vendredi 26 août 2016

Pascal Quignard

Pour bien comprendre un écrivain aussi essentiel que Pascal Quignard, j'ai lu la biographie de Jean-Louis Pautrot, publiée conjointement chez Gallimard, chez Grasset et à l'Institut Français. Un CD inclus dans l'ouvrage propose des entretiens de l'écrivain avec Alain Veinstein, de France Culture. Ces enregistrements proviennent des archives de l'Ina. Ce document précieux et rare prolonge le plaisir du lecteur(trice) quand la voix si intime de l'écrivain explique quelques unes de ses œuvres. Cet écrivain fascinant est étudié au lycée et l'Université le considère comme un écrivain majeur de notre époque. Cette reconnaissance "institutionnelle" doit faire sourire ce rebelle, cet insoumis des Lettres qui a pris le "Large" depuis 1994 en quittant ses fonctions d'éditeur chez Gallimard et en choisissant la rupture sociale pour se consacrer à la littérature. Jean-Louis Pautrot propose six chapitres aux titres évocateurs : "Une œuvre en mouvance", "Origine", "Les formes et l'informe", "Anciens et Modernes", "Humain et animal", "Arts". Pour qualifier l'œuvre quignardienne, le critique parle "d'aventure littéraire, une œuvre de pensée dans laquelle se discutent des notions philosophiques, psychanalytiques, scientifiques,  et, où, s'entrelacent diversement le narratif, l'affectif, le poétique et le noétique." Il précise aussi que son œuvre est grave, mélancolique, parfois contemplative,  mais aussi tonifiante, curieuse, parfois drôle et joyeuse. Tous les fragments, les textes courts, les pensées, les aphorismes, les étymologies surprenantes intègrent le psychisme du lecteur(trice) et rencontrent un écho profond dans la mémoire archaique. Les verbes "lire et écrire" reviennent comme un leitmotiv, une basse continue (la musique tient une place capitale dans sa vie), font partie d'une ascèse et pour Pascal Quignard, ces ascètes forment la communauté des lettrés. Le biographe évoque le terme de "déliaison", de "déprise", une attitude de rupture du lien social, du langage,  de l'identité, de la famille, de la profession et même du temps présent. Cette biographie m'a vraiment aidée dans mon exploration des publications de cet écrivain singulier car j'avais lu pratiquement tous ces ouvrages à leur sortie en librairie et une deuxième lecture s'est imposée pour apprécier pleinement cette prose atemporelle. Plus je lis et relis du "Quignard", plus mon intérêt se ravive et s'approfondit. Au détour d'une page, Pascal Quignard m'a offert cette sensation que me procure la lecture : "Lire au jardin, dans la chaleur, la langueur, la lenteur, l'engourdissement qui s'assemblent l'été." 

jeudi 25 août 2016

"Tout sur Sally"

J'avais beaucoup apprécié un récit d'Arno Geiger, "Le vieux roi en son exil", publié chez Gallimard en 2012. Cet écrivain autrichien, né en 1968, vit  à Vienne, est traduit en vingt-sept langues et ce qui fait de lui, "l'un des auteurs germanophones les plus lus". Quand j'ai appris qu'il venait de sortir son troisième roman, "Tout sur Sally", je n'ai pas hésité à l'acquérir (les trois bibliothèques que je fréquente ne l'ont pas dans leur catalogue...) et je n'ai pas été déçue, bien au contraire. Alfred, conservateur de musée, et Sally, professeur, forment un couple uni et sans histoires... A un retour de voyage, ils découvrent que leur maison, située dans un beau quartier de Vienne, vient d'être cambriolée. Alfred réagit mal à ce viol de l'intimité alors que sa femme relativise cet événement déplaisant. Elle s'étonne de l'effondrement moral de son mari et l'observe d'un nouvel œil après  trente ans de mariage. Ils se sont rencontrés en Egypte et se sont plus quittés en formant une famille composée de trois enfants. Mais, la lassitude s'infiltre dans leur relation pourtant harmonieuse sur le plan sexuel. Sally décide de prendre un amant et choisit le mari de sa meilleure amie. Cette infidélité la rend plus dynamique et elle retrouve une certaine jeunesse qu'elle avait perdue dans les habitudes d'un mariage trop casanier. Alfred n'est pas dupe de la trahison de sa femme mais, en homme sage et patient, il se tait et accepte avec philosophie ses écarts. Un jour, la femme de l'amant de Sally, fait irruption chez eux pour leur annoncer son divorce... Arno Geiger raconte avec un humour corrosif et piquant les aventures de Sally, la nouvelle Madame Bovary viennoise, en brossant un portrait sans concession d'un couple à bout de souffle. Mais, le réel des sentiments surgit quand on ne l'attend plus. Tout ne va pas se passer comme prévu. J'ai retrouvé la griffe mordante de cet écrivain dans ce roman qui se lit d'une traite. Le mariage de Sally et d'Alfred s'appuie-t-il sur des sables mouvants ou sur du bitume ? Il faut lire ce livre pour le découvrir...

