mardi 28 février 2012

"Tangente vers l'Est"

J'avais lu "Naissance d'un pont" de Maylis de Kerangal avec beaucoup d'intéret et je le recommande vraiment à ceux qui ne connaissent pas cette écrivaine remarquable. Son dernier livre, "Tangente vers l'Est", participe d'une expérience culturelle menée en 2010 dans le cadre de l'année France-Russie. Dans le Monde des Livres, daté du 27 janvier, on peut découvrir le parcours du Transsibérien qui part de Mouscou, traverse l'Oural, la Sibérie, la steppe de la Baraba, les Monts Saïan, etc. Et je ne vous cite pas les noms des villes-étapes, au total, 9289 km pour atteindre Vladivostok. Ce schéma est précieux pour suivre les aventures des protagonistes du roman de Maylis de Kérangal, un roman bref, haletant et toujours écrit avec une élégance formidable. Hélène, jeune Française, quitte son fiancé russe qu'elle ne reconnaît plus depuis qu'ils sont revenus en Sibérie. Elle rencontre un jeune homme, Aliocha, dans le train qui ne cherche qu'à fuir le service militaire qu'on lui impose. Il se cache dans la cabine d'Hélène et elle accepte de l'aider. A partir de cette anecdote, Maylis de Kerangal tisse une histoire haletante, au rythme de ce train mythique. Je ne veux pas dévoiler l'issue de cette rencontre cer il faut lire ce roman très original et savourer ce style précis, imagé, scandé, dynamique. En voici un exemple dès le premier paragraphei : "Ceux-là viennent de Moscou et ne savent pas où ils vont. Ils sont nombreux, plus d'une centaine, des gars jeunes, blancs, pâles même, hâves et tondus, les bras veineux le regard qui piétine, le torse encagé dans un marcel kaki, futes camouflage et silps kangourous, la chaînette religieuse qui joue sur le poitrail, des gars en guise de parois dans les sas et les couloirs (...)". Ce livre décrit une Russie éternelle et moderne, inquiétante et fascinante dans un style vraiment hors du commun, un régal de lecture...

lundi 27 février 2012

"The Artist"

Samedi, je suis allée voir ce film-culte, primé et salué par la critique et le public. Il n'a pas attiré quelques quinze millions de spectateurs comme "Les Intouchables" mais deux millions de Français ont franchi les portes d'un cinéma pour voir ce film muet, vraiment surprenant et émouvant. La musique remplace à merveille les voix humaines et le talent des comédiens, Jean Dujardin et Bérénice Béjo, donne au film une touche charmante et nostalgique. En fait, l'histoire est d'une simplicité surprenante : un acteur du muet qui ressemble à des acteurs du muet des années 20 triomphe dans ce genre mais son succès est condamné face à la montée inévitable du film parlant. J'ai trouvé quelques bonnes raisons pour apprécier ce mélodrame : un pari audacieux d'un film muet, la présence dynamique de la musique, un duo lumineux de beauté et d'émotion, une belle histoire d'amour, une leçon de générosité, une thématique d'un monde nouveau cruel pour ceux qui perdent, une étoile qui tombe, lui, et une étoile qui monte, elle, l'ambiance des années 20, un hommage sur l'origine mythique d'Hollywood sans oublier le rôle adorable du petit chien. Voilà, allez voir ce film qui a vraiment marqué l'année 2011. Le cinéma d'auteur peut rencontrer le grand public en toute sobriété et sincérité. On est loin des Intouchables et de "La vérité si je mens". Les Oscars ont recompensé avec justesse le réalisateur Michel Hazanavicius, Jean Dujardin, Michel Bource, le mucisien. Pour une fois que le cinéma français se distingue aux Etats-Unis, on ne va pas bouder son plaisir...
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vendredi 24 février 2012

