jeudi 26 février 2015

Atelier de lectures, 3

Je poursuis ma présentation de l'œuvre d'Annie Ernaux pour mettre l'accent sur deux ouvrages que j'ai relus ce mois-ci. Je veux parler du témoignage poignant, "Je ne suis pas sortie de ma nuit", texte sur la mère de l'écrivain, atteinte de la maladie d'Alzheimer. Elle décrit la démence sénile de sa mère, ses réflexions, ses pertes de mémoire, son agressivité, sa dégradation physique (couches humiliantes). Cette description au plus près du réel se lit avec un sentiment d'empathie envers cette femme en fin de vie. Annie Ernaux se sent coupable de l'avoir confiée à une institution médicale. Tout est détaillé à l'extrême, jusqu'à l'os de l'événement. Sa mère ne sortira plus de cette nuit. Sa maladie aura duré deux ans et demi. Texte difficile, éprouvant. Ce journal intime peut déranger, mais il faut le lire comme un témoignage d'amour envers cette femme si complexe à comprendre. Annie Ernaux écrit cette phrase : "Ce jour ne s'est pas levé pour elle. Elle était la vie, rien que la vie, et la violence."  Je terminerai ce billet en évoquant un texte qui me semble majeur dans sa production : "Les Années", ouvrage édité en 2008, obtenant le prix Marguerite Duras. Cette œuvre originale résume le projet littéraire d'Annie Ernaux  : "retrouver la mémoire de la mémoire collective dans une méthode individuelle". Elle ne se considère pas comme "un être singulier, mais comme une somme d'expériences, de déterminations aussi, sociales, historiques, sexuelles, de langages, et continuellement en dialogue avec le monde (passé et présent)." J'ai relu "Les Années" en pensant à Georges Perec ("Les choses"), à Roland Barthes ("Mythologies") et j'ai retrouvé toutes les images, tous les slogans, les évènements, les ruptures historiques, tout un puzzle de notre siècle dernier vu par une femme écrivain qui, de temps en temps, pointe notre attention sur elle, Annie Ernaux, qui se raconte à la troisième personne du singulier. Je n'arrêtais pas de souligner au crayon des extraits, des phrases, des expressions : toujours ce miroir qu'elle nous tend pour partager sa vision du passé, de l'évolution sociale, des luttes politiques, en particulier des femmes, des mutations technologiques, de la consommation, de la publicité... Ce livre devrait être étudié comme un livre d'histoire et de sociologie, une tentative "d'épuisement du réel". J'aimerais citer des dizaines d'extraits mais je choisis la dernière phrase d'Annie Ernaux : "Sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais". Annie Ernaux écrit depuis 1974, et en 2008, c'est à dire trois décennies après, elle nous offre peut-être son chef d'œuvre... En attendant, la suite de ces "Années"... Mes amies-lectrices ont beaucoup apprécié l'ensemble de son œuvre, et mon rôle d'animatrice se résume à ce projet : faire découvrir un univers littéraire unique et original...

mercredi 25 février 2015

Atelier de lectures, 2

J'avais choisi Annie Ernaux pour la deuxième partie de l'atelier, consacré jusqu'à fin juin à un ou une écrivain dont l'œuvre me semble unique dans le panorama littéraire. Après Stefan Zweig en janvier, mes amies-lectrices devaient donc acquérir les nombreux ouvrages d'Annie Ernaux, parus dans la collection de poche, Folio. Je joue la parité dans l'atelier (un homme, une femme)... Je vais tenter de brosser le portrait de cette femme de lettres d'après le très bon article de Wikipédia. Elle est née en 1941 dans un milieu modeste car ses parents d'abord ouvriers, sont devenus petits commerçants à Yvetot, en Normandie. Ses origines sociales vont influencer fortement son œuvre. Très bonne élève à l'école, elle intègre l'université de Rouen, obtient le CAPES et l'agrégation de lettres. Elle enseigne à Annecy, à Pontoise et au CNED. La littérature prend une place prépondérante dans sa vie quand son premier roman autobiographique, "Les armoires vides, est publié en 1974. Elle emporte le prix Renaudot en 1984 pour son roman emblématique, "La place". Elle se consacre désormais à son œuvre qu'elle qualifie elle-même d'autobiographique. Dans l'atelier, chaque lectrice avait suivi mes conseils de lecture, et j'étais heureuse de constater que la table était couverte de folios d'Annie Ernaux. J'ai procédé par chronologie en démarrant par "Les armoires vides", le premier récit d'enfance de l'écrivain. Elle vit déjà le sentiment de décalage entre son milieu social et le milieu scolaire car son identité change avec l'acquisition du savoir. Ce thème de "transfuge" de classe traverse souvent tous ces textes et la jeune étudiante ressent sa vie comme une trahison. Dans la "La femme gelée", la discussion entre deux lectrices a mis l'accent sur la vision négative du mariage et de la maternité. Annie Ernaux décrit avec son scalpel habituel ("une écriture au couteau"), le malaise qu'elle a éprouvé dans son couple, jouant le rôle obligatoire de l'épouse modèle et de la mère parfaite. Dans "Passion simple" et "Se perdre", Annie Ernaux évoque ses amours passionnelles, sa jalousie envers son amant dans un langage souvent cru. Elle relate dans "L'évènement" un avortement, condamné à l'époque par la société. Il faut donc déjà remarquer qu'elle puise dans sa vie tous les évènements qu'elle écrit. Son œuvre est la copie de sa vie, une copie tellement intime que son lectorat féminin se lit en même temps, peut retrouver en Annie Ernaux des souvenirs familiaux, des expériences de femme adulte, des pensées, des idées... Comme son œuvre est très dense, j'aborderai demain ses œuvres plus récentes.  