mercredi 24 août 2016

Françoise Mallet-Joris

Quand j'ai appris le décès de Françoise Mallet-Joris, j'ai pensé à la génération des écrivains nés dans les années 30 et qui ont connu un succès conséquent dans les années 70 et 80. Cette femme, venue de Belgique, a écrit en 1951 un roman "sulfureux" selon la presse littéraire, "Le rempart des Béguines". L'écrivaine relatait une histoire d'amour audacieuse où l'amour se conjuguait de façon plurielle : une femme, maîtresse d'un homme plus âgé, a aussi une relation amoureuse avec la fille de celui-ci... Scandaleuse, cette histoire que l'on jugerait banale aujourd'hui... Françoise Mallet-Joris est née dans une famille bourgeoise. Son père était ministre belge de la justice et sa mère, Suzanne Lilar, une avocate et écrivaine célèbre. Dans l'article du Monde, Josyane Savigneau et Jean-Luc Douin dressent un beau portrait de Françoise Mallet-Joris, un peu oubliée de nos jours. Elle compose à sa façon des romans dits "féminins" où le thème du couple et de la famille prédomine dans une vision "décapante" des mensonges et des hypocrisies qui règnent dans son milieu. En 1958, elle obtient le prix Femina pour "L'empire céleste". Les succès se suivent et elle intègre le jury Femina, puis l'académie des Goncourt en 1970. Elle a bien flairé l'air du temps en écrivant un roman, "La maison de papier" où elle décrit avec humour sa tribu familiale (elle a deux garçons et deux filles). Elle enchaine avec succès "Allegra"et " Dickie-roi". Cette écrivaine prolixe devient ainsi populaire. Sa "Tristesse du cerf-volant" va surprendre son public. Elle va composer des chansons pour son amie et compagne, Marie-Paule Belle. Elle publiera des œuvres plus autobiographiques dont la "Double confidence" en 2001. Elle s'éloigne peu à peu du milieu littéraire en démissionnant de l'Académie Goncourt en 2011. Elle affrontera avec courage la maladie et la solitude (selon l'article du Monde) et publiera en 2007, "Ni vous sans moi, ni moi sans vous", un roman sur l'amour et sur les liens inextricables parents-enfants. Cette grand dame de la littérature a marqué de nombreuses lectrices (et lecteurs) et même si son succès a décliné dans les années 2000, je tenais à lui rendre hommage car dans ma vie de libraire et de bibliothécaire, j'ai conseillé ses romans et même si elle ne fait pas partie des grands classiques contemporains, sa plume alerte et son univers romanesque méritent le respect et surtout la découverte de ses livres. 

lundi 22 août 2016

Rubrique Musique

Je n'ai jamais abordé dans ce blog ma deuxième passion après celle des livres et de la littérature, je veux parler de la musique. Evidemment, je n'ose pas susurrer que je ne m'intéresse qu'à la musique classique depuis fort longtemps, car ne pas aimer "toutes les musiques" semble anachronique et presque insupportable aux yeux de certains amateurs de modernité acoustique éclectique.  Dans ma jeunesse, j'ai aimé la chanson française de qualité dont la sublime Barbara... Mais, dès que mes oreilles ont distingué les sons harmonieux d'une sonate de Mozart, d'un trio de Beethoven, d'un quatuor de Mendelssohn, d'un concerto de Vivaldi, d'une symphonie de Berlioz, j'ai consacré mes heures libres à la découverte de tous les musiciens des temps passés. Telle une aventurière de l' harmonie,  j'ai exploré méticuleusement la planète musique en passant de la musique de chambre à la musique orchestrale. J'ai écouté tous les compositions avec la flûte, puis le violoncelle, le basson, l'orgue, le piano. Ensuite, j'ai atteint la forêt enchantée du Baroque. Au sommet  de mon palmarès, je place Bach, Jean-Sébastien avec surtout ses Passions et ses Cantates. Je préfère la voix, les chœurs, la présence humaine derrière la voix. Après Bach, viennent tous les opéras d'Haendel qui m'accompagnent constamment dont les "Paternope", "Judas Maccabaeus", "Tamerlano", pour ne citer que les plus connus... Un contre-ténor m'enchante particulièrement : Philippe Jaroussky que je vais enfin voir très bientôt à Saint Jean de Luz. Ce chanteur lyrique m'a vraiment ouvert le monde merveilleux du Baroque. Je citerai encore l'œuvre sacrée de Vivaldi dont ses Vêpres magnifiques, Pergolèse, Cavalli, Steffani,Vinci, Monteverdi. Heureusement que les bibliothèques disposent d'un espace Musique car cela me permet d'emprunter des CD que je me procure ensuite sur des sites spécialisés. Je peux lire tout en écoutant de la musique et ces deux passions s'entremêlent à merveille : les mots et les notes, les notes et les mots, la même musicalité, le même tempo lent ou rapide. Musique et littérature sont souvent liées dans une entente mystérieuse.  Je ne revendique aucune connaissance approfondie et rigoureuse de la musique classique. Comme elle fait partie de ma vie quotidienne, je désire l'évoquer modestement dans ce blog...

