jeudi 22 avril 2021

"Née quelque part"

 Michèle Halberstadt explore son histoire familiale dans "Née quelque part", publié chez Albin Michel en 2021. Dès la première page, elle écrit : "Je suis la dernière des Halberstadt. Ce nom s'éteindra avec moi". La narratrice évoque la figure de son père qui ne voulait jamais évoquer le passé, préférant se réfugier dans le présent. Son père est né en Pologne, a quitté ce pays pour la Palestine dans les années 30, s'est installé à Paris dans les années 50. La narratrice ne connait pas la famille paternelle, tous disparus dans les camps. Un jour, elle apprend que dans la famille de Freud, sa fille Sophie avait épousé un Halberstadt. Elle sait que tous ceux et celles qui portent ce patronyme appartiennent à la même famille. Les Freud font donc leur apparition dans cette enquête mémorielle. La narratrice va donc s'attacher à raconter les deux destins, bousculés par l'Histoire : celui de Max Halberstadt (1882-1940), gendre et photographe officiel de Freud et celui de David, son père. Cette recherche généalogique provoque en elle une frénésie de voyages : l'Allemagne, l'Autriche, la Pologne et même l'Afrique du Sud. En évoquant la vie de ses personnages réels mais nimbés d'une brume fictionnelle, l'écrivaine parle d'elle aussi comme une autobiographie en pointillé. J'ai noté ce passage sur la lecture comme une parenthèse heureuse : "Je conserve aux bibliothèques une fervente reconnaissance. J'y donne des livres, j'y fais des rencontres, je signe toutes les pétitions afin d'en préserver la gratuité, d'en étendre les jours et les heures d'ouverture. Une bibliothèque est une terre d'accueil qui ne nécessite aucun passeport une ambassade dont le visa permet d'entreprendre ce voyage immobile et inépuisable qu'est la lecture". Dans cette galerie de portraits, Freud se détache par sa stature et par sa générosité. Il aidera son gendre après la mort tragique et prématurée de Sophie à l'âge de 26 ans à la naissance de son deuxième enfant.  Le texte fourmille de détails qu'il est impossible de résumer tellement l'enquête est menée de main de maître avec un souci permanent de vérité, une vérité enfouie dans les méandres d'un passé perdu. Il faut se plonger dans ses lignes pour découvrir ces vies brisées par l'antisémitisme et le nazisme. Le nom de l'écrivaine se transforme en ancrage patrimonial, en une communauté solidaire dans le tragique de l'Histoire. Les disparus qu'elle ressuscite dans ses mots réapparaissent dans le présent et cet hommage à ses parents et à la famille de Freud porte une émotion intime qui entretient un lien avec ces ancêtres juifs de Pologne et d'Allemagne, tous décimés par l'Holocauste. Ce beau livre de Michèle Halberstadt sur les traces de ses anciens avec Freud comme témoin de ce début du XXe siècle si tragique maintient en permanence une empathie légitimement fondée envers ses hommes et ses femmes si dignes dans leurs malheurs.