Un inédit de Georges Perec

Georges Perec est à l'honneur dans le Monde des Livres de ce vendredi 24 février. Un inédit va être publié le premier mars, "Le Condottière", sorte de roman policier, écrit entre 1957 et 1960. Un article, signé Christine Montalbetti, évoque sa fascination pour une oeuvre atypique et passionnante. Il faut absolument relire son roman-culte, "Les choses", édité chez Denoël en 1965. Ce roman dénonce avec beaucoup de subtilité la société de consommation outrancière. Georges Perec a marqué avec ce roman les années 60 et 70. Dans cet article, Christine Montalbetti avoue son plaisir de lire du "Perec", en particulier "Espèces d'espaces", "Tentative d'épuisement d'un lieu parisien", "Penser-classer". Chez Perec, il y a une attention particulère aux lieux, aux espaces, à l'habitat, une lisibilité du réel, des choses, de ce qui se passe autour de soi, à l'extérieur de soi. L'inédit de Perec dont on peut lire un extrait dans ce Monde des Livres donne un éclairage nouveau sur l'oeuvre de Perec. Le personnage principal est un faussaire qui assassine son commanditaire car il n'arrive pas à exécuter l'oeuvre demandée. Cet inédit me re-donne envie de re-lire Perec qui est un de mes écrivains préférés. Il m'a appris à voir, à observer, à comprendre. Son roman le plus connu "La vie, mode d'emploi" est un puzzle où l'on reconnaît le génie "oulipien" de Perec. Perec est un fou des mots, des contraintes littéraires. Son roman "La disparition" a éte écrit sans la lettre E... Georges Perec est mort à 52 ans, il y a trente ans en 1982. C'est peut-être pour se souvenir de Perec que le Seuil sort cet inédit. Tant mieux pour les lecteurs-lectrices qui aiment l'univers ludique et nostalgique de Georges Perec !

jeudi 23 février 2012

"Les solidarités mystérieuses"

Ce très beau titre concerne le dernier roman de Pascal Quignard, édité aux Editions Gallimard. Il n'avait pas écrit de fiction depuis sa "Villa Amalia" en 2006. Je l'ai "dévoré" en deux jours tellement Pascal Quignard me parle, s'adresse à des lecteurs-lectrices qui ne sont jamais déçu(e)s par son univers si particulier, si singulier, si unique dans la littérature française contemporaine. Un personnage féminin domine le roman. Elle s'appelle Claire. Elle quitte mari et enfants pour se réfugier dans sa terre bretonne, du côté de Dinard, du côté de la mer. En fait, elle retrouve son ami Simon dont elle est amoureuse depuis son enfance. Plusieurs personnages vont intervenir : son frère Paul, lien essentiel, représentant "cette solidarité mystérieuse", qui la rejoint et rencontre un ami qui deviendra son compagnon malgré son statut de prêtre. Claire va habiter dans une petite ferme en pleine lande en bord de mer. Son ancienne professeur de piano lui propose l'adoption et lui offre un héritage inattendu. Claire s'installe dans le paysage sauvage de cette Bretagne mythique. Simon est marié, et père d'un petit garçon. Il rejette Claire qui ne s'en remettra jamais. Elle passera le reste de sa vie à observer la vie de Simon, maire et pharmacien de son village. La femme de Simon se venge en incendiant sa ferme. Plus tard, Simon meurt noyé : suicide ou accident ? Après la disparition de Simon, Paul va protéger sa soeur et lui vouera un amour inconditionnel. Plusieurs personnages décrivent la vie errante et solitaire, minérale et végétale de Claire, qui va se fondre, fusionner avec la nature. Je vous cite un passage du roman : "Un jour, elle m'expliqua que le paysage, au bout d'un certain temps, soudain s'ouvrait, venait vers elle et c'est le lieu lui-même qui l'insérait en lui, la contenant d'un coup, venait la protéger, faisait tomber la solitude, venait la soigner. " . Quel beau portrait de femme, dont la folie d'aimer l'emporte sur la raison de vivre. Un roman qui évoque la mer comme un personnage majeur omniprésent et qui ne peut que me séduire...

mardi 21 février 2012

"Passions d' Annie Leclerc"

