lundi 22 avril 2024

"Baumgartner", Paul Auster

 Dès les premières lignes du nouveau roman de Paul Auster, "Baumgartner", publié chez son éditeur Actes Sud, j'ai été séduite par le ton intimiste du récit, l'effet miroir, l'empathie de l'auteur. Le personnage principal s'appelle donc Baumgartner, un septuagénaire, qui rédige un essai sur Kierkegaard, dans "la pièce du premier étage qu'il désigne parfois, comme son bureau, son cogitorium ou son trou". Il vit seul depuis le décès tragique de sa femme dans une noyade, dix ans avant. Pour rompre sa solitude, il commande des livres sur Internet pour rencontrer même brièvement la livreuse. Son humour décapant se manifeste dans son quotidien parfois complexe quand il oublie une casserole sur le feu. Il se brûle la main et tombe sur le sol : "Au moins, je ne suis pas mort. J'imagine que ce n'est pas négligeable". En fait, le narrateur vit dans le chagrin de la perte. Sa femme adorée, Anna Blume, était aussi écrivain comme lui et il éprouve "le syndrome du membre fantôme" en l'ayant perdu dans un accident improbable. Il lui avait dit de ne pas se baigner une dernière fois car la mer était forte. Mais, elle ne l'a pas écouté. Le texte se déroule dans l'évocation du passé : "Vers le passé, le passé distant que l'on distingue à peine, vacillant à l'extrémité la plus lointaine de la mémoire, et par fragments lilliputiens, tout lui revient". Dans le "palais de sa mémoire", il se souvient de sa jeunesse à Newark, de son père d'origine polonaise, de sa rencontre amoureuse avec Anna à 21 ans et de cette union si parfaite avec elle. Quand il ouvre enfin la boîte des archives personnelles de sa femme, il les intègre dans son récit. Il traverse sa fin de vie en philosophe quand il se confie sur sa solitude : "Vivre, c'est éprouver de la douleur". Cette douleur ressemble à l'impossibilité de faire son deuil. Le personnage austérien, Baumgarner, vit trop dans son passé, mais, un jour, une étudiante, le sollicite pour écrire une thèse sur Anna Blum. Comme il possède des recueils de poèmes inédits de sa femme, il accepte de recevoir cette jeune étudiante en lui proposant un studio attenant à son appartement. Cet événement imprévu lui redonne un peu d'énergie et d'espoir pour rompre sa terrible solitude. La fin du récit ouvre des perspectives pour l'écrivain vieillissant. Ce dernier roman de Paul Auster évoque la perte, le deuil, la solitude, le chagrin. La grâce de l'écriture, la force de sa pensée, la magie austérienne dans la construction du texte embarque le lecteur-lectrice dans la trame de tout destin humain. Un très beau roman ! Du grand Paul Auster.