mardi 24 février 2015

Atelier de lectures, 1

Nous étions une dizaine à nous retrouver pour partager coups de cœur et lectures d'Annie Ernaux. Je vais donc évoquer les quelques ouvrages que les lectrices ont découvert et aimé en ce début d'année. Je consacrerai deux autres billets sur Annie Ernaux, écrivaine contemporaine, une figure majeure dans notre planète littéraire française. Plusieurs lectrices ont déclaré forfait pour la partie coups de cœur, mais certaines ont présenté quelques titres. Annette a choisi un livre de montagne, "Docteur Vertical" d'Emmanuel Couchy, édité chez Glénat, un témoignage précieux sur le secours en montagne à Chamonix. Evelyne a beaucoup apprécié "le dictionnaire amoureux de la langue française" de Jean-Loup Chiflet, livre savoureux, bourré d'anecdotes sur des expressions, des écrivains, sur l'étymologie, etc. Elle nous a lu quelques passages qui montraient bien l'intérêt de ce dictionnaire. Janine nous a incité fortement à découvrir le dernier roman de Leonor de Recondo, "Amours" dont j'ai parlé dans ce blog. Ce beau roman, composé avec un esprit musical,  raconte l'histoire de deux femmes, l'une est une jeune bourgeoise, l'autre sa domestique. Elles s'aiment malgré tout dans un monde qui n'est pas fait pour elles. Mylène a choisi le récit de Florence Aubenas, "Quai de Ouistreham", paru dans la collection Points Poche. Elle relate dans un journal intime son expérience de "technicienne de surface" dans un ferry. Comme elle joue le rôle de femme de ménage, elle raconte le mépris des agents de Pole emploi, la vie harassante des précaires du ménage, du travail esclavage. Ce journalisme de témoignage social rappelle le récit de Gunther Wallraff, "Tête de turc" des années 80 sur le racisme en Allemagne. Geneviève aime beaucoup Laurent Gaudé et elle a lu son dernier roman, "Danser les ombres". Elle a retrouvé le souffle romanesque de cet écrivain, son style, et un sujet sensible sur le tremblement de terre à Haïti. Elle nous a fait découvrir un roman très original de l' écrivaine japonaise, Yoko Ogawa, "Le petit joueur d'échecs", publié chez Actes Sud en 2013. Ce roman poétique, fantastique et baroque dévoile la vie d'un jeune garçon, passionné du jeu d'échecs. Régine a apprécié "Le collier rouge" de Jean-Christophe Ruffin dont on a déjà parlé dans l'atelier. Elle a aussi été "captivée" par le dernier roman de Philip Roth, "Némésis", paru en Folio ce mois-ci, un très grand roman sur la culpabilité que ressent un jeune homme. Pour se racheter de ne pas avoir fait la guerre, il se sacrifie pour sauver des malades atteints de la polio en 1944. Régine a terminé les coups de cœur avec l'excellent roman de Tracy Chevalier, "La dernière fugitive"  ou l'histoire d'une femme quaker dans une Amérique de pionniers, découvrant la situation des esclaves migrants. Demain, j'aborde les œuvres d'Annie Ernaux...
 