Sur une table de la médiathèque de Chambéry, un ouvrage de Nancy Huston m'attendait, je l'ai saisi car je ne l'avais pas encore lu. J'aime vraiment beaucoup l'oeuvre de cette écrivaine, née au Canada, française de coeur et de langue. Il faut lire et relire ses romans passionnants : "Instruments des ténèbres", "L'empreinte de l'ange", "Lignes de faille", "Dolce agonia". Le livre de Nancy Huston, "Passions d'Annie Leclerc" est en fait une biographie "sentimentale", un hommage vibrant, un parcours littéraire original. Il s'agit de deux femmes, l'une est vivante, écrivaine d'aujourd'hui et l'autre, la femme dont elle parle, n'est plus de ce monde. Cette femme s'appelait Annie Leclerc. Pour les féministes des années 70, Annie Leclerc avait écrit un livre-poème, "Parole de femme" en 1974, une ode à la féminité, à l'enfantement, aux soins des enfants, à la vie concrète, quotidienne des femmes, valorisant cette vie si décriée par les "fans" de Simone de Beauvoir, qui n'a pas eu d'enfant, volontairement pour ne pas se "sacrifier" et la dévier de sa grande oeuvre littéraire et philosophique. Annie Leclerc a donc contrarié les "intellectuelles" du mouvement féministe. Mais, à cette époque, j'étais libraire et j'ai vendu ce livre en dizaines d'exemplaires. J'ai retrouvé avec plaisir et émotion cette femme courageuse, foudroyée par un cancer en 2006, dans sa soixantaine. Nancy Huston revisite cette vie par chapitres : Prénoms, Lieux, Lire, Jouir, Mourir, Jean-Jacques, etc. Ces mots-clés permettent d' éclairer grâce à leur amitié lumineuse, la pensée, la philosophie, l'écriture, l'engagement, l'amour et l'amitié, en fait la vie d'Annie Leclerc. Je cite une phrase d'Annie Leclerc : "Les livres ont été pour moi le pays de l'humain. Les livres, les oeuvres d'art franchissent l'enfermement du nous, et tous, quand ils sont forts, s'adressent à nous tous en tant qu'humains. En eux circulent vraiment le sang de vie et non de mort". Ce livre écrit avec une émotion rare donne envie de se plonger dans les livres d'Annie Leclerc. Pour les anciennes militantes féministes comme moi, ce livre réhabilite avec ferveur la dimension poétique, philosophique d'une femme-courage, d'une oeuvre incomprise et occultée par la critique littéraire. Une femme-écrivain, Nancy Huston, redonne vie à une autre femme-écrivain, Annie Leclerc, toutes deux liées par l'amitié et la reconnaissance mutuelle. Très beau livre sur l'amitié féminine et sur la compréhension d'une oeuvre qui mérite d'être enfin reconnue.

lundi 20 février 2012

"La liseuse"

Ce roman de Paul Fournel a retenu toute l'attention bienveillante de Bernard Pivot dans le Journal du Dimanche et de François Busnel dans l'Express. Je l'ai lu sur leurs conseils souvent très justes. C'est l'histoire d'un éditeur quelque peu découragé et supportant avec fatalisme les transformations inévitables du monde de l'édition. Ce monde parisien peuplé de stagiaires fort mal payés évolue très vite au détriment d'une tradition séculaire bien ancrée dans le bons sens et le bon goût. Robert Dubois, notre éditeur fatigué de tous ces changements, se voit offrir une "liseuse", machine infernale, froide mais séduisante aussi par son côté "stockage"de milliers de livres. Quand Robert Dubois fait peser son "machin", je le cite : "Dans les gros doigts de René, c'est le poids définitif de la littérature mondiale. 730 grammes. Hugo + Voltaire + Proust + Céline + Roubaud, 730 grammes. Je vous rajoute Rabelais ? 730 grammes. Louise Labbé ? 730 grammes." Cet outil révolutionnaire, la tablette électronique, le perturbe totalement et lui donne envie de fuir ce milieu de l'édition. Ce roman nostalgique d'un monde perdu a touché ma fibre de lectrice "traditionnelle" de papier. Paul Fournel nous confie ses peurs mais aussi ses bonheurs dans le milieu littéraire et il défend des valeurs liées à la lenteur, l'authenticité, la qualité et la non-marchandisation de la littérature. Je choisis encore un passage à la fin du livre, extrait significatif du style de Paul Fournel : "Je suis un homme livre. Ma muraille me protège. Et je lis pour, lentement, posèment, la détruire. Je prendrai les briques sans ordre ni précipitation, la lecture viendra selon son propre hasard et je sais que l'ordre sera le bon. Laissés en liberté, les livres ne se trompent guère. (...) Lorsque j'aurai terminé la lecture du dernier mot de la dernière phrase du dernier livre, je tournerai la dernière page et je déciderai seul si la vie devant moi vaut encore la peine d'être lue." Ce roman concerne tous ceux et toutes celles qui ont envie de découvrir la comédie du milieu de l'édition et qui partagent la crainte de perdre des repères rassurants pour entrer dans un monde nouveau, celui de la lecture électronique...

