mercredi 6 mars 2024

"Le carnet d'or", Doris Lessing, 2

 Dans un article du Monde des Livres, le critique évoque "Le carnet d'or" comme la "nef centrale" de son oeuvre globale, une "cathédrale". Dans ma jeunesse, j'ai dévoré le cycle "Martha Quest" dans "Les enfants de la violence". Plus tard, j'ai découvert "Vaincue par la brousse", "Nouvelles africaines", "Le cinquième enfant", "Alfred et Emily" et tant d'autres titres passionnants. Une oeuvre foisonnante, tentaculaire et singulière avec sa créativité polymorphe dans la 2e moitié du XXe siècle. Anna Wulf, le personnage central du "Carnet d'or" se raconte et raconte le monde autour d'elle. Son insatiable curiosité se met au service d'une "lutte, contre le chaos, contre la fuite, l'éparpillement". La narratrice se bat contre sa propre détresse, contre tous ses instants dépressifs qui la rapprochent de Virginia Woolf. Anna et Doris forment la même femme dans ce roman incroyablement moderne. Ayant grandi en Rhodésie, elle a vu le racisme ambiant d'un continent colonisé. L'effondrement de sa "foi" communiste lui fait quitter le parti après 1956. Mariée deux fois, ses relations amoureuses avec les hommes ne se vivent pas dans une sérénité désirable. Sa maternité ne semble guère la combler. Un seul domaine l'a vraiment rendue peut-être heureuse : l'écriture. Virginia Woolf disait :" Ecrire. La plus grande consolation. Le fléau". Pour Doris Lessing, il vaut mieux effacer le mot "fléau". Anna Wulf parle de tout dans ce roman : du communisme, des folies de sa jeunesse, de la sexualité, de la solitude, des liaisons ratées, de sa fille Janet, son unique amour, de son amie Molly, sa confidente solidaire, de Tommy, le garçon compliqué, du suicide, du quotidien, des ennuis d'argent, etc. Tous ces thèmes se mélangent dans le fameux "stream of consciousness" (le flux de la conscience), cher à Mrs Dalloway. Lire ce roman symphonique, c'est se lire aussi dans une démarche d'introspection. La narratrice, Anna, nous prend par la main pour nous conduire dans son labyrinthe mental. Elle recherche la vérité : "J'essaie sans cesse d'écrire la vérité et je vois sans cesse que ce n'est pas vrai". Une autre citation de Doris Lessing, frappante pour son pessimisme : "Je crois que les gens ne sont pas bons, ce sont des cannibales, et si l'on observe les choses, on voit que personne ne se soucie de personne". La dernière citation évoque une des qualités les plus précieuses pour affronter les épreuves de la vie, le courage : "En l'absence de gens courageux, une société libre meurt, ou ne naît pas".  Ce voyage intérieur réserve des grands moments de lecture et même si parfois, l'on peut parfois se perdre dans ces carnets de couleurs, une lecture concentrée et attentive évite un éventuel égarement. Ce roman total, unique, un chef d'oeuvre du XXe siècle !