jeudi 8 septembre 2022

"Le Trésorier-payeur", Yannick Haenel

Yannick Haenel revient dans cette rentrée littéraire avec son puissant "Le Trésorier-payeur", publié chez Gallimard. Ce roman ambitieux et ultra littéraire raconte l'histoire allégorique d'un trésorier-payeur à Béthune. Il se nomme Georges Bataille comme l'écrivain français à la réputation érotique sulfureuse. Mais, avant de mettre la lumière sur ce personnage, il commence son livre par une explication sur la matrice de son livre et sur sa conception de la littérature qu'il définit ainsi : "Il n'y a rien de plus beau qu'un roman qui s'écrit ; le temps qu'on y consacre ressemble à celui de l'amour : aussi intense, aussi radieux, aussi blessant. On ne cesse d'avancer, de reculer, et c'est tout un château de nuances qui se construit avec notre désir". Le narrateur écrivain se rend dans une ancienne succursale de la Banque de France à Béthune, devenue un centre d'art. Il apprend que le Trésorier-payeur s'appelait Georges Bataille. Cet homme a fait sa carrière entre 1999 et 2007. Il invite ensuite le lecteur(trice) à suivre ce drôle de banquier philosophe dans une biographie romanesque et économique. Féru de philosophie, ce Georges Bataille choisit pourtant une école de commerce pour comprendre les rouages de l'économie mondialisée. Il se conduit en fait comme "un être impeccable" en apparence mais il est consumé par une "aventure intérieure" relevant d'une "apocalypse". Tout une méditation se déroule dans ce texte sur l'argent, l'économie qui dirige le monde. Il envisage la dépense comme la vérité de l'être : "Que chacun ne fait que ça, économiser - ses forces et son argent ; qu'on ne cesse d'épargner, et que l'accumulation est une manière de s'éteindre car la vraie vie réside dans la dépense". La banque lui confie le dossier des surendettés qu'il aide avec charité jusqu'à héberger un couple de polonais dans sa maison. Quand son directeur lui a proposé l'achat de cette maison abandonnée proche de la banque, il n'a pas hésité une seconde pour en faire son refuge de solitude. Il lit et écrit sans cesse en dehors de ses activités bancaires. Il découvre dans la cave un souterrain qui le mène directement à la salle des coffres. Il peut saisir ainsi le lien allégorique entre l'argent et sa vie. Cet homme connaît aussi l'amour avec Clarisse, Pauline, Annabelle et sa dernière compagne, Lylia. Un anarchiste illuminé ? Un érudit ? Un fou de littérature ? Un amoureux absolu ? Sa personnalité flamboyante intrigue et donne à ce roman une dimension philosophique, politique et même métaphysique. L'argent abîme l'humanité (le capitalisme, évidemment) selon Yannick Haenel. Seuls, l'amour et l'érotisme sauveront le monde en ajoutant le rôle de la littérature, un des moyens les plus puissants pour parvenir à cette vie sans "calcul". Un roman fort et original qui marque le retour de l'écrivain dans la fiction.