vendredi 17 février 2012

Mon stylo rouge

Mylène, notre animatrice de l'atelier d'écriture, nous a demandé de composer le journal intime d'un objet. Elle nous a lu un texte d'Hervé Le Tellier sur un gant de toilette, plein d'humour et de malice. Après avoir établi une liste d'objets de notre quotidien le plus familier, chaque participante devait en choisir un et écrire le journal de cet objet. Voici mon texte : Le stylo rouge
Lundi
Je suis rouge, d'origine étrangère, portugais en fait car ma maîtresse m'a rencontré à Lisbonne dans un musée. Depuis, on ne se quitte plus, on s'aime vraiment. Elle m'emporte partout où elle va dans son sac à main, et elle respecte mon temps de repos, la nuit, sur son bureau.
Mardi
Je me sens en forme ce matin mais mon copain, l'agenda, me demande souvent des notes pour pallier la défaillance de mémoire de ma patronne qui veut absolument ne rien oublier. Pensez donc ! Elle est à la retraite, et pourrait oublier cet agenda... A quoi bon l'utiliser ? Elle n'a plus de rendez-vous importants et ne fait plus carrière. J'ai donc décidé, moi, le stylo, de faire la guerre à ce prétentieux monsieur l'agenda, obsolète et inutile, aujourd'hui.
Mercredi
Le chat de la maison, crétin et coquin, a grimpé sur le bureau et d'un coup de patte, il me jette sur le tapis. Il m'a fait mal, cet animal... Je me vengerai bien un jour !
Jeudi
Ma patronne me cherche partout. L'angoisse se lit sur son visage. Je me sens irremplaçcable et ne peut pas crier : je suis là dans le tapis épais du salon.
L'agenda rit sous cape...
Vendredi
Je sens une main qui m'a enfin repéré et je suis soulagé de reprendre ma vie de scribe. Ce repos forcé m'a engourdi l'encre. Heureusement, je suis l'unique objet des désirs de ma chère maîtresse qui me fourre dans son sac pour rejoindre un groupe d'amateurs d'écriture. Quelle drôle d'idée !
Samedi
Je me love avec volupté dans son sac en cuir gris. Nous partons ensemble à l'atelier et quand elle s'empare de moi, je file sur la page blanche tel un petit soldat. Je mets tout mon talent pour fixer les mots qu'elle choisit. Et les mots s'enchaînent, se suivent les uns les autres pour composer un texte qu'elle va lire devant cette assemblée d'amoureux d'écriture. Je suis heureux d'avoir accompli ma tâche et je me repose à nouveau dans son sac.
Dimanche
Repos complet, pas d'écriture le dimanche, je me prélasse sur son bureau en compagnie du chat qui me respecte dorénavant, comprenant enfin mon rôle éminent dans l'atelier !

jeudi 16 février 2012

"Stabat mater"

Ce titre musical, "Stabat mater", m'a attiré d'emblée. Tiziano Scarpa, jeune écrivain italien, a composé un opus délicat, très bien écrit, une partition vivaldienne. C'est l'histoire d'une orpheline, Cecilia, confinée dans un couvent à Venise. Cecilia a seize ans et elle dialogue avec un être imaginaire pour raconter sa vie routinière dans cette pension triste, tenue par des religieuses. Au tout début du livre, elle écrit une lettre à sa mère qui l'a abandonnée. "Madame Mère, au coeur de la nuit, je quitte mon lit pour venir, ici, vous écrire. Rien de nouveau, cette nuit encore, l'angoisse m'a assaillie. La bête m'est familière maintenant, je sais lui tenir tête. Ma désespérance n'a plus de secret pour moi." Elle joue du violon dans l'église et copie des partitions. Un musicien de génie, Vivaldi, intervient dans le personnage du prêtre roux et cette présence va changer la vie de Cecilia. Le prêtre-musicien va remarquer le talent de la jeune pensionnaire et va lui proposer de jouer en solo pour interpréter ses concertos. Ce roman sur la musique au temps de Vivaldi est un bijou littéraire. Je le conseille à tous ceux qui aiment écouter la musique sublime de ce compositeur surtout célèbre pour ses "Quatre saisons" mais qui a composé des centaines de concertos, de sonates et d'opéras, peu connus du public. Cecilia et lui se reconnaissent en "musique". L'intrigue compte peu dans le roman. On se laisse envahir par la prose fiévreuse et passionnée de Tiziano Scarpa. Lisez le roman en écoutant du Vivaldi, des moments sonores de pur bonheur et savourez cette prose incandescente qui rend hommage à la musique !