vendredi 19 août 2016

"Le nouveau nom"

J'ai terminé avec regret le deuxième tome de la saga "Ferrante" et j'attends avec impatience,  la sortie du troisième tome en janvier 2017. J'avais déjà beaucoup apprécié le premier ouvrage (sorti en Folio cet été) qui racontait l'histoire mouvementée d'une amitié entre deux jeunes filles de milieu modeste dans le Naples des années 50. Elena Ferrante ne passe jamais  dans les médias et son éditeur ne révèle pas pour le moment, son identité, car son nom d'écrivaine est un pseudonyme. Ce mystère apporte une aura particulière à cette œuvre littéraire. Lila Cerullo et Elena Greco ont passé un pacte sacré : elles ne se quitteront jamais et leur amitié sera indestructible. Mais, la vie, hélas, ne respecte pas toujours les rêves des jeunes filles à Naples. Leur déterminisme social les handicape au plus haut point. La pauvreté des familles, la présence de la mafia, la violence patriarcale des hommes, la misère intellectuelle et morale de la population qui vit dans ce quartier, pèsent sur le destin des deux amies. Lila, pourtant douée à l'école, préfère la sécurité matérielle et se marie avec Stefano, épicier et surtout lié aux frères Solara, camorristes qui règnent à Naples. La relation de Lila avec son mari se dégrade vite et ne s'arrangera jamais. Son amie Elena opte pour la sécurité "scolaire". Elle comprend que le lycée et les encouragements de ses professeurs vont la sauver de la pauvreté et de la violence masculine.  Les deux amies vont passer l'été sur l'île d'Ischia et leur séjour va changer le cours de leur vie quand elles vont rencontrer l'étudiant Nino Sarratore, l'amour secret d'Elena depuis la seconde même si elle n'ose pas lui parler. Leurs retrouvailles ne vont pas se passer comme prévu... Je ne veux pas dévoiler la suite de l'histoire car, selon Télérama, cette "saga romanesque addictive, cette fiction intime et politique d'une intelligence et d'une sensibilté époustouflantes" emporte l'adhésion des lecteurs(trices). Heureusement, Elena Ferrante a prévu de nous raconter la vie de ces deux amies et surtout leur amitié chaotique, exclusive, passionnée avec des ruptures, des trahisons et des réconciliations... Je conseille de lire "L'amie prodigieuse" avant de se plonger avec délices dans "Le nouveau nom"... L'univers d'Elena Ferrante m'a ravie car j'ai visité Naples cette année et j'ai retrouvé avec un immense plaisir l'atmosphère volcanique de cette cité extraordinaire...

