrificielles". La psychanalyste brosse les portraits d'Antigone, d'Iphigénie, d'Hélène de Troie, de Penthésilée, de Médée, d'Iseut, de Jeanne d'Arc. L'essayiste mélange des personnages fictifs avec des femmes réelles pour illustrer sa thèse : le sacrifice prend des formes inattendues pour certaines héroïnes. Cet essai ne se résume pas avec facilité tant les anecdotes enrichissent le thème du sacrifice des femmes légendaires, mais aussi, des patientes en souffrance qu'elle a suivies dans son cabinet de psychanalyste. Un mot revient souvent dans ses analyses : l'esprit de sacrifice naîtrait de la névrose ou de l'empêchement de vivre, de la répétition d'un passé refoulé. Je cite Anne Dufourmantelle : "Le sacrifice, il y en a partout, tout le temps. (...) Nous le voyons à l'œuvre sous nos yeux dans la vie de ces femmes épuisées, harcelées, ignorantes de leur sacrifice voué à un Autre qui n'a même pas de nom. (...) Car le sacrifice n'est pas toujours tragique, héroïque, spectaculaire. Il y a des sacrifices sans écho, des vies absentes d'elles-mêmes jusqu'à l'effacement. (...) Des vies blanches". La psychanalyste utilise un langage d'une clarté appréciable, loin du jargon psychanalytique. Dans le deuxième essai, "La puissance de la douceur", paru chez Payot, Anne Dufourmantelle décrit ce comportement humain comme une puissance. Elle soutient la thèse d'une douceur symbolique qui métamorphose tous ceux qui la choisissent. Elle cite des écrivains, des philosophes et son style, d'une simplicité lumineuse, apporte à l'essai un souffle littéraire, assez rare dans cette catégorie de textes. Elle écrit : "La douceur est un retour sur soi qui invente de l'avenir, à l'image de la spirale. Une révolution ouverte". Anne Dufourmantelle démontre le pouvoir subversif de la douceur. Notre monde contemporain devrait s'adonner à sa pratique, sans mièvrerie et sans naïveté... Ces deux essais se lisent sans difficultés même s'ils demandent une attention exigeante.

jeudi 17 août 2017

Confidences sur la lecture, 4

Des rencontres heureuses surgissent à l'improviste dans la vie d'une lectrice. Vers l'âge de vingt ans, une voisine était venue me chercher pour mettre un peu d'ordre dans une bibliothèque de quartier. J'ai apporté mon aide pour ranger les livres par catégories et par ordre alphabétique (cette anecdote préfigurait mon futur métier de bibliothécaire). Je me baignais dans la littérature française et j'ai remarqué un ouvrage qui ne ressemblait pas à ces compagnons de papier. Je l'ai saisi dans mes mains. Sa couverture austère et d'un jaune bien fané ressemblait à un Budé de grec ancien. J'ai lu le titre "Le Rivage des Syrtes" et le nom de l'écrivain, Julien Gracq. Je ne connaissais pas cet écrivain à l'époque car il refusait d'être publié en poche. Je cite la première phrase : "J'appartiens à l'une des plus vieilles familles d'Orsenna". Et quand j'ai commencé à lire cette histoire somptueuse  dans un décor étrange, j'ai ressenti une émotion "littéraire" que j'ai toujours conservée dans ma mémoire. Julien Gracq est un peu délaissé de nos jours mais ce classique contemporain m'enchante toujours autant. Sa prose et son style m'ont éblouie. Après mon bac L, je me suis inscrite en Lettres Modernes (avec du latin obligatoire) à l'université des Pays de l'Adour à Pau. Pendant mes études littéraires, lire  ne ressemblait pas à une obligation, mais à une libération existentielle et à ma formation intellectuelle.  Mes professeurs m'ont appris à aimer tous les classiques : Rabelais, La Fontaine, La Bruyère, Gustave Flaubert, Nerval, Jules Vallès, Zola, Proust, etc. J'ai appris le latin, l'ancien français, la linguistique, la grammaire, la littérature comparée, et ces trois années universitaires m'ont confortée dans ma vocation "livresque". A cette époque, devenir professeur de français exilait tous les jeunes du Sud éclatant vers un Nord "horrifique". Je ne tentais pas le concours qui était d'ailleurs très dur avec une quarantaine de postes (au lieu de 1 000 aujourd'hui !). J'ai trouvé une place dans une excellente librairie de Bayonne qui portait le nom suivant "Le Livre" ! Un an après, je créais la mienne dans la rue Marengo, à côté du Musée basque. Je reviendrai sur la saga de ma librairie dans ce blog. Transmettre le goût de la lecture, rencontrer des lecteurs, promouvoir la bonne littérature, trouver le chemin des idées, toutes ces missions résument mon métier de libraire pendant six ans dans les années 75... 

