samedi 12 septembre 2015

"La triomphante"

Teresa Cremisi est plus connue comme éditrice et pas n'importe quelle éditrice. Elle a publié Christine Angot, Houllebecq, Onfray chez Flammarion dont elle était la directrice. Elle signe donc son premier roman, une autobiographie masquée qui lui donne aussi une liberté qu'elle revendique. La première phrase du livre donne le ton : "J'ai l'imagination portuaire". Elle évoque avec amour son Alexandrie natale qu'elle a quittée à l'âge de dix ans. Elle a quitté ce pays lors de la crise du canal de Suez en 1956 alors qu'elle y vivait heureuse avec ses parents. Cette petite fille intrépide raconte cette enfance dorée, parfumée, colorée dans un paradis oriental perdu. Elle baigne dans une culture cosmopolite, brillante voire scintillante. Elle évoque le port égyptien, "un port qui a connu la gloire et l'oubli, une charnière du monde". Ils sont obligés de partir pour l'Italie mais ses parents ne s'adaptent pas à leur nouvelle vie. La dépression de sa mère, une sculptrice reconnue, et les difficultés financières de son père ne minent pourtant pas la jeune adolescente qui se nourrit de littérature. L'Iliade fortifie son caractère, Stendhal l'enchante. Elle saisit sa chance dans une proposition de travail concernant la gestion d'une grande imprimerie et la voilà dans un enchaînement heureux sur le plan professionnel. Bien que ce livre s'intitule roman, Teresa Cremisi relate sa grande réussite dans le milieu éditorial français. Cette femme "triomphante" ne déclame pas son orgueil d'une vie bien remplie. Elle se sent toujours cette "exilée" d'un pays disparu mais qui l'a marquée à vie. Ce récit mi-fictif, mi-réel dégage un charme certain, une élégance toute féminine, et même féministe dans son amour de la liberté et de l'indépendance.  "La Triomphante ", un plaisir de lecture, une écriture sobre et parfois poétique, une vie accomplie d'une femme audacieuse et aussi pleine d'ironie et de doute...  Et quand elle cite un poème de Cavafis sur les années qui passent trop vite, je me dis que j'aurais bien aimé la rencontrer, Teresa Cremisi...