mercredi 17 août 2016

Eloge du livre de poche

J'ai remarqué un article dans le Monde du Mardi 16 Aôut concernant "La bonne fortune des livres de poche en été". Ces compagnons de papier, légers et peu onéreux (moins de 10 euros), remportent un succès plus que mérité depuis des décennies. Cet été 2016, un titre particulier atteint un chiffre fabuleux de vente : plus de 260 000 exemplaires pour "L'amie prodigieuse"... Ce roman italien d'Elena Ferrante dont j'ai parlé dans ce blog n'est pourtant pas si facile à lire, tellement il fourmille de personnages inoubliables dans un Naples des années 50. Quand cette histoire d'amitié est sortie dans la collection Du Monde entier de Gallimard, seulement 18500 exemplaires avaient été vendus. Cet engouement me rassure sur la bonne santé de la lecture de qualité pendant les vacances. D'autres écrivains émergent dans la liste des ventes comme Michel Bussi et Guillaume Musso... Les livres en format poche représentent un quart des ventes en librairie et les éditeurs privilégient les sorties de très bons romans dans ce format en respectant le délai d'un an. Je rachète des titres dans ce format pratique pour compléter les œuvres de mes écrivains préférés.  J'ai une prédilection pour la collection Poésie Gallimard et quelques poètes que je relis de temps en temps n'attendent qu'un regard de ma part pour les feuilleter à nouveau : Perros, Michaux, Char, Sapho, Reverdy, etc. Toutes les collections de poche peuvent se nicher dans des petits espaces y compris dans les étagères de la salle de bain... La librairie Garin propose des tables entières de livres de poche et je regarde avec attention toutes les nouveautés. Je repars avec des volumes que je garde pour mes escapades futures. Rien ne vaut cet objet de papier pendant les heures d'attente dans un aéroport et dans l'avion. J'ai toujours ressenti un soulagement d'avoir dans mon sac un roman ou un essai dans un petit format comme une sorte de talisman protecteur... L'été n'est pas terminé. Prenons donc le Large avec les livres de poche, nomades et maniables, peu encombrants et connectés avec le monde entier...

mardi 16 août 2016

Rubrique Séries

L'été est une période propice à la lecture si on supprime de son programme, les randonnées en montagne (trop dur), les plages bondées et bruyantes (trop chaud). Je préfère dans ma grande sagesse rester chez moi et fuir tous les lieux touristiques. Même le lac du Bourget attendra ma visite à l'automne... Je m'adonne donc à la lecture toute la journée et le soir, je me laisse surprendre par les séries. J'ai terminé deux saisons d'une série américaine atypique, "The Leftovers", une pépite télévisuelle à ne manquer sous aucun prétexte. L'histoire démarre dans une certaine angoisse : le 14 octobre, 2% de la population mondiale disparaît mystérieusement de la surface de la terre. Ces "disparus" appartiennent à toutes les catégories sociales, à tous les âges et aux deux sexes. Les familles, victimes de la disparition de leurs proches, se désespèrent et ne reçoivent aucune explication à ce phénomène énigmatique. Trois ans plus tard, la vie quotidienne reprend son cours dans une petite ville, Mapleton, près de New York. Dans la saison 1, la population vit traumatisée après tous ces événements tragiques. Le chef de la police locale, Kevin Garvey essaie de contenir les affrontements entre les habitants de Mapleton et les membres d'une secte dont les membres sont habillés en blanc, fument sans arrêt et ne parlent plus. Ils notent sur un carnet les paroles à se transmettre. La femme du policier intègre ce groupe sectaire au grand désespoir de son mari. Ces hommes et ces femmes en blanc refusent d'oublier les disparus et veulent culpabiliser ceux qui désirent vivre comme avant, cet avant qui n'existe plus après la catastrophe. Cette série pose des questions philosophiques et sociétales : comment réagir face à un cataclysme semblable ? Faut-il oublier et rebondir ? Que représente cette secte omniprésente dans la vie des résilients ? Les  réponses jailliront au cours des épisodes... Il ne faut pas oublier la musique, les acteurs superbes dont Justin Théroux, les décors et le scénario très original, tiré d'un roman de Tim Perrota. Cette série n'est pas sur les listes des meilleures séries américaines. Pourtant, elle mériterait une première place dans la catégorie "originalité et singularité"... 

lundi 15 août 2016

"Le miracle grec"

