vendredi 26 avril 2019

Jean Rouaud, 3

Je consacre encore un billet sur Jean Rouaud et son autobiographie, "La vie poétique" qui comportera sept titres. Il a composé le premier volet, "Comment gagner sa vie honnêtement" en 2011 chez Gallimard. Puis, "Une façon de chanter" en 2012, "Un peu la guerre" en 2014, "Etre un écrivain" en 2015 et "Kiosque" en 2019. Le narrateur se met donc en scène dans ces différents ouvrages et on retrouve avec un plaisir immense le petit monde de sa famille. J'ai lu les trois premiers tomes et le dernier et chaque fois, j'ai savouré tous les souvenirs hétéroclites de l'auteur, j'ai retrouvé l'atmosphère de sa (et de ma) jeunesse, le poids de la société, l'angoisse de l'avenir et les promesses d'une vie meilleure. Jean Rouaud écrit : "Une vie poétique ? Disons une vie dont la poésie est le guide-fil. On embarque avec un héritage (des valeurs pieuses, un père mort, une enfance pluvieuse), avec un désir d'écriture, un rêve d'amour, et puis, son maigre bagage sur le dos, on traverse un territoire marqué par des événements, ici l'onde de choc de Mai 68". L'écrivain évoque sa jeunesse avec ses petits boulots pour survivre, loin de l'insouciance de son âge. Il cherche à comprendre aussi sa vocation d'écrivain au fil des pages, une véritable interrogation qui l'obsède. Dans le deuxième volet, "Une façon de chanter", Jean Rouaud revient sur sa passion de la musique, des chansons, de la guitare, du piano. Il égrène des souvenirs de sa jeunesse vagabonde et le récit fourmille de sensations, d'impressions, de sons, d'odeurs. On retrouve son style "proustien" façonné avec des phrases longues, avec un vocabulaire riche et vivant décrivant le réel avec une acuité remarquable. Dans son troisième tome, "Un peu la guerre",  il évoque sa démarche d'écrivain : "Quand tout a été inventorié de l'espace, le temps devient le nouveau blanc à cartographier". Plus loin, il retrace son propre univers littéraire, ses découvertes, ses influences. Il revient sans cesse sur la matrice de son écriture : "Plusieurs années durant, je me suis appliqué à composer le blason de mes disparus, à écrire la légende dorée de mes vaillants. Faisant ainsi de moi le dernier des derniers survivants morts pour la France". Dans son dernier tome paru en début d'année, "Kiosque", l'écrivain raconte son expérience de kiosquier à Paris dans les années 80. Une galerie de clients fréquente ce kiosque, un véritable monde en soi. Jean Rouaud avait pris des notes dans un carnet et il nous fait revivre ces rencontres quand Paris accueillait les réfugiés venus d'Asie, du Liban, de Turquie, d'Afrique et du monde entier. Cette superbe galerie d'écorchés vifs, de révolutionnaires, de rêveurs, d'exilés forme un microcosme vivifiant et surtout représente un moment non négligeable de notre Histoire française. Jean Rouaud ou l'archéologue de sa famille, de son "moi", de notre "nous"... Un écrivain majeur de notre patrimoine littéraire. Les lectrices ont aussi lu deux romans : "La femme promise" et "L'imitation du bonheur"... Je reviendrai plus tard sur la fibre romanesque de Jean Rouaud.