lundi 14 août 2017

Confidences sur la lecture, 3

On ne dira jamais assez le rôle majeur des professeurs de français pour découvrir le bonheur de lire. Après les parents (souvent la mère), premiers passeurs de lecture, les instituteurs (professeurs des écoles aujourd'hui) nous donnent accès à l'apprentissage du lire, de l'écrit et du calcul. Sans ces fondamentaux, sans cette éducation, l'individu est condamné à rester dans sa caverne obscure que Platon a si bien décrit. J'ai eu la chance dans mon adolescence d'avoir eu des professeurs de français compétents, motivés et souvent d'une douceur pédagogique bien plus efficace que la sévérité glaçante. Dès ma 6e, mon professeur de français, (Monsieur Delmas, je m'en souviens encore), passionnait sa classe et nous faisait interpréter des extraits de Molière alors que ce n'était pas courant dans les années 60. Il lisait ses dictées mémorables en choisissant toujours des textes littéraires. Son cours passait sans ennui et il m'a offert ce cadeau inestimable : m'initier à la littérature française. Dès lors, j'ai aimé cette matière, le français,  comme une deuxième naissance. J'ai commencé à lire les classiques en 4e et je crois que cette faim de lecture ne s'est jamais interrompue. Je feuilletais les Lagarde et Michard avec plaisir et je découvrais ainsi les écrivains du XVIe au XXe siècle. Souvent, j'avançais ma lecture et je n'attendais pas les consignes. Ce vagabondage autour des livres me donnait des ailes, une liberté singulière pour une adolescente des années 60. J'avais déjà mes préférences à quinze ans : Colette et ses Claudine, Marcel Aymé, Roger Martin du Gard, Jean Giono, André Gide. Je dévorais les livres de poche que j'allais m'acheter grâce à la générosité infinie de ma mère. La librairie où je dénichais tous ces trésors se situait en plein centre ville et je m'attardais souvent dans cette grotte profonde où les murs étaient couverts de "poches" du sol au plafond... Evidemment, j'ai passé mon bac littéraire en Première et j'ai eu la chance de disserter sur Camus à l'écrit et sur un texte de Voltaire à l'oral. Je fréquentais aussi la bibliothèque municipale de Bayonne à l'ambiance feutrée, silencieuse, secrète que l'on ne ressent plus aujourd'hui dans une médiathèque moderne. Je cite cette phrase de Marguerite Yourcenar qui résume en un éclair de lucidité toute vie liée aux livres : "Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois, un coup d'œil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été des livres". Cette citation me convient parfaitement...

