mardi 7 juin 2022

"Le petit foulard de Marguerite D."

 Marguerite Duras a fasciné et fascine toujours de très nombreux lecteurs(trices) dont je fais partie. Je suis allée sur sa tombe à Paris en 2020 au cimetière Montparnasse pour lui rendre hommage. Je ne manque jamais d'ouvrir un de ces romans au moins une fois par an comme si ce rendez-vous annuel m'était nécessaire. J'ai toujours apprécié sa liberté d'être dans tous les domaines : son style affranchi des normes classiques, les sujets sur le mystère féminin, sur l'amour et sur la création littéraire, son interrogation permanente sur la vie. Colette Fellous, écrivaine et amie intime de Marguerite Duras, a pris la plume pour raconter un souvenir qui l'a marqué à tout jamais : "Je portais un gilet en grosse laine rouge et blanc et un petit foulard de soie léopard tacheté noir et blanc. (...) Elle m'a fixée, légèrement absente, la beauté de son visage, ses yeux bleus et purs, son ait unique et souverain de Marguerite D. : tu vois, j'étais exactement comme toi. Le même foulard, les mêmes couleurs, pareille". Colette Fellous vient interroger l'écrivaine sur "Emily B," qui venait d'être publiée. Elles partagent l'amour du théâtre et du cinéma. Elles sont nées dans les "colonies" et cette expérience les rapproche. Leur amitié est née vingt ans auparavant. Son amie Marguerite, âgée de 73 ans, semble marquée physiquement par l'alcool mais sa vie intellectuelle reste intacte. Leur rencontre autour du foulard marque un arrêt sur images. L'écrivaine se voit dans un miroir quand elle admire la tenue colorée de son interlocutrice. Même si Marguerite Duras semblait parfois débordée par ses propres outrances, elle insufflait dans ses textes des fulgurances où sa douleur, son intelligence et son ironie façonnaient son écriture inimitable. Colette Fellous a cherché un foulard similaire pour l'offrir à son amie et quand elle l'a enfin offert à Marguerite, il a scellé leur amitié pour toujours. Cet ouvrage teinté d'une douce nostalgie comporte aussi quelques photos de l'écrivaine aux Roches Noires à Trouville. Chacun et chacune gardent en soi un mystère malgré les nombreux écrits que Marguerite Duras nous laisse : "Elle dit comment elle écrit, comment elle se souvient, comment elle aime (...) Mais je la vois beaucoup plus fragile que ce qu'elle a pu laisser paraître".  Ces souvenirs des années 80 m'ont ramenée à un temps où la littérature jouait un rôle important dans la société. Qui de nos jours remplace Marguerite Duras ? Personne, hélas ! Un beau récit et un hommage à une écrivaine "sublime".