jeudi 30 octobre 2014

"Constellation"

Le sujet de ce roman est grave et de circonstance en cette veille de Toussaint car il traite du crash d'avion, le Lockheed Constellation F-BAZN d'Air France, aux Açores en 1949. Mais, combien de fois a-t-on imaginé les vies des passagers quand on apprend les accidents souvent mortels de ces énormes avions transportant des centaines de passagers. Adrien Bosc se saisit de ce drame aérien pour composer un livre-enquête d'une vérité saisissante qui redonne vie à ces passagers pour certains très célèbres. Ses investigations le conduisent à relater la vie de Marcel Cerdan, amoureux fou d'Edith Piaf, et du rôle du hasard dans la vie de chacun d'entre nous. Il évoque la grande musicienne, Ginette Neveu, violoniste de génie, morte à 30 ans. Et les passagers anonymes s'animent quand il raconte leur histoire et leur manque de "chance" pour avoir choisi ce vol maudit. Adrien Bosc a voulu "entendre les morts, écrire leur légende minuscule et offrir à quarante-huit hommes et femmes, comme autant de constellations, vie et récit". J'ai surtout remarqué les portraits des bergers basques, se rendant en Amérique pour faire fortune et je connais, évidemment, la saga des immigrants de ce tout petit pays à l'identité forte et affirmée mais qui ne nourrissait pas suffisamment les cadets de la fratrie (seul, l'aîné héritait de la ferme familiale). Ce premier roman a déjà obtenu un franc succès auprès du public et l'enquête minutieuse que l'auteur a mené mérite notre admiration. Le hasard, la malchance, l'injustice, les circonstances inexplicables, les raisons objectives, peuvent provoquer des drames irréversibles et faire basculer des vies entières vers le néant... La littérature s'inspire d'un réel tragique et réhabilite ces hommes et ces femmes, célèbres et inconnus dans un récit-épopée qui raconte une catastrophe aérienne et surtout humaine. Un premier roman à découvrir qui vient de recevoir aujourd'hui, le Grand Prix de l'Académie française.

mardi 28 octobre 2014

Rubrique cinéma

Le dernier film de Woody Allen, "Magic in the Moonlight", diffuse toujours la même mélodie que l'on aime chez le cinéaste américain, si amoureux de notre belle Europe... Cette mélodie mélange des notes de musique de jazz avec des images nostalgiques d'un Sud de la France dans les années 30 où seuls les riches Anglais et Américains pouvaient s'offrir le luxe de vivre dans un paradis terrestre peuplé de pins parasol, de maisons de maître, munies de terrasses sublimes avec vue sur la Méditerranée ! Un magicien anglais se travestit en chinois pour ses spectacles. Un de ses amis veut qu'il démystifie une jeune femme médium dans une famille richissime complétement fascinée par le spiritisme. Notre magicien lucide et cynique assiste aux scènes de communication avec le père défunt et ne détecte aucune supercherie de la part de la jeune femme. Il commence à ressentir une certaine admiration quand elle lui révèle quelques secrets de famille. Il se prend donc dans les mailles de la jeune fille médium, et éprouve une attirance irrésistible. Sa raison flanche et il se met à croire au monde des esprits... Je ne donnerai pas la fin de l'intrigue et on retrouve avec plaisir la facétie de Woody Allen, son humour teinté de nostalgie et surtout son romantisme à la Marivaux. Ce film n'est pas un grand cru du cinéaste mais il se laisse "boire" comme un vin léger, un Rosé de Provence, surtout en ce moment d'été indien. Télérama parle de film délicieux, farfelu et charmant. A voir pour se changer les idées...

lundi 27 octobre 2014

"Et rien d'autre"

Ce roman, écrit par le grand écrivain américain, James Salter (89 ans !), se lit avec un très grand plaisir et il a  bénéficié à la rentrée,  de nombreuses critiques littéraires dithyrambiques...  Le personnage central se nomme Philip Bowman et sa vie nous est contée d'une façon linéaire, sans flash-back du présent au passé ou vice-versa. Il a fait la guerre au Japon dans un porte-avions et quand il revient dans son pays, il veut devenir journaliste. Il trouve par hasard un poste de secrétaire dans une maison d'édition car il a deux passions dans la vie : la littérature et l'amour. Il découvre un milieu professionnel complexe, fermé mais fascinant. Il réussit à s'intégrer et, même à conquérir une place enviable. James Salter évoque un monde littéraire qui ressemble à celui de Paris et du 5è arrondissement. Les fondateurs restent longtemps à la tête de leur maison comme la famille Gallimard... Il reste pourtant un domaine où il rencontre quelques déconvenues : ses relations avec les femmes. Il tombe amoureux de sa première épouse sans se rendre compte qu'il ne partage rien avec elle et il finira par le comprendre quelques années plus tard, après un mariage décevant. Ensuite, il fera des rencontres sans lendemain, et vivra même une seconde passion amoureuse avec une femme qui le trahira. Autant sa vie professionnelle semble le combler, autant sa vie intime frôle le désastre. James Salter décrit un destin d'homme des années 45 aux années 2000 avec ses illusions et ses désillusions, ses bonheurs et ses malheurs, ses joies et ses souffrances, une vie humaine en somme...  François Busnel de la revue Lire, se montre enthousiaste pour James Salter qu'il qualifie de "derniers grands géants de la littérature mondiale", et dans un entretien, l'écrivain américain explique sa vocation ainsi : "Il arrive un moment où vous savez que tout n'est qu'un rêve, et que seules les choses qu'a su préserver l'écriture ont des chances d'être vraies"... Un beau roman nostalgique, intimiste et profond, d' un charme indescriptible...

