mardi 22 novembre 2022

"La part des cendres", Emmanuelle Favier

 L'immense fresque romanesque d'Emmanuelle Favier met pratiquement le lecteur et la lectrice dans un état de sidération admirative. Comment une écrivaine peut-elle se lancer dans une telle aventure littéraire ? Ce roman ne peut pas se résumer ni linéairement, ni chronologiquement bien que les chapitres offrent des repères temporels. Je l'ai lu avec un intérêt soutenu alors que je n'ai plus trop envie de me lancer dans des ouvrages très épais qui sont baptisés "pavés". Emmanuelle Favier nous embarque dans une course folle, une chasse aux trésors, des trésors artistiques, spoliés et dérobés dans le courant du XIXe et du XXe siècle. Le roman démarre en 1812 quand la jeune Sophie Rostopchine fuit Moscou en feu. Elle emporte un mystérieux coffret où elle glisse son journal intime pour raconter son exil. Cette jeune fille en exil deviendra la fameuse Comtesse de Ségur. Cette écrivaine bien oubliée de nos jours a pourtant initié des centaines de milliers d'enfants à la lecture. C'était un premier souvenir de lecture éblouie d'Emmanuelle Favier. Elle rend un hommage fervent à tous les écrivains et écrivaines qui lui ont transmis cette passion de la littérature : Stefan Zweig, Marguerite Yourcenar, Virginia Woolf. Ils surgissent dans le texte pour ponctuer les événements historiques. A côté de ces instants biographiques, il est question aussi des musées européens, des œuvres d'art, des collections où certaines pièces proviennent de spoliations des familles juives. De sinistres personnages jouent le rôle de prédateurs d'art comme Hitler, Goebbels, Hesse et d'autres nazis infréquentables. Un personnage central revient comme un leitmotiv de droiture, d'honnêteté, une résistante exemplaire, bien oubliée aujourd'hui. Elle s'appelait Rose Valland, originaire de Grenoble. Elle notait dans des carnets tous les tableaux qui disparaissaient dans les camions des nazis et grâce à ce travail clandestin, elle a sauvé des milliers d'œuvres d'art. Le message sous-jacent de ce roman puissant pourrait se résumer dans une prise de conscience d'une actualité universelle. En s'appropriant l'art, les prédateurs totalitaires nient, détruisent, volent l'âme des peuples entiers. Elle évoque l'autodafé des livres à Berlin en 1933 où les nazis épuraient les bibliothèques de tous les écrivains juifs. Ce désastre historique remet en mémoire la fragilité de notre civilisation occidentale. Ce roman vibrant rend un hommage passionné aux livres et aux œuvres d'art, les symboles éternels d'une culture irremplaçable qu'il faut protéger, conserver, garder. Un tourbillon vertigineux, voilà comment je peux qualifier ce grand texte qui n'a, hélas, reçu aucune distinction dans les prix automnaux. Quel dommage ! Mais comme ce livre demande des efforts de lecture, des efforts largement récompensés, le jury n'a pas pris le temps de le lire ! Voilà une explication logique...