vendredi 11 août 2017

Confidences sur la lecture, 2

Un deuxième événement dans mon enfance m'a plongée dans l'univers des livres. Quand j'étais en classe de 6e au lycée de jeunes filles de Bayonne, j'ai attrapé une sale angine qui s'est dégradée en rhumatismes articulaires me provoquant un souffle au cœur. Je n'ai pas été hospitalisée grâce aux soins quotidiens de mes parents. Je suis restée dans ma chambre pendant un trimestre et malgré une absence prolongée au lycée, les professeurs m'ont accordé le passage en 5e car j'avais obtenu de bonnes notes... A cet époque-là, les enfants malades (pas trop gravement) occupaient le temps à lire. Ma mère, toujours aussi bienveillante, partait en ville pour me ramener des livres : elle les achetait dans une librairie de Bayonne et j'ai ainsi dévoré à onze ans tous les ouvrages de la Bibliothèque verte : le "Clan des 7", tous les "Alice" dont l'héroïne s'était transformée en sœur d'aventure. Son audace m'a aussi fait comprendre qu'être une fille n'était pas toujours un handicap... J'ai, évidemment, découvert Jules Verne, très à la mode pour tous les enfants de l'époque. "Cinq semaines en ballon", "L'île mystérieuse", "Voyage au centre de la terre", "Michel Strogoff" et tant d'autres titres ont nourri mon imagination et m'ont permis d'oublier que je ne menais pas une vie normale de petite fille. Ma mère a représenté cette Messagère des Livres car elle avait déjà compris ma passion de la lecture. Ensuite, après ma guérison, j'ai été dispensée d'activités sportives au lycée à cause de mon souffle au cœur qu'il fallait surveiller. Et, alors, je me suis réfugiée dans la bibliothèque de l'établissement pendant mes heures de dispense. Ma vocation de libraire et de bibliothécaire est née dans cet espace magique où la bibliothécaire m'avait embauchée pour ranger les documents empruntés. J'ai feuilleté tous les livres d'art, j'ai découvert les poètes et les classiques de la 5e au baccalauréat dans ce grand lycée de Bayonne. J'avais ressenti dans cette île aux livres, mon Ithaque, que ma vie se passerait en leur douce et silencieuse compagnie. Voilà comment une petite maladie infantile peut provoquer des bouleversements intimes. Les livres m'ont sauvée de l'ennui quand j'étais dans mon lit et depuis, je ne cesse de les célébrer...   

jeudi 10 août 2017

Confidences sur la lecture, 1

J'entends souvent des amies me déclarer : "mais comment tu fais pour lire autant ?" : je leur réponds que je n'ai aucun mérite... J'ai toujours consacré du temps à la lecture qui en demande beaucoup. Quand je travaillais, je ne disposais que du soir et du week-end. Mais depuis que je suis à la retraite, je profite de tous les instants pour m'adonner à cette passion qui m'habite depuis mon enfance. Je me suis penchée sur ce goût immodéré pour les livres car, j'ai consacré toute ma vie à les "servir" en tant que libraire, bibliothécaire, et tout simplement lectrice. J'ai trouvé la réponse en pensant à ma mère qui volait du temps pour lire malgré sa vie prenante de commerçante. Je me souviens d'une chambre immense dont j'avais pris possession (mes parents s'étaient installés dans une grande maison avec un bar au rez-de-chaussée). C'était mon paradis caché, rempli de jouets, de mes poupées, de mes peluches. Cette chambre d'ami disposait d'un placard et dans cet espace assez grand, ma mère avait disposé toutes ces collections de revues et de livres. Je me souviens encore du nom de la revue : "A la page"... Quand on voit avec des yeux d'enfant ces objets de papier, leur empreinte dans notre "subconscient" laisse une marque indélébile. Les enfants qui naissent dans un milieu sans livres ont moins de chance de les aimer plus tard. Mes parents étaient très occupés par leur travail respectif sans compter leurs heures (plus de quinze par jour à cette époque) et ils ne venaient pas nous bercer le soir en nous lisant des albums... Ce n'était pas très courant de raconter des histoires à leurs petits, et en plus, ils travaillaient tous les soirs dans leur bar. J'ai donc découvert la lecture seule dans cette chambre quand j'ai ouvert le premier album de ma vie. Je me souviens d'un Babar... Quel moment magique de décrypter ces phrases écrites en gros caractères ! Depuis ce moment-là, j'ai senti que les livres m'accompagneraient toute ma vie... Dans les années 60, les enfants ne disposaient pas de tous les livres jeunesse d'aujourd'hui. Il existait des publications dans les maisons de la presse appelées "Illustrés" et j'en consommais beaucoup... Ils devaient être bien médiocres, ces illustrés, mais, pourtant, ils m'ont ouvert la porte d'un univers que je n'ai jamais quitté... 