mardi 14 février 2012

"De vieux os"

Il m'arrive de choisir un roman exposé sur un présentoir à la Bibliothèque municipale. J'ai donc lu "De vieux os" par hasard et je ne me suis pas trompée. L'auteur, Louise Welsh, est écossaise , vit à Glasgow et pratique un métier qui m'est familier : libraire. Sa maison d'éditions, Métailié, propose des collections triées par nationalité : Bibliothèque Ecossaise, Bibliothèque Anglo-saxonne, Bibliothèque Nordique. Ce roman écossais évoque ces terres froides, humides, ventées et même mystérieuses. On entre dans le livre avec appréhension car on ne sait pas où l'auteur va nous mener. Puis, le charme opère insidieusement et on s'attache au personnage principal, un professeur universitaire de littérature anglaise. Son projet littéraire consiste à faire découvrir un poète écossais des années soixante-dix, poète maudit, fulgurant, qui s'est noyé à 25 ans. Murray, le professeur, est convaincu que cet oeuvre poétique pourrait faire l'objet d'une biographie de ce poète peu connu du public. Ce roman se lit comme un thriller. Le professeur consciencieux part à la recherche des compagnons de jeunesse d'Archie Lunnan. On apprend son passé d'alcoolique, de drogué et de marginal. Sa compagne, Christie, vit retirée dans une île perdue en Ecosse et nous accompagnons Murray dans ces pérégrinations îlesques, dans la pluie, la boue, le vent et la solitude. Je ne veux pas encore une fois de plus dévoiler le secret du quatuor infernal formé par trois amis dont le poète et leur égérie. Il suffit de se laisser aller dans l'atmosphère du livre, ses couches de mystères et de révèlations se succèdant au fil du récit. Je suis une lectrice qui se laisse séduire facilement quand les personnages font partie du monde des lettres, de la poésie. Le secret qui entoure ce groupe d'amis, maintient l'intérêt et donne au récit un aspect "gothique" sans caricature. Un bon roman original et "hivernal"... La première phrase résume le sens de l'histoire : "Murray Watson fendit le scotch du carton qui se trouvait devant lui et se mit à fouiller dans les vestiges d'une vie."

lundi 13 février 2012

Le dernier Sollers

Philippe Sollers sort un roman par an et son dernier ne ressemble pas du tout à de la fiction. Il nous relate une relation amoureuse avec une Lucie qu'il retrouve "en secret" dans un studio près de son travail chez Gallimard. Cette aventure romanesque est le fil conducteur du livre et cette femme aimée lui rappelle sa soeur qui vient de mourir et pour laquelle il éprouve un sentiment proche de l'amour incestueux. Mais le livre ne se résume pas seulement à ces portraits de femmes comme il sait si bien le faire. Il nous communique sa passion intelligente de la peinture en évoquant le génie de Manet, la créativité de Picasso, en reconstituant des scènes de vie colorées, érudites, interrogatives. Le lecteur ne s'ennuie jamais en compagnie de Philippe Sollers. Son personnage médiatique peut crisper, agacer, décevoir. Il réussit pourtant à maintenir l'intérêt de son cercle de lecteurs(trices) malgré la maigreur extrême de l'intrigue amoureuse. Ce que j'apprécie surtout, c'est le style, le ton, l'humeur, l'humour, l'ironie, les sentences implacables de Philippe Sollers. Je vous donne un exemple : "Je vois vivre mes contemporains, et même mes anciens amis radicaux : ils sont tassés, résignés, sous contrôle. La société les a eus, ce sont des employés du temps, ils vieillissent sans phrases, et parmi eux, les jeunes paraissent encore plus vieux que les vieux. Ils lisent à peine les journaux, redoutent la bibliothèque, regardent beaucoup la télévision, rient trop fort ou sont carrèment maussades." Voilà l'oeil affûté de Philippe Sollers, un esprit libre et rebelle, un libertin de notre époque si décevante pour lui... Lire Philippe Sollers est un acte de culture. On en sort plus instruit(e), plus curieux(se), plus attentif(ve) à la critique de notre société si complexe...

