mercredi 4 mai 2022

"L'Etrangère"

 Je n'avais jamais lu cet écrivain hongrois, emblématique du XXe siècle européen, Sandor Marai. J'ai donc découvert récemment son roman, "L'étrangère", publié en 1934. Je l'ai conseillé dans ma liste sur les ruptures dans le cadre de l'Atelier Littérature. Le personnage central, Viktor Askenazi, 48 ans, professeur de grec et de latin, quitte sa maîtresse après avoir rompu avec son épouse et son enfant. Il travaille à Paris mais, il part se refugier dans un hôtel de la côte dalmate, l'actuelle Dubrovnik,  pour faire le point sur sa vie. Pendant quatre jours, il va retracer son existence insatisfaisante car dénuée de sens et de fantaisie. Ce professeur traverse une dépression "souterraine" et se définit ainsi : "Vit à Paris. Quarante-huit ans. Catholique romain. Professeur à l'Ecole des langues orientales en littérature grecque et langues d'Asie mineure. Marié. un enfant". Qui est-il vraiment en dehors de cette constatation plate et objective ? Il se le demande lui-même et sa descente en enfer va démarrer dans cet hôtel de vacances. Une vacance en fait dans sa tête. Un vide existentiel qui s'opère en lui de manière inexorable. Seuls, les objets qu'il possède le rassurent, lui apportent un ancrage dans un réel prosaïque. Ses questions sur le mariage, sur l'adultère l'amènent dans une impasse qui relativisent les conventions sociales et le conformisme ambiant (surtout au début du XXe siècle). Il s'éprend d'une "étrangère" dans l'hôtel, discrète et mystérieuse, une relation plus fantasmée que vécue. Ses interrogations sur les femmes de sa vie semblent dominées par l'incompréhension, une incommunicabilité pathologique.  A force de se torturer l'esprit, il va commettre une faute irréparable pour mettre fin à ses propres tourments. Ce personnage peu empathique rappelle les héros négatifs d'Albert Camus dans "L'étranger", une coïncidence pour le titre du roman. Le thème de l'absurde dans la condition humaine semblerait assez juste pour comprendre le roman de Sandor Marai. A quoi bon toute cette agitation autour de la société quand tout semble faux et inauthentique ? Ce professeur avec sa lucidité suicidaire, submergé par l'angoisse, ne peut s'en libérer qu'avec la pulsion de mort. Ce roman sombre et quasi freudien se lit avec intérêt même si ce n'est pas le meilleur de l'écrivain. L'ambiance de cette époque des années 20 dans la Mitteleuropa est omniprésente et l'on songe à Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, Ernst Lothar ou Franz Werfel. Des écrivains d'une modernité redoutable.