jeudi 9 juillet 2020

"Remonter la Marne"

Tous les trois ans, depuis 2010, Jean-Paul Kauffmann devient régulier en publiant un récit de voyage. En 2019, je suis repartie à Venise grâce à son texte, "Venise à double tour", bientôt disponible en Folio, une lecture délicieuse. En 2016, il publie "Outre-terre", pas encore découvert et en 2013, "Remonter la Marne". Pourtant, j'avoue que je n'étais pas du tout attirée par cette région française. Pour cet amateur de cigares, de vignobles bordelais, des Landes, la Marne me semblait un choix hasardeux. Mais, il avait bien raison, Jean-Paul Kauffmann, de vagabonder ainsi et remonter le fleuve à pied depuis son embouchure jusqu'à sa source. Cette randonnée ressemble à un exploit sportif avec ces 500 kilomètres. La modestie du narrateur se décèle au fil des pages : il rassure son lecteur(trice) en annonçant qu'il va prendre son temps (13 kms par jour) pour parcourir les berges comme s'il préférait la flânerie, le vagabondage, la promenade à un marathon. Il évoque évidemment la Marne et ses reflets, ses tourbillons, ses couleurs selon la météo, sa végétation et sa faune. Dans son périple, il rencontre des gens, des habitants du coin : un nautonier de l'île des loups comparé à Charon qui conduisait les morts sur l'Achéron, son amie Jeanne, plasticienne et sculptrice, la seule habitante de cet espace isolé. Il nous parle aussi d'une journaliste parisienne imbue d'elle-même, qui se moque de sa nostalgie du passé. Il lui répond ainsi : "Mais, ce passé ne cesse de me demander des comptes. J'ai besoin de cet air, de sentir le fluide impalpable qui nous constitue, de recevoir sur mon visage cette ventilation. (…) Je ne possède d'autre existence que cette vie, certes arc-boutée au passé, mais cet appui, je le vois surtout comme un moyen d'exercer une poussée, une résistance contre le temps présent".  Sur son chemin, il partage une coupe de Champagne avec un japonais. Il discute avec des propriétaires soupçonneux mais aussi avec des hôteliers charmants. Toute une population résistante selon la formule du narrateur. Après sept semaines et un arrêt à Joinville où les ducs de Guise ont édifié un château à l'italienne, il parvient enfin au but : sa découverte de la source de la rivière qui émane d'un bloc détaché de la falaise. Jean-Paul Kauffmann n'oublie jamais de citer les écrivains nés sur cette terre attachante comme Gaston Bachelard. Sa culture littéraire, sa passion des livres se manifestent souvent dans ce récit de voyage. Il remarque aussi la laideur des zones commerciales, la désertion des villages, la solitude des habitants, les églises fermées, les magasins en faillite, des communes "démeublées". Cette Odyssée dans les bords de la Marne se lit avec un plaisir certain et à l'heure où la France revient à la mode après le confinement, pourquoi aller si loin quand on peut découvrir ce coin de France trop délaissé par nos contemporains ?