vendredi 10 juin 2022

"Le corps de l'âme"

 Le recueil de nouvelles de Ludmilla Oulitskaia, publié chez Gallimard en début d'année, m'a vraiment enchantée. Annette a déjà évoqué dans l'atelier Littérature ce recueil et m'a fortement encouragée à le découvrir. Dès que j'ai lu le premier texte, j'ai senti que j'avais affaire à une très grande dame de la littérature russe, voire mondiale. Née en 1943 dans l'Oural dans une famille juive, elle a connu toutes les persécutions possibles. Biologiste de métier, elle a été exclue de son laboratoire. Dissidente déclarée, l'écrivaine n'est surtout pas une amie du pouvoir autocratique russe. Elle vit à Berlin, en Italie et en Israël pour fuir ce cauchemar qu'est devenu son pays. La télévision lui a consacré une émission que j'ai vue récemment où on suit l'écrivaine dans sa vie quotidienne. Elle déclare que les livres qu'elle compose la suivent sans cesse et que l'écriture demeure sa seule façon de vivre. Ce reportage montrait une femme adorable de gentillesse, cultivant l'amitié avec ses traductrices. Cette personnalité attachante d'une humanité rare écrit : "J'ai rencontré tant de gens d'une telle dimension, d'une telle beauté, et même d'une telle sainteté qu'il me semble en connaître suffisamment pour dix vies. La plupart sont morts, et je suis la détentrice de choses terriblement éphémères et très précieuses". Son dernier livre commence par un éloge tendre et juste pour des femmes jeunes et vieilles, intelligentes ou pas, toutes ces battantes de la vie qui donnent et reçoivent peu. L'écrivaine a décidé d'approcher la notion d'âme plus complexe à saisir que le corps. La frontière mystérieuse entre ces deux entités semble ténue et pourtant franchissable. Dans la première nouvelle, Zarifa, femme d'affaires brillante, est mariée à une arménienne. Elle est atteinte d'un cancer qui va finir par la tuer. Mais, avant de mourir, elle se pose des questions sur le Bien et sur le Mal. Son mariage avec une femme l'a séparée de sa famille qui ne peut accepter cette union, contraire aux principes de la religion. La deuxième nouvelle évoque une femme seule qui veut mourir. Mais, elle va rencontrer sur le tard l'homme de sa vie mais, elle le perdra dans un accident. Dans ces onze textes intenses et poétiques, les personnages féminins n'ont pas la vie facile mais leur humanité profonde illustre ce "corps de l'âme", cette notion éminemment spirituelle. Plus je lisais les textes, plus je m'égarais avec admiration dans une dimension merveilleuse alors que je résiste souvent à ce type de littérature. Pourtant, la présence de la mort se vérifie dans chaque nouvelle et ce passage d'un monde à l'autre (ou au néant) pose une question métaphysique. Que devient l'âme après la mort du corps ? Ludmilla Oulitskaia révèle avec son art sa conception de la vie, de la mort. Emotions, sensations, humour, poésie, puissance des images, aspect comico-tragique de la vie, tous ces éléments composent un chef d'œuvre, "Le corps de l'âme". Cet été, je vais lire ses romans précédents. Il n'est jamais trop tard pour découvrir une immense écrivaine universelle, venue de l'Est.