lundi 23 février 2015

Renaissance culturelle

Depuis le début de l'année, j'ai intégré trois cours, un de littérature, un de philosophie et un de civilisation, animés et pilotés par un professeur d'université, Monsieur Daniel Caffiers.  L'association chambérienne, le Relais du Covet, propose ainsi un programme culturel de très grande qualité accessible à tous. Il suffit d'adhérer à un prix modique pour l'année et on peut assister à ces trois  matinées par semaine (le lundi, mercredi et jeudi). Je veux partager cette gourmandise intellectuelle en notes diverses dans ce blog. Cela me permettra de laisser une trace de ces cours où chaque participant peut s'exprimer, poser des questions, interrompre le "professeur" pour avoir des explications supplémentaires. Nous nous retrouvons une bonne vingtaine le lundi en littérature, une bonne cinquantaine le jeudi en philosophie et une bonne quinzaine le jeudi en histoire. J'ai l'impression de rajeunir en suivant ces rencontres souvent très conviviales et même parfois chahutées car chacun a envie de livrer son opinion personnelle en toute simplicité. Heureusement, Daniel, notre professeur joue le jeu en laissant la parole libre, en reprenant les idées des uns et des autres et en synthétisant les informations essentielles. Pendant le mois de janvier, mois très perturbé par les attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper cacher, la consternation, la sidération, l'effroi et la colère ont été vécus ensemble et cette solidarité nous a rassurés sur notre partage des valeurs communes. En janvier, nous avons étudié "Les Fleurs du Mal" de Baudelaire. Nous avons abordé en philosophie les notions de morale, du Bien, du Beau et j'ai enfin compris en profondeur le mythe de la caverne de Platon. En histoire, j'ai pris avec trop de retard l'histoire de Rome, et comme l'Antiquité me passionne, j'étais vraiment stimulée pour comprendre cette période historique, fondatrice de notre civilisation occidentale. Je désire donc évoquer ma nouvelle vie "d'étudiante", une drôle d'étudiante sexagénaire, enchantée de mettre un peu d'ordre dans sa culture littéraire, philosophique et historique grâce à la présence d'un professeur (à la retraite, lui aussi), un passeur de culture. J'en enfin du temps pour me cultiver en toute liberté, sans contrainte d'examen, de diplômes et de notes... Le plaisir retrouvé d'apprendre et de comprendre !

vendredi 20 février 2015

Hommage à André Brink

André Brink nous a quittés le 6 février à l'âge de 79 ans. Selon un article nécrologique du Monde, il était "l'ami de Nelson Mandela, un infatigable défenseur des droits humains et surtout l'un des plus grands romanciers sud-africains". Il a marqué des générations de lecteurs comme ses compatriotes écrivains, J.M. Coetzee et Nadine Gordimer, disparue le 13 juillet 2014. Né en 1935, sa mère était enseignante et son père, magistrat, descendants de colons boers, installés en Afrique du Sud depuis trois siècles. Il vit dans un milieu privilégié et apolitique. En 1959, il part à Paris après une double maîtrise d'afrikaans et d'anglais. A la Sorbonne, il remarque la présence d'étudiants noirs, et il prend conscience de l'apartheid dans son pays. La découverte de la littérature française avec Hugo, Zola, et surtout Camus l'influence sa vision de la société africaine. En 1964, il publie son premier roman "L'Ambassadeur". Il quitte la France en 1968 pour son pays. Il choisit la littérature comme arme de combat et certains de ses romans sont censurés comme "Au plus noir de la nuit" en 1976.  Il obtient le prix Médicis avec "Une saison blanche et sèche" en 1980.  André Brink a traduit en afrikaans les auteurs suivants (entre autres) : Shakespeare, Cervantès, Simenon, Camus, Duras. Il n'a jamais quitté les bancs de l'université jusqu'à sa retraite. J'ai voulu évoquer cet écrivain que j'ai lu régulièrement pendant quarante ans et que j'avais un peu délaissé. J'ai toujours préféré l'immense Nadine Gordimer qui me touchait davantage. Mais, je n'oublie pas l'influence littéraire et politique d'André Brink et je ne manquerai pas de découvrir ses mémoires publiées en 2008, "Mes bifurcations" et son dernier roman, "Philida".  Je dis souvent que j'ai deux familles, celle de ma vie personnelle, et celle de ma vie littéraire. Je viens donc de perdre l'un des membres les plus éminents de ma seconde famille... Je citerai pour terminer mon hommage cette phrase extraite "d'Une saison blanche et sèche" : "Il n'existe que deux espèces de folies contre lesquelles on doit se protéger. L'une est la croyance selon laquelle nous pouvons tout faire. L'autre est celle selon laquelle nous ne pouvons rien faire."   

mercredi 18 février 2015

"Amours"