vendredi 10 février 2012

Les humanités classiques

Dans Le Monde du jeudi 9 février, j'ai remarqué un article signé d'éminents intellectuels comme Régis Debray, Michel Onfray, Charles Dantzig, Philippe Sollers, Barbara Cassin, Jean D'Ormesson, etc. Tous signent un billet-cri d'alarme sur la disparition de la culture dite classique, liée à la littérature, au latin, au grec, en résumé, "les humanités classiques". Des faits regrettables ont provoqué cette fronde : annulation de l'épreuve de culture générale dans le concours de Sciences-Po, disparition du latin et du grec dans les concours de professeurs de lettres, l'histoire en Terminale... On sait déjà que notre Président actuel ne semble pas apprécier la littérature, mais dévaloriser à ce point la culture littéraire et classique relève du mépris et de l'arrogance. Il vaut mieux opter pour le pragmatisme et le matérialisme, dtsent-ils. Les écoles de commerce ont gagné symboliquement la bataille universitaire. Pourtant, il est encore temps de déclarer que les disciplines littéraires sont aussi nobles et utiles que les disciplines scientifiques. La culture générale forme un ensemble harmonieux et renoncer à ce principe me rend songeuse... Cette semaine, je remarque que mon blog mentionne la défense de la lecture, le sauvetage des librairies, et dans cet article du Monde, la nostalgie d'une culture générale qui a formé des millions de lycéens et d'étudiants. On lit dans l'article : "Pour Cicéron, si tu ne sais pas d'où tu viens, tu seras toujours un enfant". "C'est à dire un être sans pouvoir, sans discernement, sans capacité à agir dans le monde ou à comprendre son fonctionnement." Je cite aussi la fin de l'article : "Voici la pleine utilité des humanités, de l'histoire, de la littérature, de la culture générale, utilité à laquelle nous sommes attachés et que nous défendons, en femmes et hommes véritablement pragmatiques, soucieux du partage démocratique d'un savoir commun."
Je signe à ma façon ce cri de colère que je partage avec ces écrivains, philosophes et essayistes...

jeudi 9 février 2012

Visite en librairie

Mercredi, malgré un froid glacial atteignant les -10° ressentis, je suis allée au centre ville à la librairie Garin, une librairie agréable, de taille humaine et bien fournie. En furetant sur les tables et sur les étagères, j'ai acheté surtout des essais : le dernier Régis Debray, "Jeunesse du sacré". Dans ce rayon philosophie, j'ai trouvé "Vivre aujourd'hui avec Socrate, Epicure, Sénèque, et tous les autres" de Roger-Pol Droit. En littérature, j'ai pris "Le journal de deuil" de Roland Barthes, édité en poche Points du Seuil. J'ai été attirée par un titre "La chair du temps" de Belinda Cannone et je l'ai ajouté à ma pile. Pour terminer mes achats, j'ai feuilleté un opuscule de Paul-Jean Toulet, le poète préféré de Frédéric Beigbeder baptisé "Les contrerimes". Je vous offre les premiers vers de ce petit poème qui correspond bien à l'ambiance du jour :
"Pâle matin de février
couleur de tourterelle"
N'hésitez pas à vous constituer une collection comme cette collection Poésie/Gallimard qui existe depuis plus de quarante ans et comporte vraiment les plus grands poètes français et étrangers. J'ai commencé à me procurer les poètes que j'aime comme Pessoa, Reverdy, Lorca, Borgès, Jacottet, Ponge, Perros, Nerval, et tant d'autres. Cette visite en librairie m'a permis de feuilleter, ouvrir les livres, parcourir un extrait au hasard. J'ai parlé hier de la lecture et du cri d'alarme de Danièle Sallenave. Aujourd'hui, je dis et re-dis la même litanie depuis l'ouverture de mon blog, franchissez les portes d'une librairie, de la plus petite à la plus grande et achetez un ou plusieurs livres. J'aime décidément les librairies comme les bibliothèques, qui sont des lieux culturels indispensables au bon fonctionnement de notre cerveau et de notre coeur...

mardi 7 février 2012

Sauvons la lecture !