mercredi 9 août 2017

"Yourcenar, carte d'identité"

J'aime bien lire des biographies, surtout celles consacrées aux écrivains. J'avais lu avec beaucoup d'intérêt à leur sortie, les ouvrages incontournables de Josyane Savigneau, "Marguerite Yourcenar, l'invention d'une vie", paru en 1993 et celui de Michèle Sarde , "Vous, Marguerite Yourcenar : la passion et ses masques", paru en 1995. Comme j'ai décidé de relire les grands classiques du XXe, je vais ouvrir mes pléiades de Yourcenar pour retrouver mes bonheurs de lecture quand j'ai découvert "Les Mémoires d'Hadrien", "L'Œuvre au noir", "Feux", "Le Labyrinthe du monde" pour ne citer que les plus emblématiques de son œuvre. J'avais relu "Mémoires d'Hadrien" l'année dernière et j'avais vécu cette deuxième lecture avec plus d'attention, d'intensité et de communion. Je retrouvais dans cette nouvelle rencontre la magie de l'Antiquité grâce à cet empereur puissant mais aussi tellement humain pour son amour passionnel d'Antinoüs. Comme je suis une lectrice "obsessionnelle", j'éprouve le besoin de relire Marguerite Yourcenar. Certains "grands écrivains" s'apprécient avec des années de lecture. J'ai donc découvert avec plaisir cette biographie d'Henriette Levillain, professeur émérite à Paris Sorbonne, parue en 2016 chez Fayard. La biographe a pris d'emblée un angle d'attaque original : elle établit une carte d'identité alphabétique par thèmes. Ainsi, les chapitres sont intitulés de cette façon : Amie des bêtes, Aristocrate, Corps, Enfance, Femme (s), Historienne, etc. Je connaissais les aspects kaléidoscopiques de sa vie, mais j'ai appris quelques informations concernant les processus de création : ses recherches dans les bibliothèques, ses voyages innombrables en Grèce, en Europe, en Asie, ses visites sur les lieux des romans, sa passion des musées où elle trouvait son inspiration en contemplant des tableaux et des sculptures. Quant à sa vie quotidienne, elle l'a partagée avec sa compagne dans une jolie maison blanche en bois sur l'île des Monts-Déserts (Maine). Elle vivait comme un scribe égyptien, un copiste de monastère en se consacrant à l'écriture et à la lecture, entourée par une nature encore sauvage. Cet ouvrage très documenté et très sobre (la biographe mentionne rarement son "admiration") montre Marguerite Yourcenar dans sa vérité et aussi dans sa complexité... Marguerite Yourcenar a réconcilié l'Histoire avec la Littérature. Ses personnages resteront inoubliables... 

mardi 8 août 2017

"Eloge du risque"