J'avais remarqué Léonor de Recondo à la sortie de "Rêves oubliés", un joli roman ayant pour cadre la Guerre civile espagnole. Elle propose son quatrième opus, "Amours" chez son éditeur Sabine Wespieser. L'histoire se passe en 1908 dans un bourg du Cher. Victoire, jeune femme insatisfaite, est mariée depuis cinq ans avec le notaire de la bourgade. Mais ce mari, nommé Anselme, se permet sans remords de rejoindre la "petite bonne" de la famille, Céleste, et la viole régulièrement. Il arrive alors la redoutable conséquence de la conduite patriarcale du maître, Céleste attend un enfant. La petite bonne de 17 ans cache cette grossesse le plus longtemps possible mais, Victoire la découvre et lui propose de garder l'enfant qui sera adopté par le couple, un arrangement un peu détonnant pour l'époque. Mais, Victoire sait qu'elle n'aura pas d'enfant et cette solution lui convient à merveille. Céleste accepte ce contrat avec une lucidité due à son rang de domestique. Elle met un petit garçon au monde et le stratagème fonctionne dans le milieu familial. Le roman pourrait s'arrêter à ce moment-là mais, Leonor de Recondo creuse le texte et le motif en créant une histoire d'amour entre Victoire et... Céleste, histoire d'amour audacieuse et clandestine, émouvante et inhabituelle. Céleste va prendre en charge son bébé avec la complicité de Victoire. Elles vont se découvrir en femmes libres en osant même faire un séjour à Paris. Le mari ne soupçonne pas la liaison amoureuse des deux femmes sous son propre toit. Mais, le réel rattrape nos deux amoureuses. Leur différence sociale et leur amour interdit par la société sont des obstacles infranchissables. Leonor de Recondo offre à ses lecteurs(trices) un roman très XIXe siècle mais avec un esprit contemporain dans le choix d'une relation amoureuse hors du commun en ces temps corsetés par la morale et par le conformisme social. Pour conclure, je cite Christine Ferniot dans la revue Lire : "Amours n'est pas un roman de terroir, une aventure sociale, ni une fiction historique, mais un livre qui décrit la force du sentiment, la puissance instinctive du désir et le sens du sacrifice dans un monde cadenassé qui a tout voir avec le nôtre".

mardi 17 février 2015

"Echapper"

Le dernier roman de Lionel Duroy, "Echapper" donne envie de découvrir un roman de Lenz et un peintre, Emil Nolde. Le roman en question, "La leçon d'allemand" déclenche son départ de Paris pour Husum, près de la frontière danoise, au bord de la mer du Nord. L'écrivain s'attache à décrypter le personnage du peintre, inspiré d'Emil Nolde, qui le fascine et le bouleverse car les nazis lui avaient interdit de peindre, considérant sa peinture comme de l'art dégénéré. Le policier du village devait le surveiller alors qu'il était son ami. Le narrateur, Augustin, le double littéraire de Lionel Duroy, s'installe donc dans cette région pour écrire son roman. Il recherche les témoins de ce destin brisé et rencontre une jeune femme qui prépare une thèse sur le peintre. Ils vont vivre une histoire d'amour toute en délicatesse et toute en communion, unis par leur enquête sur Nolde. Toute l'œuvre de cet écrivain raconte la vie de ce narrateur, mélangeant la fiction à la réalité, l'autobiographie à l'autofiction. Dans un très bon article du "Figaro littéraire", Alice Ferney évoque l'effet "poupées russes" : "La remémoration permanente est l'un des instruments de Lionel Duroy. De livre en livre, Augustin raconte sa vie d'homme et son travail d'écrivain. Ainsi se fabrique une œuvre en poupées russes : chaque livre contient tous ceux qui l'ont précédé. (...) Avec "Echapper", l'effet de sédimentation devient prodigieux." Après ces louanges méritées, je conseille de découvrir l'œuvre de Lionel Duroy dans sa totalité et comme Patrick Modiano, cet Augustin traque dans ses histoires récurrentes, l'amour perdu, retrouvé, reperdu, et surtout pose la question de l'art en prenant le modèle d'Emil Nolde. Il analyse le rôle de la littérature dans la vie, dans sa vie. Il veut tout dire, au risque de ruptures amoureuses et familiales. Dans ce Nord isolé, il retrouve l'inspiration et un certain apaisement. Ce livre dégage aussi une certaine atmosphère, celle de ce Nord de l'Europe, venteux, brouillardeux, gris, un pays à digues comme un symbole vivant, une lutte morale contre son propre désarroi intime. Un beau roman en ce début d'année...

