vendredi 6 septembre 2024

"Sodome et Gomorrhe", Marcel Proust, 2

 J'avoue que ce n'est pas toujours facile de lire la Recherche. Mais, quand j'ai ouvert pour la première fois "Du côté de chez Swann", j'étais sous le charme du style proustien, de pensées de l'auteur, du narrateur et de sa mère, de l'enfance. Une explosion de sensations, de senteurs, de sentiments. Je ne l'ai plus jamais quittée depuis mes études de lettres en 1970. Quel régal à le lire comme Colette dans son évocation d'une France disparue mais qui a laissé des traces profondes dans nos souvenirs. En écoutant des podcasts sur France Culture, consacrés à l'écrivain, j'ai découvert en profondeur le personnage du baron de Charlus, un être monstrueux, "un Guignol sublime", un homme shakespearien, dans toute sa noirceur, une tragédie à lui tout seul dans son rôle de diva incomprise. Il devient même émouvant tellement sa solitude semble irrémédiable. Au fond, il symbolise la cohorte des mal-aimés. Marcel Proust dévoile dans son oeuvre l'ambiguité des êtres humains, leur grandeur comme leur petitesse, leur combat singulier contre leur démon intérieur et surtout, leur métamorphose perpétuelle. Albertine illustre cette profondeur psychologique dans sa manière de se dérober sans cesse au narrateur. Aucune empathie chez elle mais sa personnalité étrange fascine le narrateur. La suite de la Recherche poursuit cette aventure amoureuse, teintée de chagrin et de rancoeur entre ces deux êtres si dissociés. Quand je lis Proust, j'aime avant tout ses réflexions, ses pensées, ses commentaires sur la vie. Chaque personnage de la Recherche représente un caractère humain comme chez Balzac. Dans ce magnifique puzzle, le thème essentiel du temps perdu finit par être retrouvé grâce à l'art et l'écrivain retient désespérement dans ses filets tous les moments vécus. J'ai retenu cette réflexion : "Nous désirons passionnèment qu'il y ait une autre vie où nous serions pareils à ce que nous sommes ici-bas. Mais nous ne réfléchissons pas que, même sans attendre cette autre vie, dans celle-ci, au bout de quelques années, nous sommes infidèles à ce que nous avons été, à ce que nous voulions rester immortellement". Plus loin, il ajoute : "On rêve beaucoup du paradis, ou plutôt de nombreux paradis successifs, mais ce sont tous, bien avant qu'on ne meure, des paradis perdus et où l'on se sentirait perdu". L'univers proustien me fascine toujours autant et même plus que dans mes jeunes années. Mais pour ouvrir les portes de ce monde fabuleux que l'on a la chance de lire dans notre langue, il suffit de se jeter, sans préjugés, dans cet océan de mots, de phrases et de sensations au risque de se perdre avec bonheur dans ce labyrinthe...