Quand j'ai appris le décès accidentel de la psychanalyste, Anne Dufourmantelle, j'ai regretté de ne pas l'avoir lue avant sa disparition. J'ai trouvé trois de ses ouvrages à la médiathèque et j'ai commencé par "L'éloge du risque", paru dans la collection Manuels de Payot en 2011. Dans la notice nécrologique du Monde, j'ai appris qu'elle était née à Paris en 1964. Philosophe, romancière, psychanalyste, éditrice, elle était l'amie de Jacques Derrida et d'Avital Ronell. Analysée par Serge Leclaire et membre active du Cercle freudien, elle pratiquait son métier avec une empathie que tous ses patients évoquaient. Elisabeth Roudinesco écrit : "Cette chercheuse inlassable (...) faisait preuve d'une humanité exceptionnelle, attentive aux souffrances d'autrui et prête à se dévouer en toutes circonstances". Son "Eloge du risque" se lit très facilement sans jargon technique, ni style alambiqué. Il est question d'audace, de rupture, de survie et surtout de l'appropriation de son existence dans toutes ses dimensions : amoureuse, familiale, professionnelle, culturelle, etc. Je cite ses mots : "Risquer sa vie c'est d'abord, peut-être de ne pas mourir. Mourir de notre vivant, sous toutes les formes du renoncement, de la dépression blanche, du sacrifice". Elle  compare le risque au "kairos" grec, une notion très connue dans l'Antiquité, signifiant "saisir sa chance", prendre un risque, changer sa vie... Anne Dufourmantelle définit le risque comme le contraire de la névrose "dont la marque de fabrique est de prendre aux rets l'avenir de telle sorte qu'il façonne notre présent selon la matrice des expériences passées, ne laissant aucune place à l'effraction de l'inédit, au déplacement, même infime, qu'ouvre une ligne horizon." Avec une cinquantaine de chapitres très brefs, la philosophe-psychanalyste évoque des sujets d'un éclectisme évident. Je cite par exemple : "au risque d'être libre, au risque d'être triste, quitter la famille, au risque de l'inconnu, solitudes, rompre, que cessent nos tourments". Ce livre fourmille d'anecdotes littéraires, philosophiques, mythologiques, culturelles. Un vrai bonheur de lecture... Je vais l'acquérir pour le conserver dans ma bibliothèque car le lecteur peut y puiser un art de vivre, un art de penser, un art du risque... Je consacrerai dans mon blog quelques billets sur les ouvrages d'Anne Dufourmantelle que j'ai donc découverts cet été. 

lundi 7 août 2017

"Les Filles au lion"

J'avais beaucoup aimé le précédent roman de Jessie Burton, "Miniaturiste", qui vient de paraître en Folio. Ce petit bijou littéraire (un premier essai en plus...) s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires. "Les filles au lion", son deuxième livre, édité dans la collection "Du monde entier" de Gallimard, confirme le talent de romancière de l'écrivaine anglaise (née en 1982). Son personnage principal, Odelle, une jeune fille noire de Trinidad, vit à Londres et travaille dans un magasin de chaussures. En 1967, Odelle subit souvent un racisme latent. Dans son magasin où elle s'ennuie beaucoup, une cliente lui propose un emploi de secrétaire dans une galerie d'art. Elle accepte et se retrouve sous les ordres bienveillants de Marjorie Quick, la responsable de la galerie. Celle-ci perçoit une envie d'écrire chez Odelle qui lui confie une nouvelle qui sera publiée dans une revue. La jeune fille rencontre un jeune homme, Lawrie, avec lequel elle démarre une liaison amoureuse. Lawrie possède un magnifique tableau mystérieux qu'il a hérité de sa mère. Cette toile représente deux femmes et un lion, peinte par un artiste espagnol. Odelle décide alors de mener sa propre enquête sur le mystère du tableau qui entraîne le lecteur(trice) dans une autre époque : celle de la Guerre civile espagnole en 1936. Un marchand d'art viennois s'est réfugié dans le sud du pays avec sa femme et sa fille dans une maison délabrée. Ils emploient une jeune fille du village,Teresa et son frère Isaac. Dans ce huis-clos familial, Olive, leur fille, tombe amoureuse d'Isaac, artiste peintre. Elle-même peint dans le secret. Je ne dévoilerai pas le fil romanesque qui relie Odelle et Olive, l'une veut écrire, l'autre peindre. Et pour des femmes à cette époque, la création artistique n'allait pas de soi... Il fallait de l'audace, du courage et une force intérieure pour oser se lancer dans l'art... Ce roman, en deux temps, se lit avec beaucoup d'intérêt même si j'ai préféré son "Miniaturiste", plus réussi...