vendredi 13 février 2015

Rubrique cinéma

Cet après-midi, j'avais envie de voir un bon film et j'ai choisi "Les merveilles" à l'Astrée. La réalisatrice, Alice Rohrwacher, raconte une saga familiale qu'elle situe en Toscane, à la limite de l'Ombrie. Comme dans un jeu de cartes, il y a le père, d'origine allemande, bourru, toujours vociférant ses ordres, faisant travailler ses quatre filles, sa femme et sa belle-soeur. Il maintient sa tribu loin de la ville, dans un monde préservé et naturel, en autarcie. Son comportement à la limite d'une certaine violence le fragilise aux yeux de sa femme. Sa principale activité concerne l'apiculture et nombreuses sont  les scènes où on les voit tous, s'occuper des ruches, des abeilles, de la récolte du miel, de la mise en bocal. Tout tourne autour de cette activité. La fille aînée, Gelsomina, rencontre un jour une dame-licorne, comédienne d'une émission de télé-réalité sur les producteurs authentiques du terroir. Gelsomina veut inscrire son père à ce concours mais lui ne veut pas en entendre parler. Il fuit le monde médiatique et ne supporte pas l'irruption de la nouveauté dans sa vie marginale. Ils reçoivent aussi un jeune délinquant allemand pendant les vacances pour arrondir leur fin de mois. Ce jeune garçon, rétif à tous les gestes d'attention, se mure dans le silence. Les filles l'apprivoisent peu à peu au fil des jours et du travail à la ferme. Le moment approche où le jeu télévisé présente les candidats dont l'apiculteur pourtant opposé à ce jeu de cirque médiatique : vont-ils choisir le miel écolo du père ? Je ne donnerai pas la réponse. Il faut aller voir ce film étrange, poétique, hors du temps d'aujourd'hui, atypique. Le personnage de Gelsomina illumine le film, car elle symbolise l'inévitable envol de la jeunesse loin du cocon familial, de la complicité entre les sœurs et de l'amour parental. Un film subtil, au goût de miel, sonorisé par le bruissement de milliers d'abeilles...

mercredi 11 février 2015

"Dictionnaire chic de philosophie"

Frédéric Schiffter se qualifie lui-même de "nihiliste balnéaire" car il vit à Biarritz où il exerce le métier de professeur de philosophie. Son dictionnaire ressemble à un abécédaire autobiographique, très agréable à lire et à consulter comme un livre de bord. Ce philosophe atypique peut aussi agacer, énerver, contrarier mais il peut aussi attirer une complicité immédiate. Il écrit des essais aux titres explicites : "Philosophie sentimentale", "Le charme des penseurs tristes", "Sur le blabla et le chichi des philosophes", etc. Il craint le politiquement correct, le conformisme de la pensée, le juste milieu, les trompettes de la renommée, le larbinat, le consumérisme. Comme il apprécie follement l'océan et les vagues, son dictionnaire chic joue sur l'effet surf. Quand on contemple ces chevaliers des ondes vigoureuses, le regard se promène sur celui qui se lève sur la planche et dévale la vague, sur celui qui plonge avant la montagne d'eau, sur celui qui utilise ses mains pour ramer... Un vrai spectacle à savourer, et j'ai lu Schiffter de cette façon, en appréciant certains articles où il franchissait les mots avec bonheur, d'autres avec moins de facilité, l'idée étant trop obscure. Le philosophe a la dent dure contre les célébrités "philosophiques" comme le "bouddhiste" Mathieu Ricard, "l'imposteur" Michel Onfray, Roger-Pol Droit aux multiples livres de vulgarisation philosophique. Il nous confie aussi ses liens avec sa famille philosophique : Socrate, Montaigne, Schopenhauer, Clément Rosset et bien d'autres, tous pétris de doute inné, de scepticisme dandy, de désespoir élégant, de chagrin léger, de misanthropie joyeuse. Je pourrai citer des dizaines de phrases percutantes, impertinentes, lucides sur la société, la vie, les humains. J'ai choisi celle qui résume son état d'esprit : "Je continue à cultiver mon anarchisme comme un état d'âme. Un mélange de misanthropie et un besoin de tendresse. (...) Je demande que ma vie indolente se poursuive et que la nostalgie me préserve pour longtemps encore des folies de l'espérance". Frère de Baudelaire, fils de Montaigne, Frédéric Schiffter a écrit un dictionnaire "chic" à l'odeur salée de Biarritz, où il avoue, malgré son nihilisme viscéral, son goût d'une "bonne vie",  libre et légère, bercée par le mouvement incessant des vagues basques...

lundi 9 février 2015

"Mentir n'est pas trahir"

