mardi 7 février 2023

Rubrique Cinéma : "Les Banshees d'Inisherin"

 J'ai vu le film de Martin McDonagh, "Les Banshees d'Inisherin", et quand je suis sortie de la salle du Forum, j'étais vraiment impressionnée par la beauté des images, par la bande son sans oublier des personnages inoubliables. L'histoire se passe dans les îles d'Aran, un bout du monde en 1923 dans le contexte d'une guerre civile. Padraic, le bouvier, (interprété par Colin Farrell) dans la quarantaine se dirige vers une maison isolée en bord de mer pour retrouver un vieil ami, Colm, le ménétrier (Brendan Gleeson). Comme tous les jours, ils vont aller dans le seul pub de l'île où tous les habitants (surtout des hommes) se donnent rendez-vous pour boire une pinte de bière. Ce jour-là, Colm n'ouvre pas sa porte et reste chez lui. Le lendemain, Padraic, ne comprenant pas l'attitude de son meilleur ami, renouvelle sa visite. Mais, Colm déclare à son ami qu'il ne veut plus le voir. Il préfère s'adonner exclusivement à la musique pour laisser une trace avant de mourir et ne souhaite pas perdre de temps en bavardages vains. Il dit même à Padraic : "Tu es creux". Il veut mettre fin à leur relation et le menace de se couper les doigts de la main s'il persiste à lui adresser la parole. Cette situation dramatique sert de leitmotiv, de fil conducteur. Comment accepter ce verdict d'une amitié perdue ? Le héros modeste et un peu limité intellectuellement se heurte à un mur. Il s'entête dans sa démarche et ne renonce pas à comprendre l'attitude absurde et méchante de Colm. Dans ce monde âpre où la solitude des habitants se lit sur leurs visages, Padraic, cet homme paisible et bienveillant, refuse ce désamour amical et rêve de gentillesse, de sympathie commune. Il s'obstine à demander des comptes à son ami d'antan. Celui-ci, excédé, se coupe un doigt et le lance sur la porte de la ferme de Padraic. L'histoire bascule après cette mutilation volontaire effrayante. Le comique de la situation de deux amis fâchés se transforme en tragédie et la violence se met à grimper dans une spirale folle à l'unisson de la guerre civile qui se déroule en Irlande. D'autres personnages apportent au film une touche humaine : la sorcière du village, le curé, le patron du pub, la postière cancanière, le fils handicapé du policier, et surtout la sœur de Padraic, une mère pour lui, aimante et patiente qui finira par choisir l'exil pour fuir la violence de l'île. Le réalisateur pose la question du rapport aux autres, du besoin essentiel de socialisation et de communication. La scène où le cheval et une vache vivent à l'intérieur de la salle à manger symbolise la solitude absolue de Padraic. Le drame éclate à la fin du film entre les deux hommes qui vont "purger" leur différent dans des actes d'une violence inouïe. Il faut voir ce film d'une beauté fascinante sur le plan esthétique qui interroge le Bien et le Mal. la paix et la guerre, l'amour et la haine. Un chef d'œuvre, comme j'en ai vu rarement au cinéma depuis longtemps.