J'ai déjà parlé dans mon blog de la revue Philosophie magazine que je lis régulièrement. Cet été, l'équipe éditoriale a pensé à tous les amoureux de la Grèce antique dont je fais partie. Ils ont édité un hors-série sur "Le miracle grec", expression attribuée à Ernest Renan. Dans l'édito de Sven Ortoli, le "miracle grec" réunit tout ce qui "fonde notre monde : le droit, la monnaie, la démocratie (sans les femmes !), la philosophie, l'histoire, la science, le théâtre..." Pour mettre un peu d'ordre dans ce constat historique, la revue propose une série d'articles très clairs, écrits par des spécialistes, issus de l'université. Mythe ou réalité, cette qualification de miracle relève d'un ensemble de faits incontestables.  Cette synthèse propose une chronologie documentée avec des angles divers : histoire culturelle, histoire des savoirs, politique et société, ailleurs dans le monde. Paul Veyne évoque avec sa culture phénoménale la Grèce en héritage. Jan Assman, égyptologue allemand, rappelle que la Grèce antique connaissait l'Egypte et s'en nourrissait. Les mathématiques et les sciences sont à l'honneur avec Michel Serres. Evidemment, il est question de la philosophie, matrice de la culture antique avec des portraits des plus célèbres d'entre eux : Parménide, Héraclite, Epicure, Platon, Aristote, etc. Un article sur le procès de Socrate m'apprend que les cinq cents citoyens formant la "démos-cratie" ou pouvoir du peuple a condamné le philosophe pour sa liberté de pensée. Luc Ferry raconte le passage du mythe à la raison, du mythos au logos, un changement fondateur et émancipateur, "l'ADN" des Grecs anciens. Après la philosophie grecque encore vivifiante aujourd'hui, des historiens prennent le relais pour nous embarquer dans la "première mondialisation" avec les colonisations en Europe, en Afrique et en Asie. On dénombre plus de 11OO cités-états et 8 millions d'habitants... La revue n'oublie pas de signaler que la démocratie athénienne n'épargnait ni les femmes, ni les esclaves. Cette synthèse claire, documentée et illustrée, s'adresse à tous les amoureux de la Grèce antique et de la philosophie. Et après avoir lu les articles, je regrettais presque de vivre au XXIe siècle... Et je me serais déguisée en homme comme l'a fait une élève de Platon, Axiothea,  pour suivre les cours de l'Académie à Athènes...

mardi 9 août 2016

"7"

Tristan Garcia a obtenu avec ce roman pluriel, "7", le prix du Livre-Inter en 2016. Publié à la rentrée littéraire de l'année dernière, cet ouvrage prolifique de 569 pages comporte sept nouvelles traitées sur un mode fantastico-social. J'avoue que j'ai été un peu déroutée par les sujets de prédilection de Tristan Garcia. La première nouvelle évoque le thème de la drogue rajeunissante,  "l'Hélicéenne". La deuxième nouvelle, "Les  rouleaux de bois" est basée sur la musique et l'auteur invente une machine sortie tout droit de l'imagination d'un moine portugais qui aurait composé deux cents cinquante ans avant, les mélodies les plus célèbres, écoutées encore de nos jours. La musique s'ancre dans le passé le plus lointain et resurgit comme une vague éternelle de fond. La troisième nouvelle, "Sanguine", pose le problème de la beauté du visage. Une femme très belle, mannequin célèbre,  découvre un homme d'une laideur effrayante alors qu'elle se repose dans une ferme à la campagne. Elle accepte de transférer sa beauté à l'homme rencontré qui s'en saisit en fuyant en Amérique où il devient un acteur séduisant. Mais, le destin va punir l'imposteur et va récompenser "Sanguine" avec sa beauté retrouvée. Ce conte renouvelé de "La Belle et la Bête" pose la question de l'équilibre du monde entre justice et injustice. La quatrième nouvelle, "Hémisphères",  a retenu toute mon attention. La société française est constituée de bulles hémisphériques abritant toutes les catégories de citoyens qui ne se mélangent plus. L'auteur établit des listes à la Georges Perec d'une cocasserie irrésistible. Les dernières nouvelles parlent de révolution permanente, d'extra-terrestres et ce livre protéiforme se termine avec une tentative éprouvante de "replay" concernant un homme immortel qui revit sept fois. En me renseignant sur Tristan Garcia, j'ai appris qu'il est né en 1981, enseigne la philosophie et a publié des romans et des essais chez Gallimard. Son projet littéraire intègre une dimension philosophique, une critique sociale et une vision de poète. Dans un article de la revue "Pages", j'ai retenu cet extrait : "Apparences, engagement politique, croyances, rapport au temps, langage, foi... autant de thèmes qui sont au cœur des histoires de Tristan Garcia". Ces romans miniaturisés d'anticipation sociétale  secouent et surprennent le lecteur(trice). Cet écrivain philosophe nous invite à la réflexion en privilégiant l'imagination débridée. Des histoires percutantes, toniques et politiques...    

