mardi 17 octobre 2023

"Le Château des Rentiers", Agnès Desarthe

 "Le Château des Rentiers" d'Agnès Desarthe, paru en septembre dernier, évoque ses grands-parents maternels, Boris et Tsila, qui vivaient dans un immeuble parisien, rue du Château-des-Rentiers dans le 13e arrondissement. Ils avaient acquis un petit appartement dans ce quartier pour rejoindre des amis, la plupart des rescapés de l'Holocauste. L'idée de se retrouver ensemble dans le cadre de la retraite leur permettait de vieillir en "amitié". Ils aimaient passer chez les voisins, emprunter des aliments manquants, laisser les enfants jouer dans les escaliers, partager ce quotidien dans une ambiance conviviale. C'était pratique et joyeux. L'écrivaine raconte avec facétie et avec une certaine émotion la création de cet immeuble aux allures de phalanstère. Tous ces "sur-vivants" continuaient à se parler, à s'amuser ou à se disputer. En pensant avec amour à ses grands-parents, Agnès Desarthe aborde la question de son âge. Née en 1966, elle sait que la retraite se rapproche : un rêve de sa jeunesse lui revient en mémoire. Ce rêve rejoint celui de ses grands-parents : créer une maison de retraite avec tous ses amis d'antan et d'aujourd'hui. Mais se pose la question cruciale : comment réaliser ce projet ? Agnès Desarthe relate ses visites avec la banque et avec un architecte. Les dialogues sont savoureux et les interrogations de la narratrice sur cette maison de retraite fantasmée se mélangent avec des anecdotes variées comme celle de sa rencontre mouvementée avec une lectrice en Ecosse. Ce récit ressemble à l'immeuble de ses grands-parents où portes et fenêtres sont ouvertes à tous vents. Un chœur d'hommes et de femmes parlent de leur vieillesse, souvent leur pire ennemie. La mère de l'écrivaine a été filmée par la Fondation Spielberg en 1996 et l'écrivaine relate la difficulté de la revoir car elle a disparu en 2012. Ses lectures sont aussi commentées en particulier sa découverte de Cynthia Ozick, peu connue en France. Ce récit autobiographique souvent éclaté semble prendre le relais de ses écrits personnels comme "Comment j'ai appris à lire" et le "Remplaçant" où elle faisait déjà le portrait de son grand-père, Boris. Le passé et le présent se bousculent sans cesse dans ce texte atypique, déluré, tendre et empathique. Si Agnès Desarthe réussit à bâtir sa maison de retraite, il est sûr que les résidents et résidentes vont souvent rire, sourire et réussiront à oublier les misères du grand âge. En compagnie d'une écrivaine, chef d'orchestre fantaisiste, enjouée et vibrante de vie, je veux bien me porter candidate dans quelques années dans ce nouveau Château des Rentiers des années 2040 ! Soyons optimistes ! Je redonne la parole à Agnès Desarthe : "Les souvenirs sont à présent ma rente. Je vis autant du présent que je me nourris du passé. Les années s'amenuisent, qu'importe ? Plus le temps qui me reste à vivre diminue, plus ce que j'ai vécu enfle et prospère". Belle définition du cumul des années !