lundi 20 février 2023

"La Vagabonde", Colette

 Je poursuis mes billets sur la délicieuse Colette en évoquant "La Vagabonde", inscrite dans mon programme de lectures de février. J'avoue que les récits autobiographiques de l'écrivaine me passionnent plus que ses écrits romanesques. Mais, "La Vagabonde", publiée en 1910, possède des éléments largement inspirés de son expérience personnelle dans le milieu du Music Hall où elle a travaillé pendant plusieurs années. Son mariage malheureux avec Henri Gauthier-Villars dit Willy est aussi évoqué avec une rancœur toute légitime. Son personnage féminin, Renée Néré, autrefois épouse d'un peintre reconnu, survit modestement grâce aux théâtres et aux cabarets à Paris et en province. Elle se définit comme "une femme de lettres qui a mal tourné". Se retrouvant seule avec sa chienne Fossette dans un petit logement, elle a abandonné l'écriture. Un jour, dans une de ses tournées, elle rencontre un admirateur plus fervent que les autres et la jeune femme subit sa cour effrénée. Renée rejette, refuse l'amour après l'échec retentissant de son mariage. Maxime est jeune, beau et surtout riche. Renée se sent prise dans un piège. Elle s'installe dans une bohème un peu anarchique surtout dans le milieu artistique parisien et apprécie les nombreuses rencontres avec des personnages hauts en couleurs comme son collègue Brague. Déchirée entre sa nouvelle conquête d'une autonomie rêvée et un retour dans le carcan du mariage, Renée symbolise l'ambiguïté de Colette : vivre en toute sécurité en couple avec Maxime ou vivre sans entraves avec sa solitude. La narratrice s'exclame ainsi : "Il y a des jours où la solitude, pour un être de mon âge, est un vin grisant qui vous saoule de liberté, et d'autres jours où c'est un tonique amer, et d'autres jours où c'est un poison qui vous jette la tête aux murs". Sa carrière de pantomime comble sa vie mais elle règle aussi ses comptes avec son ancien mari, volage et trompeur, pusillanime et hypocrite (portrait de Willy, en fait). Colette aborde aussi dans ce roman le thème de la vieillesse, une obsession que l'on retrouve souvent dans ses œuvres. L'idée de son changement physique la hante car "elle se sent usée, incapable de reprendre l'habitude de l'amour". Elle déclare à un ami : "Je ne suis plus assez jeune, ni assez enthousiaste, ni assez généreuse pour recommencer le mariage". Ce roman en trois parties, le passé de Renée, sa vie des tournées théâtrales, et sa relation avec Maxime. Elle décide de poursuivre sa carrière de pantomime et choisit la liberté, son "indépendance mentale". Maxime ne fera pas partie de son avenir. L'amour n'est que souffrance pour la jeune femme. Renée a goûté à sa liberté et ne veut plus être une "femme soumise". Ce roman d'émancipation a certainement influencé plus de femmes que des traités féministes militants. Colette a montré dans son roman un talent d'écriture exceptionnel alors qu'elle avait à peine une trentaine d'années. Sido, sa mère, conseillait à sa fille : "regarde" et Colette a aussi compris "écris ce que tu regardes" : "Ecrire ! Pouvoir écrire ! Cela signifie la longue rêverie devant la page blanche, le griffonnage inconscient, les jeux de la plume qui tourne en rond autour d'une tache d'encre, qui mordille le mot imparfait, le griffe, le hérisse de fléchettes, l'orne d'antennes, de pattes, jusqu'à ce qu'il perde sa figure lisible de mot, mué en insecte fantastique, envolé en papillon-fée". Colette, un festival de sensations, d'images et de saveurs. A lire sans cesse sans modération...