dimanche 6 août 2017

Billet d'humeur

Depuis une bonne semaine, l'actualité s'est mise en vacances... J'emploierai le mot vacance sans le s, tellement le vide sidéral des actualités m'a frappée. En dehors des catastrophiques incendies en Provence et en Corse, il ne se passe rien (à part la disparition de Jeanne Moreau, une icône française et une femme magnifiquement libre) pour les journalistes des chaînes de télévision. Les plus professionnels sont tous partis en vacances comme les informations sérieuses. Les jeunes journalistes débutants apparaissent sur nos écrans et nous laissent parfois pantois. Ils évoquent avec un enthousiasme débile, l'arrivée du messie à Paris dans l'équipe du Qatar... Ce nommé N., brésilien de naissance et gladiateur du ballon rond, ressemble à un nouveau dieu du XXIe siècle. Les sommes honteuses de son transfert me paraissent scandaleuses mais, dans les infos, aucune réaction à ce sujet. Il faut fouiller dans la presse écrite pour trouver une voix dissonante sur ce phénomène indécent qui symbolise la folie commerciale du football... Après cet épisode burlesque de N., voilà l'épopée grotesque des pandas dans un zoo français... Même, notre Brigitte nationale accepte d'être marraine du petit panda survivant. Cette naissance mérite-t-elle la première place dans des informations nationales ? Je n'en croyais pas mes oreilles... Peut-être que je devrais fermer ma télévision pendant l'été ? Oui, mais, la presse semble aussi bien paresseuse et reprend des sujets cent fois ressassés. Prolifèrent aussi dans les informations les reportages sur les Français en vacances : fêtes bruyantes dans les campings, plages surpeuplées, festivals en tous genres, autoroutes surchargées, randonnées sur des volcans, excursions sur les rivières. Toutes ces images donnent plutôt envie de rester chez soi, loin des foules qui semblent s'ennuyer à mourir... Une phrase de Georges Perec me revient : "Il ne se passe rien, en somme"... L'été, il ne se passe rien : pas de mauvaises nouvelles à diffuser, les "gens" (comme je n'aime pas ce mot) doivent profiter de leur repos (pas si reposant que ça...) pour certains. Nous vivons dans un espace-temps édulcoré et "disneylandisé"... Soyons joyeux, futiles, insouciants : consommation, fêtes et feux d'artifice, concerts pour les jeunes. Les problèmes ont disparu d'un coup de baguette : chômage, terrorisme, migrants, etc. Tant mieux peut-être, car le pays avait besoin d'oublier le réel ! Je préfère retourner à mes livres qui, eux, ne prennent jamais de vacances.... 

vendredi 4 août 2017

Eloge de la marche, 4

David Le Breton, professeur de sociologie à l'Université de Strasbourg, signe le quatrième article de cette série d'été dans le Monde. Grand spécialiste de la question, il a écrit "Marcher, éloge des chemins de la lenteur" en 2012 et "Eloge de la marche" en 2000. Il considère cette activité comme une guérison : "Les premières heures d'une marche amènent à un allégement des soucis, à une libération de la pensée moins encline à la rumination (...)". Il évoque une expérience très positive avec des jeunes en grandes difficultés qui s'adonnent à une très longue marche de 2000 kilomètres pour se ressourcer, se reconstruire et envisager leur avenir avec espoir. Cette remise en forme morale et physique leur permet de se "défaire" de leur image négative dans la société. L'estime de soi naît de cette renaissance en pratiquant "l'esprit d'indépendance, la prise d'initiative, la curiosité, la confiance en l'autre". David Le Breton décrit l'effet thérapeutique des chemins de Compostelle, parcourus par des croyants et des non-croyants pour ré-enchanter le monde. La marche guérit : "Si la souffrance a présidé au départ, elle se dilue au fil des pas. Remise en ordre du chaos intérieur, la marche n'élimine pas la source de la tension, mais la met à distance, favorise les solutions". Marcher ressemble à un oubli de soi pour mieux se retrouver et rebondir dans une "métamorphose personnelle". Des malades, touchés par le cancer, effectuent des marches réparatrices et "bien des dépressions ou des amertumes se dissolvent sur les routes". Le sociologue considère donc cette "démarche" comme un "refuge intérieur, une échappée belle, loin des routines de pensée ou d'existence". Cet article très lumineux sur cette activité, au fond, d'une banalité simpliste, procure chez le lecteur, une envie de partir sur les chemins autour de soi, dans son jardin, dans son quartier, dans sa ville, au bord d'un lac, de la mer, dans la montagne et sur la lune, pourquoi pas ? Pour ma part, je préfère marcher dans des espaces inconnus que je découvre au fil de mes pas. Mes balades dans les capitales européennes m'apportent cet apaisement et surtout un sentiment d'émerveillement. David Le Breton écrit à la fin de l'article : "Le monde est immense au-delà des murs de nos habitations et il n'attend que nous". La Grèce m'attend en septembre et l'Espagne du Nord en octobre... 