Danièle Sallenave lance un cri d'alarme dans le dernier Marianne. Elle constate que les Français n’ont jamais aussi peu lu. Je reprends les chiffres d'une enquête citée par le magazine. "En 1973, 31 % des ouvriers n’avaient lu aucun ouvrage dans l’année. En 2008, ils étaient 44%. Même érosion chez les employés dont le pourcentage de « non lecteurs » a doublé, passant de 14 à 28% (1). Parmi les classes privilégies aussi, la lecture a reculé : en 1973, 64 % des cadres supérieurs lisaient plus de vingt livres par an. En 2008, ils ne sont plus que 33%. L’écrivain Danièle Sallenave s’alarme de la situation et pointe la responsabilité de l’école." Ces statistiques sont quand même inquiétantes pour les amoureux du livre. Danièle Sallenave accuse l'école d'abandonner la transmission de la littérature, des grands textes classiques et contemporains. Elle espère encore que la lecture peut perdurer : « Je suis persuadée que tous les enfants possèdent en eux la volonté de mettre en route leur imaginaire qui les pousse naturellement vers la littérature. Mais si elle n’est pas stimulée, cette force peut s’éteindre. C’est la mission de l’école que de sensibiliser les élèves aux grands textes classiques. Malheureusement, elle y a renoncé. A cause de Pierre Bourdieu, notamment. Ou plutôt d’une mauvaise interprétation des thèses bourdieusiennes. Trop souvent, les enseignants ont tendance à penser que la haute culture, à commencer par les œuvres de fiction, est réservée à l’élite. Alors qu’au contraire, l’école devrait donner un accès à la haute culture aux élèves qui arrivent avec un bagage moins fourni que les autres." Elle cite une expérience qu'elle a menée auprès de jeunes collégiens constatant leur intérêt pour Rimbaud. Elle propose que la grammaire utilise les phrases tirées de textes littéraires. L'excellence pour tous et non pas pour certains issus de l'élite. Quand j'étais à l'école et au lycée, les nombreuses dictées que nous faisions étaient des extraits de Colette, Giono, Alain-Fournier, Anatole France, et de tant d'autres écrivains. Il faut remettre les dictées à la mode. C'est grâce à cette méthode que j'ai apprécié dès mon jeune âge la beauté de la langue française... Comme elle a raison... Heureusement qu'on peut compter sur des voix qui comptent dans notre société... Danièle Sallenave ne mène pas un combat d'arrière-garde mais d'avant-garde !

lundi 6 février 2012

"Une année studieuse"

Anne Wiazemsky, petite-fille de François Mauriac, et écrivaine remarquable, a écrit un roman ou récit autofictif très intéressant. Elle dévoile une année de sa vie de jeune femme en 1966, et surtout raconte sa rencontre avec Jean-Luc Godard. Elle a 17 ans et lui, la quarantaine. Cette différence d'âge pose problème pour la famille d'Anne, et sa mère redoute la réputation sulfureuse du cinéaste. Elle entreprend des études de philosophie à Nanterre et se mêle aux étudiants contestataires, dont le turbulent et séduisant Daniel Cohn-Bendit, Il a fallu beaucoup de volonté et de ténacité pour faire vivre cette histoire d'amour entre un cinéaste déjà célèbre et une jeune fille inconnue, même si elle a démarré une carrière d'actrice avec Bresson. L'admiration-fascination qu'elle éprouve pour Godard la rend dépendante de lui et malgré le rejet de sa propre famille, elle passe outre et se marie en Suisse en catimini. Rentrer dans l'intimité de ce couple original peut s'avèrer indiscret mais la littérature sert à révèler les sentiments, les émotions, les histoires de vie jusquà une certaine indécence de la part du narrateur. Je n'aime pas particulièrement Jean-Luc Godard, mais lire "Une année studieuse" nous permet vraiment d'appréhender l'ambiance de l'époque avant 1968, le cinéma d'avant-garde, les idées de la gauche radicale à Nanterre. Les interventions de François Mauriac dans la vie de sa petite fille sont même drôles. Ce roman retrace donc à merveille un passé de notre histoire culturelle à Paris et ne serait-ce que pour cette évocation, la lectrice que je suis, a passé un très bon moment de lecture.