Angela Huth écrit depuis les années 90 (elle est née en 1938) et elle a conquis un public fidèle. Pour les lecteurs(trices) qui aiment la littérature anglaise de qualité, féminine et féministe, subtile et familière, raffinée et accessible, alors il faut découvrir Angela Huth. Tous ses romans sont édités chez l'éditeur Quai Voltaire et je me souviens en particulier d'un titre,  "Un fils exemplaire" qui m'avait beaucoup intéressée. Dans son dernier opus, "Mentir n'est pas trahir", on retrouve avec plaisir l'histoire d'une famille "idéale" : un père aimant, travailleur, fidèle, une épouse aimante, femme au foyer, un fils adolescent gentil. Ce tableau d'un trio familial semble vraiment idyllique. Mais, le mari, Gladwyn, rend visite à sa vieille mère qui vit à la campagne. Il rencontre par hasard une jeune femme, victime d'une chute de bicyclette. Il l'accompagne aux Urgences et la reconduit chez elle. Elle vit seule dans un cottage. Manifestement, ils se plaisent mais le mari retourne à sa vie quotidienne, toute en douceur et en quiétude. Il ne peut pas s'empêcher de penser à elle et quand il reçoit un signe de sa part, il lui rend visite et commence entre eux une histoire d'amour-coup de foudre qui le rajeunit soudain. Il va vivre une vie coupée en deux. Il se met donc à pratiquer le mensonge pour épargner sa chère Blithe  et sa Lara chérie. Ni l'une, ni l'autre ne soupçonnent la vérité : celle d'un homme qui aime sincèrement et l'une, et l'autre. Ce roman raconte les angoisses de cet homme, si gentil au fond et qui veut rendre heureux ces deux compagnes... Angela Huth manie l'humour avec une extrême délicatesse quand elle dépeint un adultère entre un homme dépassé par les événements et deux femmes adorables de dévotion, de gentillesse et d'amour. Mais, Angela Huth nous réserve une surprise à la fin du livre : Gladwyn va-t-il choisir ? Avouer ? Divorcer ? Malheureusement, la vie n'est pas si drôle. Je ne donne pas les réponses car il vaut mieux lire le roman pour apprécier le talent d'Angela Huth !

vendredi 6 février 2015

Quand les livres brûlent

Après avoir vu des images terribles d'autodafé en Allemagne, en Autriche quand les nazis prenaient le pouvoir, l'Histoire se répète dans ses plus sombres instincts de destruction, d'anéantissement de la culture et de la pensée. J'ai lu dans la presse l'information suivante : "Le mois dernier, les combattants de l'Etat islamisque auraient pris d'assaut la Bibliothèque centrale de la deuxième ville d'Irak afin de détruire deux milliers d'ouvrages éducatifs, scientifiques ou encore dédiés à la jeunesse, invoquant la désobéissance à Dieu". Dans cet article, le journaliste évoque qu'ils ont épargné les livres sur l'Islam. La poésie, la philosophie, le sport, les sciences, la santé sont des domaines "impurs" à leurs yeux et complétement inutiles, voire nuisibles. On se croirait dans des temps éloignés, obscurantistes et que l'on souhaite définitivement disparus. Comme j'ai la passion des livres et de la culture, ces actes barbares me sidèrent et je ne parle même pas des horribles meurtres par décapitation des otages qu'ils détiennent. L'inhumanité de ces combattants s'applique aux hommes, aux femmes et aux enfants. Les livres ne sont que des objets en papier, certains pourraient se dire que ce n'est pas très grave après la violence meurtrière sur les ennemis, les mécréants. Mais, brûler des livres démontre que la barbarie est proche de nous et on ne mesure pas assez le bonheur de vivre dans notre Europe où chacun peut rentrer paisiblement dans une librairie, dans une bibliothèque, chez un bouquiniste, dans une maison de la presse. Je me rends compte de cette chance là, de vivre dans un pays où existent la liberté de lire ou de ne pas lire, la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté de choisir sa vie, de s'éduquer, de s'informer, de vivre dans un espace commun à tous sans distinction de classe, de religion, dans une paix sociale parfois fragile comme on l'a vécu en janvier dernier. Quand les livres ne brûleront plus, le monde sera plus respirable...  

jeudi 5 février 2015

"Un secret du docteur Freud"

