vendredi 27 août 2021

"Un fantôme dans la bibliothèque"

Cet essai, "Un fantôme dans la bibliothèque",  m'attendait depuis deux ans et sommeillait tranquillement dans ma bibliothèque. J'avais aimé son titre, car pour une bibliothécaire, ce terme désigne une fiche qui matérialise l'ouvrage emprunté par un lecteur. Maurice Olender, l'auteur en question, est historien, philologue, spécialiste des langues ("Les langues du paradis") et de la question de la race ("Race sans histoire). Cet intellectuel remarquable dirige aussi une collection interdisciplinaire du Seuil, "La Librairie du XXIe siècle". J'ai découvert dans ce catalogue exceptionnel, des écrivain(e)s et des penseurs singuliers comme Lydia Flem, Yves Bonnefoy, Marc Augé, Nicole Loraux, Georges Perec, Antonio Tabucchi et tant d'autres. J'ai enfin ouvert l'essai de Maurice Olender après l'avoir écouté sur France Culture dans une émission intitulée "A voix nue". Ces cinq séquences m'ont servi d'introduction pour mieux comprendre cet ouvrage érudit. Les chapitres délimitent la pensée profonde de cet intellectuel, né à Anvers dans une famille juive en 1946 : "Lorsque j'arrive dans cet univers en 1946, c'est un dépôt de cendres". Il raconte son premier métier, cliveur de diamants, quand il était jeune. Mais, sa véritable naissance à l'écriture et à la littérature démarre à la lecture de Spinoza, de Nietzsche et à l'écoute de Bach. Une question l'obsède : "Comment a-t-on le droit d'apprendre à lire, à écrire, si la lecture et l'écriture peuvent conduire à légitimer la mort de millions de jeunes hommes valides, ni soldats, ni combattants, d'enfants, de femmes et de vieillards ?". Pour appréhender cette barbarie humaine, ce phénomène inexplicable, il a entrepris des études d'archéologie et de philologie. Il évoque son goût pour l'archive, seul témoin des temps passés : "Quant à la poursuite sans fin de la collecte des archives, (...) elle signale sans doute la réalisation d'un rêve humain ordinaire ; servir d'abri à ce qui se perd". Cette passion des archives s'appuie aussi sur son immense bibliothèque personnelle : "On peut aimer s'entourer de livres pour rêver de les lire. Et si la fonction la plus efficace de toute bibliothèque était d'inciter à une lecture sans fin qui n'aura jamais lieu ?". Ce recueil de récits, de rêves et d'archives personnelles aux titres explicites comme "Matériau du rêve, L'Inassimilable, De l'absence de récit,  Lettre d'amour, Une magie de l'absence" devient un "jeu de piste où la mémoire et l'oubli jouent à cache-cache".  Maurice Olender traque ces "fantômes" dans ce duo présence-absence, fantôme des disparus, des traces, de l'oubli dans cet essai passionnant à lire. Dans les entretiens de France-Culture, il recommande la lecture des textes dits "difficiles" et même si la compréhension peine à surgir, les quelques bribes textuelles assimilées justifient amplement la démarche. Ce "Fantôme dans la bibliothèque" est reparti dans les étagères de mes relectures futures.