lundi 8 août 2016

Rubrique cinéma

J'ai repris le chemin de l'Astrée, ma salle de cinéma quasiment privée hier après-midi, car nous étions quatre courageuses spectatrices pour le film, "Genius"... J'ai hésité de voir "Genius" car la critique n'était pas dithyrambique. Mais, comme le sujet m'intéressait, j'ai passé outre les avis mitigés et je n'ai pas regretté mon après-midi à l'ombre du grand écran. Michael Grandage, le réalisateur, a choisi de nous raconter la relation intense entre un éditeur et un écrivain dans un New York des années 20. L'auteur exceptionnel se nomme Thomas Wolfe, moins connu qu' Hemingway et Scott Fitzgerald, publiés par l'éditeur newyorkais. Cet homme, voué exclusivement à la lecture de manuscrits qu'il corrige sans cesse, reçoit dans son bureau, un jeune homme un peu agité qui lui remet une pile impressionnante de feuilles manuscrites. Il raconte le rejet injuste de son manuscrit chez les éditeurs de la ville. Dès que l'éditeur se retrouve seul, il se saisit du manuscrit et il se rend vite à l'évidence : ce jeune homme est un écrivain de génie. Le film se concentre sur cette relation de couple exclusif : l'artisan de l'écrit et l'artisan du "lire". L'un n'existe pas sans l'autre. Thomas Wolfe épuise son éditeur car ses manuscrits représentent des milliers de pages qu'il faut sans cesse éliminer pour leur lisibilité. L'écrivain partage sa vie avec une maitresse plus âgée que lui et elle l'encourage à écrire. Mais, elle comprend qu'elle perd son amant qui vit en symbiose avec son mentor. La différence entre ces deux hommes pourrait les séparer. L'éditeur, amoureux de sa femme et père de famille aimant, est un homme calme, équilibré, discret. Thomas Wolfe vit sur un volcan de sensations, de sentiments, d'impressions qu'il veut retranscrire dans son œuvre. L'éditeur canalise la folie créatrice de son "écrivant" novateur et singulier. Il sera édité, trouvera son public malgré la difficulté d'accès à cette œuvre. Il est mort d'une hémorragie cérébrale à 38 ans. Le réalisateur montre des aspects de la littérature que l'on voyait peu au cinéma. Sans éditeur, un écrivain meurt dans la plus complète solitude. Le regard critique, le geste correcteur de textes, l'appui financier restent des éléments essentiels dans la littérature novatrice et d'avant-garde. Ce beau film singulier et original ne peut plaire qu'à ceux et celles qui s'intéressent de très près à la littérature américaine, au monde de l'édition et à la création artistique.

vendredi 5 août 2016

Façons de lire

Mes lectures ressemblent à un puzzle où chaque pièce correspond à un besoin particulier. Pendant ces beaux jours, j'aime me faire un programme éclectique et une pile d'ouvrages constitue une sculpture en papier sur ma table de chevet. On évoque les rythmes biologiques dans une journée et je reprends cette expression pour qualifier mes rythmes d'intellectuels et émotionnels. Les livres m'accompagnent à tous moments. Le matin, je préfère poursuivre quelques pages du roman en cours. Puis, j'ouvre le journal Le Monde pour comprendre l'actualité si difficile en ce moment. Pendant ma séance de vélo d'appartement (je n'oublie pas l'exercice physique...), je lis, tout en cumulant les kilomètres, un livre de poche sur la philosophie antique de Pierre Hadot. Depuis que je fréquente le cours de philosophie le mercredi matin, je lis avec plus d'aisance et de compréhension des ouvrages que je n'aurais pas découverts avant.  L'après-midi, je m'installe sur ma terrasse et je transporte ma pile pour lui faire prendre l'air... Au menu, une revue hors-série de Philosophie magazine sur le miracle grec. Je picore un article pour savourer la pensée de quelques grands historiens comme Paul Veyne et Jean-Pierre Vernant. Je délaisse la revue pour une biographie, celle de Pascal Quignard et je reviens à mon roman du moment pour retrouver avec plaisir mes personnages préférés. Je termine ma fin de journée avec deux pages de Pessoa, "Le Livre de l'Intranquillité", édité chez Christian Bourgois. Comme je prépare mon futur voyage à Lisbonne, je me mets dans l'ambiance littéraire de la ville. Entre Pessoa et un guide touristique, je rêve du Tage, des azulejos, des pasteis de Belem, de Vieira da Silva et des trams jaunes grimpant dans les rues étroites de la ville. Pour terminer ma journée, je reviens à mon roman car je ne peux pas échapper à mon goût de la fiction qui m'ouvre les portes du rêve pour la nuit... La journée passe trop vite quand on aime lire et en même temps, on a l'impression d'oublier le temps quand on se plonge dans un livre... Façons de lire, un art de vivre, mon art de vivre...

jeudi 4 août 2016

"Les Intéressants"

