jeudi 26 mai 2022

La Bretagne, "Composition française"

 Quand je pars dans un pays ou dans une région, je glisse dans mon sac un livre correspondant à l'ambiance de mon escapade. Pour la Bretagne, j'ai choisi "Composition française" de Mona Ozouf. Le sous-titre s'intitule "Retour sur une enfance bretonne". Paru en 2009 chez Gallimard, cet essai sur les identités bretonne et française pose le problème délicat de la cohabitation symbolique entre la religion et la république, les coutumes et la modernité, l'imaginaire celtique et la laïcité française. L'historienne se saisit de son histoire familiale pour décrire cette double culture. Sa grand-mère l'a élevée dans la langue bretonne : "L'identité bretonne, incarnée pour moi à la maison, par la personne de ma grand-mère et quotidiennement vécue à ses côtés, était aussi lue, apprise, voulue". Son père, Yann Sohier, qu'elle perd trop tôt à l'âge de quatre ans est un intellectuel militant de la cause bretonne. Mona Ozouf raconte ses lectures en breton dans la bibliothèque familiale. Elle décrit son parcours scolaire exemplaire de l'école communale de Plouha au collège de Saint-Brieuc jusqu'à l'hypokhâgne de Rennes. Sa professeur de français en troisième s'appelle Madame Guilloux, l'épouse de l'écrivain Louis Guilloux. Sa grand-mère symbolise ses racines bretonnes et sa mère, institutrice de métier, l'intègre dans la culture française. A 21 ans, elle adhère au Parti communiste comme beaucoup d'intellectuels de son époque. Mona Ozouf évoque les trois identités sur lesquelles elle a construit sa personnalité, sa vocation d'historienne : la maison, l'école et l'église. Comment cohabiter en soi avec ses trois mondes qui ne s'accordent pas toujours ? La maison parlait breton, l'école parlait français, et l'église contredisait les deux précédentes. Lire cet essai pendant mon séjour en Bretagne m'a bien fait comprendre le pays que je traversais. Tous les panneaux de signalisation comportaient la traduction en breton des villages et des villes. Les bateaux arborent le drapeau breton. Je vis cette double identité au Pays basque où langue et coutumes imprègnent le paysage de mon pays natal. Je ne me sentais pas du tout en terre étrangère mais dans un bout de France à l'identité bien ancrée dans un territoire. Conserver une langue natale d'origine celtique ou la langue basque à l'origine inconnue me semble une richesse culturelle évidente. Mona Ozouf a bénéficié de cette chance auprès de sa grand-mère, un trésor linguistique à perpétuer comme notre si belle langue, le français pour tous et pour toutes. J'ai surtout apprécié la partie de son enfance et de sa formation intellectuelle. Les commentaires sur la Révolution française sont plus difficiles à suivre. Il faut découvrir cette autobiographie dense et superbe d'une très grande historienne dont l'humilité et l'humanité ne laissent aucun doute.