jeudi 3 août 2017

Eloge de la marche, 3

Antoine de Baecque, Historien et critique, se penche, dans le quatrième article, sur l'effet de la marche chez les écrivains. Il évoque le marcheur Victor Hugo qui écrit "A pied. On s'appartient, on est libre, on est joyeux". Thoreau, le philosophe américain, consacrait quatre heures par jour à la marche, sinon, "il se rouillait dans sa chambre". Quand il se retrouvait dans la nature, il se donnait des "infusions de sauvagerie"... Jean-Jacques Rousseau a composé ses textes en marchant. "Ses rêveries du promeneur solitaire" témoignent de sa démarche de grand, très grand randonneur qui devient même une "manie pédestre". La nature nourrit son imagination et fixe sa pensée. Dans ses "Confessions", il écrit : "Il faut que mon corps soit en branle pour y mettre ma pensée. Tout cela dégage mon âme, me donne une plus grande audace de penser, me jette en quelque sorte dans l'immensité des êtres (...)". Un philosophe emblématique et fascinant représente la marche pensante : Frédéric Nietzsche... Il arpentait toute la journée les pentes de l'Engadine en Suisse, les villes de Turin et de Nice prenant des notes dans son carnet qu'il recopiait le soir : "Il porte cette espèce du libre-penseur-marcheur à son point d'aboutissement, car pour lui, la marche est survie, survie de son corps, perclus de terribles souffrances, survie de la pensée, irriguée par l'énergie de la promenade". Antoine de Baecque cite lui aussi Jacques Lacarrière, trop oublié aujourd'hui. Dans son "Chemin faisant", paru en 1974, il écrit : "Le but de cette longue marche (des Vosges aux Corbières) fut avant tout le désir de me muer en véritable errant, afin de retrouver mon corps, de renaître à la nature, aux herbes et aux paysages et par là, pouvoir penser et écrire". L'historien évoque Julien Gracq et ses "Carnets du grand chemin", le poète suisse, Pierre-Laurent Ellenberger et le grand Nicolas Bouvier. L'écriture devient pour ces écrivains le prolongement de la marche : "Ce mouvement est celui des pas et celui de la plume, mêlés. L'écriture est la mémoire du chemin". La littérature et la marche ont donc un destin commun : nous entraîner sur les chemins de la création et de la connaissance... 