J'ai enfin trouvé le roman de l'été avec toutes les qualités requises : une histoire d'amitiés de l'adolescence à la maturité, des personnages attachants, des drames et des joies, des échecs et des réussites, du style, du romanesque, des analyses psychologiques et sociales. Dès que j'ai ouvert ce livre assez volumineux (564 pages), je ne l'ai plus quitté... J'avoue que j'aime m'installer dans une histoire longue, me nicher dans ces phrases comme dans les branches d'un arbre solide et bien planté dans la terre. Ce coup de cœur s'appelle "Les Intéressants" de Meg Wolitzer, publié aux Editions rue Fromentin en 2015. Ce titre vient de paraître en livre de poche en avril de cette année. En 1974, Julie, jeune américaine d'origine modeste, passe son été dans un camp de vacances, à Spirit-in-the-Wood. Comme dans toute colonie de vacances, les adolescents se regroupent en bande et Julie n'échappe pas à la règle : elle se fait accepter au sein des "Intéressants". Dans ce cercle fermé, Ethan joue le rôle de meneur grâce à sa jovialité heureuse et entremetteuse. Il est surdoué dans les films d'animation. Goodman et sa sœur Ash viennent de New York d'une famille aisée. Jonah est le fils d'une chanteuse folk célèbre et Cathy, une jeune fille qui rêve de devenir une danseuse professionnelle. Meg Wolitzer raconte quarante ans de vie américaine à travers ses personnages, et Julie, devenue Jules dans le camp, joue le rôle central. Ils vont connaître le meilleur comme le pire dans leur vie respective. Mais,  l'amitié, fil conducteur du roman, véritable pacte secret entre eux, ne s'effondrera jamais malgré les turbulences qu'ils traversent en quarante ans. Julie ne choisit pas Ethan et se marie avec un homme dépressif. Ash épousera Ethan, (devenu très riche avec ses films) à la surprise du groupe. Jonah découvrira son homosexualité qu'il assumera difficilement. Goodman s'exilera en Islande à cause de Cathy, devenue une femme d'affaires. L'entraide, la solidarité, l'amitié les rassurent et les protègent mais, Meg Wolitzer analyse aussi la jalousie entre eux, la place de l'argent, de la sexualité, de la maladie, des talents artistiques. Ce roman n'appartient pas à la catégorie des best-sellers estivaux, souvent distrayants et légers. Meg Wolitzer possède un talent rare pour donner vie à ses personnages dont la ressemblance avec les lecteurs(trices) ne fait aucun doute... Un beau roman à dévorer cet été.

mercredi 3 août 2016

Passion des livres

J'ai pris le large cet été en restant dans mon jardin ! Et quand je dis le large, je pense à ma passion des livres qui m'habite depuis que j'ai découvert un album à l'âge de cinq ans. Je crois me souvenir que ma mère m'avait offert un Babar et j'étais déjà émerveillée par les illustrations et l'histoire de cette famille d'éléphants. Après cette découverte précoce, j'ai continué à dévorer les bibliothèques de l'éditeur Hachette : la Rose, la Verte (ah mes Alice !) et puis le livre de poche dans toutes ses multiples collections. Quand j'étais au lycée, je traversais les rues de Bayonne et je m'arrêtais dans une librairie spécialisée en livres de poche où je passais des heures à feuilleter les nouveautés. Je fréquentais la bibliothèque du lycée et la documentaliste (qui était d'une gentillesse délicieuse) m'avait repérée très vite pour que je participe au prêt et au rangement des ouvrages. Ma fibre de bibliothécaire est née dans ce lycée de "jeunes filles" de Bayonne. Des années plus tard, j'ai eu la chance de travailler, après des études de lettres, dans une librairie, baptisée tout simplement, "Le Livre" et un an plus tard, j'ai ouvert ma propre boutique près du Musée basque dans cette ville festive. Cette vie de libraire pendant cinq ans m'a profondément marquée et comme à cette époque, le prix du livre était libre, les grandes surfaces pratiquaient des prix trop concurrentiels. J'ai fermé avec regrets ce commerce si noble mais si ingrat car je n'arrivais pas à dégager un salaire même modeste. Après un passage dans une maison d'édition à Paris, j'ai enfin trouvé ma vocation : devenir bibliothécaire. J'ai passé mon certificat d'aptitudes à Grenoble et ensuite, j'ai rejoint la fonction publique pour pratiquer ce métier passionnant pendant trente ans.  Librairies et bibliothèques représentent mon "large" à moi, un horizon et une promesse. La mer m'attire pour son horizon infini et la montagne m'impressionne :  je me baigne dans un océan de mots et j'arpente les pentes des sommets littéraires, du plus modeste au plus grandiose... J'avais envie de dévoiler mon intérêt pour ce monde de l'écrit et des idées, et depuis que ce monde-là s'est révélé dans mon enfance, je ne peux que lui rester fidèle et reconnaissante...

