lundi 8 janvier 2018

"Souvenirs dormants"

J'ouvre le dernier Patrick Modiano et je lis : "Un jour, sur les quais, le titre d'un livre a retenu mon attention, Le Temps des rencontres. Pour moi aussi, il y a eu un temps des rencontres, dans un passé lointain". Dès la première ligne, le charme modianesque opère. Cela m'arrive à chaque parution d'un roman de ce grand écrivain de la mémoire, une mémoire fugitive, fragmentaire, effilochée. Un écrivain ressemble souvent à un archéologue fouillant son propre passé avec une obstination rare. Des voix, des visages, des corps le traversent sans cesse, comme les noms de rues, de boulevards, d'immeubles de Paris. L'œuvre littéraire de Patrick Modiano a hérité de l'incessante recherche du temps passé en petit-fils spirituel de Proust. Dans son dernier opus, "Souvenirs dormants", il évoque ses rencontres de jeunesse dans un Paris des années 60. Dans son récit autobiographique, "Pedigree", il écrit : "Peut-être, tous ces gens, croisés au cours des années soixante, et que je n'ai plus jamais eu l'occasion de revoir, continuent-ils à vivre dans une sorte de monde parallèle, à l'abri du temps, avec leur visages d'autrefois". Jean D., le narrateur, âgé de vingt ans, raconte ses rencontres féminines : Mireille, Geneviève, Madeleine sans dire s'il avait des relations intimes avec elles. Il s'attarde davantage sur une femme qu'il ne nomme pas car elle a peut-être tué son amant. Il la protège et fuit avec elle pour éviter la police. Ils s'installent dans un hôtel comme des clandestins et se font oublier. Cinquante ans plus tard, cet événement hante la mémoire du narrateur. Patrick Modiano écrit en évoquant toutes les relations de sa jeunesse : "Aucun d'eux ne m'a donné de ses nouvelles, ces cinquante dernières années. Je devais être invisible pour eux, à cette époque. Ou bien, tout simplement, vivons-nous à la merci de certains silences". Le narrateur décrit tous les quartiers traversés, les rues et les hôtels, toute une cartographie de Paris que l'on retrouve dans ses romans, comme un leitmotiv obsessionnel. Modiano est peut-être le seul écrivain géographe, le seul écrivain archéologue que je connaisse. Ce beau roman, "Souvenirs dormants", propose aux lecteurs(trices) une méditation littéraire sur les souvenirs enfouis et sur la recherche d'indices cachés, de traces ténues, de fragments mémoriels... La magie Modiano...