vendredi 3 février 2012

Umberto Eco

En lisant "Le Monde" du Jeudi 26 janvier, j'ai remarqué un article intéressant sur Umberto Eco. Cet éminent intellectuel italien nous parle de notre identité européenne dont le ciment ne serait pas uniquement économique. Seule, la culture nous identifie comme européen. "Désormais, nous sommes européens par la culture, après l'avoir été des années durant par les guerres fratricides", écrit Umberto Eco. La paix en Europe devient un "chef d'oeuvre". Il souligne que le programme Erasmus permet aux étudiants européens d'effectuer un an ou plusieurs années d'études dans leur pays de leur choix. Ce mélange des peuples n'est que bénéfique. Il souhaiterait élargir ce programme européen à d'autres catégories de citoyens, des jeunes professionnels, des artisans. Ce texte riche de sens et d'optimisme pour notre continent mérite l'attention et affirme haut et fort le rôle de la culture, essentielle à ses yeux pour sauver l'Europe, la consolider et la sortir du carcan économique et technocratique qui déçoit les citoyens. Je suis une fervente de l'Europe. Mes grands-parents paternels étaient espagnols, mes grands-parents maternels étaient béarnais et basque. Je me sens chez moi en Belgique, en Italie, en Espagne, au Portugal et en Grèce. J'adore la littérature anglaise, irlandaise, scandinave. J'éprouve une tendresse pour Kafka et Kundera. Et ne parlons pas de la cuisine, du climat, des monuments, des idées, des valeurs démocratiques et républicaines... Je respire Europe et je ne comprends pas les peurs des uns ou l'indifférence des autres à l'égard de notre identité européenne. Umberto Eco devrait passer à la télévision et dans les médias pour nous parler de son Europe si ouverte, si généreuse et culturellement unificatrice. Citoyenne française, citoyenne européenne, une identité unique et réjouissante !

jeudi 2 février 2012

"Sport de fille"

Ce film de Patricia Mazuy est vraiment original par son sujet principal : le dressage des chevaux. Gracieuse, le personnage principal, perd son cheval qu'elle a entraîné pour le saut d'obstacles. Elle est fille de paysan et tente sa chance près de chez elle chez Josephine de Belize, aristocrate, propriétaire de chevaux et poussant sa propre fille dans les concours de dressage. Un cavalier allemand de renommée internationale, Franz Mann, travaille pour cette propriétaire, jouée par Josiane Balasko, (rôle surprenant). Gracieuse est embauchée comme ouvrière mais sa passion des chevaux va la conduire à désobéir en s'emparant d'un cheval et en le dressant en cachette. On voit L'héroïne, interprétée par Marina Hands, dans plusieurs scènes de dressage tellement vraies et plausibles que le cheval lui-même devient un personnage humanisé et magnifique. Elle va poursuivre son aventure en "volant" le cheval et en essayant de participer à un concours en Allemagne. Elle retrouve Franz Mann et se noue dans cette partie du film la relation étrange entre elle, une cavalière hors pair, et lui, un entraîneur, fatigué de sa dépendance avec sa "patronne" et rêvant de son passé glorieux. Gracieuse est une rebelle, une révoltée, ne supportant pas l'injustice et l'humiliation. Ce beau film intimiste, original, atypique marque bien la qualité du cinéma français. Je regrette le titre "Sport de fille", un peu fade et trop restrictif. Et voir tous ces chevaux dans la campagne apporte une touche naturelle loin des concours de dressage et de ce milieu trop codé et ultre-hiérarchisé. A voir... pour les amateurs de chevaux, quand même...