J'ai toujours été intéressée par Freud, la psychanalyse et la psychologie. J'ai donc lu un roman d'Eliette Abécassis, "Un secret du docteur Freud", paru chez Flammarion en 2014. Quand un écrivain se saisit d'une personnalité historique, on ne s'étonne pas de le voir broder des biographies romancées. Pour Freud, c'est déjà plus original, plus risqué aussi. Si le lecteur(trice) n'a pas une certaine connaissance de la psychanalyse, il peut le lire quand même et trouver en parallèle dans des documentaires et des encyclopédies, la vie de Freud, son œuvre et sa pensée. Eliette Abécassis a choisi d'évoquer la fuite de Freud en 1938 quand les nazis ont envahi l'Autriche. Le psychanalyste convoque tous ses amis, tous ses confrères pour les encourager à quitter ce pays annexé au Reich. Les nazis abhorrent cette nouvelle science mystérieuse qui parle de sexualité, de maladies nerveuses, de névroses, de psychoses, de  refoulement, de désir, etc. Freud pose une condition à son départ : il veut récupérer des lettres qu'il a écrites à son ami Fliess, un disciple-ami avec lequel il s'est brouillé. Rentrent en scène dans cet ouvrage, un nazi, Anton Sauerwald, ambigu et étrange, Marie Bonaparte, voulant à tout prix sauver Freud et son héritage, Martha, l'épouse fidèle, ses enfants dont Anna. L'écrivaine détaille avec rigueur et sobriété la fin d'un monde, d'un mode de vie à Vienne où la psychanalyse était représentée par un cercle d'intellectuels éclairés et profondément attachés à l'avancée d'une des plus grandes découvertes révolutionnaires du XXe siècle. J'ai imaginé le bureau de Freud, un cabinet de curiosités, peuplé de statuettes greco-romaines, d'objets divers et de tableaux. Comme je venais de lire "Le monde d'hier" de Stefan Zweig, j'ai retrouvé cet esprit viennois, fulgurant d'intelligence et de culture. Ce roman a le mérite de stimuler notre curiosité sur Freud et le milieu psychanalytique. Et je ne dévoilerai pas la raison des tourments de notre docteur concernant une lettre qu'il veut récupérer...

mercredi 4 février 2015

"Joë"

Guillaume de Fonclare  a relaté dans ses deux livres précédents son combat contre une maladie dégénérative qui diminue son autonomie physique. Il est contraint d'utiliser un fauteuil électrique et des béquilles. Il a donc pris comme compagnon de route, un poète, un écrivain qui comme lui, a vécu avec un handicap majeur. Joë Bousquet a été blessé à l'âge de 21 ans dans la bataille de Vailly pendant la Grande Guerre. Sa blessure le condamne à rester dans sa chambre pendant plus de 30 ans. L'auteur s'adresse à Joë dans un dialogue imaginaire. Les deux hommes sont "couchés" mais "debout" dans leur tête, leur mental, leur psychisme, malgré cette maladie invalidante et effrayante. Il raconte avec empathie, la vie du poète de Carcassonne, ses amours, ses amitiés, et surtout son œuvre littéraire. Joë Bousquet reçoit beaucoup dans sa chambre-salon : Paul Eluard, André Breton, Dali, Max Ernst, etc. Il vivait, malgré son corps malade, une existence intense et exceptionnelle. Je cite ces quelques lignes quand il visite la chambre du poète : "(...) l'esprit peut tout quand il est à l'œuvre. (...) Devant ce lit aux draps d'une blancheur éclatante, devant les rayonnages de votre bibliothèque, cette certitude est devenue très concrète ; je saisis à votre chevet que l'invalidité n'existe pas, qu'elle n'est elle qu'une création de l'esprit. Certes, il y a les contraintes, les terribles contraintes, les douleurs et les renoncements. (...) Mais si l'esprit demeure, si la force d'inventer est intacte, on peut vivre, vivre vraiment, intensément, et espérer le bonheur." Ce livre, à la fois biographique (le poète) et autobiographique (l'auteur lui-même), est un éloge de la littérature, de la création poétique. Cette amitié spirituelle entre ces deux hommes blessés, entre ces deux écrivains partageant la même expérience d'un corps souffrant, ne peut que retenir l'attention du lecteur(trice). Je suis née à Carcassonne et mes parents ont habité la rue de Verdun, la même rue où se trouvait la maison incandescente du poète. Et ils ne sont jamais croisés... Je me promets de retourner dans ma ville natale pour visiter le musée consacré au poète. Guillaume de Fonclare évoque un grand poète injustement oublié de nos jours et stimule notre curiosité pour découvrir ses ouvrages. Cet essai biographique conte une belle rencontre amicale et littéraire.
 