mercredi 2 août 2017

Eloge de la marche, 2

Dans le deuxième article, Martine Segalen, sociologue et professeur émérite à l'Université de Paris-Nanterre, s'interroge sur les coureurs et les marcheurs. La course à pied ou running (l'anglais a conquis ce milieu) est devenue à la mode depuis les années 70 et pour ma part, je croise souvent ces sportifs de tous âges (plutôt jeunes...) quand je marche au bord de la mer ou du lac. Pour la sociologue, il existe deux esprits : celui de la marche et celui de la course. Les uns portent des tenues adéquates, des appareils électroniques pour mesurer leur performance, des chaussures hauts de gamme. Les autres préfèrent des tenues confortables, des baskets solides et des cartes pour s'orienter. Ils se distinguent aussi par l'âge et leur situation sociale car la plupart profite de la retraite, une retraite active. Les "pressés" font des marathons, des courses d'endurance, bref, ils cherchent avant tout la compétition... D'un côté, la vélocité, de l'autre, la lenteur...Mais la course a commencé son influence sur les marcheurs tranquilles. Voilà maintenant, la marche nordique qui exige huit kilomètres à l'heure, des bâtons d'appui, le silence dans les rangs et la cadence infernale au rendez-vous. Il n'est pas question de flâner, d'observer la nature et d'écouter les oiseaux chanter. Dans le troisième article, Frédéric Gros, philosophe et auteur de "Marcher, une philosophie" rappelle l'aspect politique de la marche, le dynamisme volontariste (les marcheurs de notre nouveau président, un slogan démagogique et un peu ridicule...). Gandhi, Mao Tsé-Toung, Martin Luther King ont utilisé la marche comme une protestation, voire une révolution. La marche est vécue comme une rupture avec le passé. Il évoque aussi ses valeurs éthiques : la lenteur, la déconnexion, le retour sur soi, la simplicité, la gratuité... "Fatigue apaisante contre énervement citadin", cette activité tranquille relève de la "désobéissance civile" si chère à Thoreau. Je me demande si la pratique de la lecture correspond mieux aux marcheurs qu'aux coureurs... J'opte pour les petits marcheurs modestes, flâneurs, observateurs de ciel et de terre, attentifs à la présence des oiseaux, des lapins sauvages, des arbres remarquables. Lire la nature, lire un livre, une même attention au monde...

mardi 1 août 2017

Eloge de la marche, 1

Le quotidien Le Monde a eu l'excellente idée de proposer en six articles, datés du 18 juillet au 23 juillet, un éloge de la marche avec ce titre : "Penser la marche". Des randonneurs "intellectuels" ont étudié la "locomotion" humaine sous divers angles : pratique sportive, initiation spirituelle, projet thérapeutique, découverte touristique. Le premier article est consacré à Sylvain Tesson, écrivain-voyageur dont le célèbre "Dans les forêts de Sibérie" avait touché le grand public. De l'Asie centrale aux "Chemins noirs" de la France rurale, Sylvain Tesson raconte dans cet entretien, sa fuite d'un monde "numérisé, connecté, branché" pour rencontrer "le jaillissement perpétuel de la nouveauté" (citation de Bergson). Victime d'un accident très grave alors qu'il s'adonnait à sa passion d'escalader les toits, Sylvain Tesson est resté un an à l'hôpital pour se reconstruire. Il est reparti sur les sentiers de traverse qu'il décrit dans son ouvrage, "Les Chemins noirs". Du Mercantour à la Normandie, ce périple l'a guéri de sa "noirceur intérieure". La marche est devenue une thérapie évidente et lumineuse. L'écrivain se définit comme "un rustique" avec une "bonne résistance physique". Dans cette planète, saturée de technicité, Sylvain Tesson se glisse dans un "interstice" de liberté où il se met à l'écart du monde, loin du "balisage" que la société impose. Il rend hommage aux géographes des cartes IGN (1 cm pour 250 m), une aide précieuse pour s'évader dans des espaces peu explorés à la "praticabilité aléatoire". Et surtout, il évoque Jacques Lacarrière dont il admire la capacité "d'éblouissement". La marche l'a "soigné" ; "Je suis parti boitant, je suis revenu debout". Il considère sa démarche comme un mode de vie libre et non entravé par les contraintes sociales. Je cite la dernière phrase de son entretien : "La fuite est un formidable acte de critique. C'est ce qu'on appelle le chemin noir existentiel. On peut trouver partout ces interstices, ces échappées, ces issues de secours et ces chemins buissonniers : dans une bibliothèque, sous une voûte, une forêt, sur une paroi, en soi, surtout". Belle conclusion...