mardi 2 août 2016

Sur la lecture

J'ai découvert, en feuilletant le quotidien Le Monde, un article sur les bienfaits de la lecture avec ce titre alléchant : "Pour mieux comprendre autrui... lisez". Lire, lire vraiment, n'est pas un acte anodin et gratuit, ni un divertissement superficiel. La journaliste insiste particulièrement sur les effets psychiques que procure la lecture de romans. "La fiction accroît notre expérience sociale et nous aide à la comprendre" écrit un professeur de psychologie appliquée de Toronto. Des études scientifiques ont déjà prouvé que la lecture améliore considérablement le vocabulaire, les connaissances générales, les aptitudes verbales. Les enfants lecteurs poursuivent souvent des études supérieures. Il est donc essentiel d'apporter à nos enfants cette nourriture intellectuelle que procurent les livres. Il a donc été démontré que notre cerveau réagissait de la même façon face à des récits de fiction et des faits réels grâce à "l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle". La littérature peut devenir un "laboratoire moral" et nous rend "empathique" envers nos prochains. Je cite ce passage : "La complexité des personnages littéraires aide le lecteur à se faire une idée plus sophistiquée des émotions et des motivations d'autrui bien plus que les personnages stéréotypés de la fiction populaire". Marcel Proust écrivait "qu'un romancier déchaîne pendant une heure tous les bonheurs et tous les malheurs possibles dont nous mettrions dans la vie des années à connaître quelques uns". Des personnages deviennent ainsi des êtres de papier qui peuvent influencer et inspirer les lecteurs. D' Ulysse à Antigone, de Jean Valjean à Julien Sorel, du "Petit Chose" à Madame Bovary, de Fabrice del Dongo à Don Quichotte, ils participent à notre connaissance d'autrui et cet article fait l'éloge très légitime d'une cure livresque. La journaliste de l'article, Florence Rosier, souhaite aux amis lecteurs "N'hésitez plus, que l'été vous inspire ces fiévreuses émotions"... Je partage son enthousiasme sur les influences altruistes de nos amis, les écrivains, hommes et femmes, bien entendu.

lundi 1 août 2016

"Les passants de Lisbonne"

J'ai emprunté ce roman, "Les passants de Lisbonne", par curiosité et surtout pour le mot magique, "Lisbonne", le lieu de ma future escapade en fin septembre. Je me doutais que ce roman n'allait pas me fasciner comme un roman de Pascal Quignard que je relis cet été, mais, l'auteur, Philippe Besson, réussit à nous brosser un portrait en filigrane de cette ville portuaire si célèbre pour sa beauté. Les deux personnages principaux se rencontrent dans un hôtel et tissent une amitié amoureuse "thérapeutique". Hélène a perdu son mari dans un tremblement de terre à San Francisco et s'est refugiée dans un hôtel de la ville. Sa solitude volontaire attire l'attention d'un Français, Mathieu, qui travaille au Portugal. Ils s'observent et un jour, il ose l'inviter au bar et à partir de cette rencontre, ils vont s'apprivoiser et se connaître. Hélène lui révèle son désespoir, son attente de la nouvelle fatidique, le besoin de s'isoler et de quitter Paris. Mathieu lui confie son histoire d'amour : son amant lisboète l'a quitté, lassé des séjours parisiens de son ami. Philippe Besson joue une musique lancinante sur la perte, sur le deuil, sur la dépression qui taraude les deux personnages. Ils déambulent dans les rues, sur les places, s'installent sur les terrasses et retrouveront l'espoir et la résilience. Lisbonne accompagne leur spleen, déclenché par leur situation réciproque. Philippe Besson cite évidemment le grand poète-écrivain Pessoa, maître de ce sentiment nostalgique, baptisé "Saudade". Je cite cet extrait qui résume le style de cet écrivain intimiste : "Il appris que l'on a presque toujours tort de vouloir rester seul avec son anxiété, pourtant il sait aussi qu'on a ce réflexe, qu'ainsi on se protège, que ce blanc autour de soi est une sorte d'ascèse. Il aurait sans doute agi comme elle. Il aurait refusé la présence des autres, leur pollution." Philippe Besson joue à travers ses mots et ses personnages un sonate mélancolique, un fado chanté dans un bar de Lisbonne. Un roman sensible, bien écrit qui m'a donné un petit air de vacances avant de partir là-bas...