mardi 3 février 2015

Atelier d'écriture

Nous étions une bonne dizaine de "camarades en écriture" cet après-midi malgré un froid glacial en ville. Le premier exercice que Marie-Christine nous a donné, portait sur le temps que l'on ne voit pas passer. Elle nous a fait écouter une chanson de Ferrat et nous avons choisi un mot concernant un objet symbole du temps. Après avoir noté les mots chronomètre, horloge, montre, agenda, sablier, calendrier, gousset, minuteur, carbone 14, clepsydre, cadran solaire, coucou suisse, nous avons composé chacune un texte avec un mot de la liste. J'ai choisi la montre :
O voleur !
Combien de montres ont défilé autour de mes poignets ? La première date de la Communion solennelle, petite, avec un bracelet en cuir, en or de la marque Lipp, offerte par une vieille tante argentée. Cette montre au look archaïque est restée peut-être deux à trois ans sur moi. Puis, lors de mon adolescence rebelle, la "Lipp" a rejoint la boîte à bijoux. Le temps s'est transformé de précieux en décontracté. Bonjour, les montres gadgets, fluorescentes, délirantes, plastifiées, sportives, étanches. La folle jeunesse n'a qu'un temps, hélas, et mes montres se sont cassées, se sont perdues, ont été données.  Puis, il fallait montrer son sérieux quand on devient un adulte et mes montres ont pris un petit coup de vieux. Ma galerie temporelle s'est constituée d'une montre littéraire avec deux aiguilles en forme de stylo, d'une autre en or, de Suisse, offerte par une mère aimante, une autre marquée du sceau d'un magazine, une autre, ovale et sophistiquée, toutes portées un moment, toutes délaissées dans un tiroir. Elles m'accompagnaient pour traverser le temps, certaines ne respiraient plus, certaines gardaient encore un filet de vie. Un jour, un vilain voleur s'est introduit dans ma maison et il a dérobé mes petits trésors bien modestes. J'ai compris que mon voleur m'avait libérée du temps, des heures, des jours, des mois et des années. J'ai vécu sans temps, mais on finit par ressentir une nostalgie du temps perdu. Alors, je me suis rendue dans une bijouterie pour acquérir une montre que je ne perdrai plus des yeux. Le temps file vite, trop vite mais , j'aimerais le voir passer le plus longtemps possible !"
Deuxième exercice sur le thème de la liberté d'après Paul Eluard.
Voici mon hymne de la liberté :
Sur le sable d'une plage, sur le fronton d'un village, sur les flancs d'une montagne, sur les bords d'un nuage,
Sur les laves de l'Etna, sur le désert du Sahara, sur les tours de New York, sur les ponts de Venise,
Sur les piliers de l'Assemblée, sur les marches d'une église, sur les tapis d'une mosquée, sur les bancs d'une synagogue,
j'écris ton nom, liberté et je crie ton nom, République...

lundi 2 février 2015

Rubrique cinéma

Le film du réalisateur allemand, Christian Petzold, évoque une époque noire de notre histoire contemporaine. Comme j'ai suivi l'extraordinaire documentaire en huit épisodes sur l'Holocauste, "Jusqu'au dernier, la destruction des Juifs d'Europe", le film "Phoenix" bien que tout à fait fictionnel, m'a plongée dans un drame que des survivants des camps auraient pu vivre. Dans un article du Monde, le critique parle "d'un fantôme qui dérange les vivants". Revenue d'Auschwitz en juin 1945, Nelly (interprétée par Nina Hoss)  est retrouve défigurée par une balle. Une amie l'accompagne dans une clinique pour la reconstruction faciale, opération douloureuse et insupportable pour son identité. Elle veut ressembler à celle qu'elle était. Son obsession est de reprendre le cours de sa vie d'avant quand elle était mariée avec son Johnny, un pianiste de jazz. Son amie lui conseille de "tourner la page" d'autant plus qu'elle vient d'hériter de la fortune de ses parents, morts dans un camp de concentration. Elle lui propose de partir en Israël pour refaire sa vie. Mais, Nelly ne veut pas admettre que son mari l'a trahie. Elle le cherche dans des boîtes de nuit et finit par le rencontrer. Comme il la croit morte, il ne peut pas imaginer qu'elle est devant lui car le camp l'a transformée. Il lui propose pourtant de jouer le rôle de sa femme disparue pour une ressemblance troublante, car il veut récupérer son héritage. Elle accepte le défi, devient la femme d'avant et observe avec sidération la trahison de son mari. Il organise des retrouvailles avec des amis qui tous reconnaissent Nelly. Le plan machiavélique de son mari semble fonctionner. Nelly finit par comprendre sa duplicité et sa malhonnêteté. La scène finale où elle se met à chanter, accompagnée au piano par ce Johnny, minable et pitoyable, marque le renouveau dans sa vie. Elle va pouvoir enfin "tourner la page" et quitter cet homme indigne de son amour. Un beau film, sombre et émouvant, sobre et intense...