jeudi 23 octobre 2014

"Charlotte"

Charlotte Salomon est un personnage de roman et une personne vraie dont le destin a fasciné David Foenkinos. Ce texte présente des éléments biographiques vérifiés par l'écrivain sur place (il a sérieusement enquêté auprès de quelques témoins encore vivants) et il apporte un souffle romanesque et dramaturgique en décrivant la vie intime de Charlotte. Dans un article de la revue Page, David Foenkinos relate son "coup de foudre" pour cette artiste méconnue. Il découvre par hasard une exposition à Paris sur Charlotte et cette une rencontre déterminante le conduira à entreprendre des recherches, "marcher sur tous les lieux de sa vie, retrouver des témoins. Et surtout, savoir comment écrire ce livre. (...) J'ai voulu aussi raconter cela. L'étrangeté d'une passion qui ne s'atténue pas et les questions d'un auteur concernant un sujet qui le hante, le dépasse parfois." Il explique la construction de ce livre à trois étages : la vie de Charlotte, la description de son œuvre, ses recherches et les sentiments à son égard. La forme du texte s'est imposée à l'auteur comme une évidence et ce parti-pris de phrases courtes ne m'a pas du tout gênée, bien au contraire. En quelques mots et sans révéler l'essentiel du destin de Charlotte, cette jeune femme naît à Berlin dans un milieu aisé entre un père médecin et une mère au foyer. Mais, sa vie est teintée de mélancolie car elle apprend la fascination du suicide dans la lignée maternelle. L'amour de l'art va sauver Charlotte :  elle dessine et va intégrer une école des Beaux-Arts pourtant interdite aux Juifs. Elle tombe amoureuse d'un professeur de chant qui gère la carrière de sa belle-mère, cantatrice. Puis, le piège nazi se referme sur elle. Elle fuit en France, et s'installe dans une maison à Villefranche-sur-Mer. Elle sera dénoncée à la Gestapo et périra dans un camp de concentration à 26 ans. David Foenkinos écrit un très bel hommage à cette femme artiste, broyée par la folie du nazisme, mais transcendée par l'art. Un beau portrait de femme et une histoire émouvante, écrite avec une sobriété remarquable.  

mardi 21 octobre 2014

"La confusion des peines"

J'ai découvert Laurence Tardieu avec "Une vie à soi" paru en septembre. J'ai voulu comprendre sa démarche d'écriture autofictionnelle en empruntant "La confusion des peines" où elle raconte le naufrage de son père, dirigeant haut-placé dans une entreprise nationale. Il a financé les partis politiques pour l'obtention de marchés publics concernant l'eau. Cette affaire de corruption en 1996 le conduit en prison, lui, le grand bourgeois... Son père lui conseille de ne pas écrire sur cet acte stupide qui a fracassé une famille entière. Mais sa fille, Laurence, la narratrice écrit : "Voilà pourquoi, aujourd'hui, je prends la parole. Contre ton autorisation, je prends la parole. J'ai trente-sept ans et pour la première fois de mon existence, je fais quelque chose que tu m'as priée de ne pas faire. Je prends la parole parce que je ne peux pas faire autrement. Je prends la parole pour reprendre mon souffle." Cette phrase incantatoire traduit la mission de l'écriture, une thérapie salutaire et libératrice, une autopsychanalyse littéraire. Sa propre vie bascule quand sa mère meurt à 59 ans d'une tumeur au cerveau. Son père est mis aux bans de la société alors que son destin social aurait dû suivre une voie toute tracée quand on naît dans les beaux quartiers de Paris. Son père refuse de justifier son attitude et Laurence Tardieu attaque avec la hache des mots, ce mur de silence : "Après tout, n'est-ce pas l'objet premier de l'écriture : tenter de s'approcher de ce qu'on ne comprend pas, et qui nous brûle ?". Peut-être que cette foi dans la compréhension des événements lui apporterait un certain apaisement... Plus loin, cette phrase décrit sa détermination : "Ma manière d'être au monde, de regarder les autres, de vivre, d'aimer, d'écrire, tout ça s'en est trouvé profondément modifié. Combien de vies dans une vie ?" Au fond, elle écrit une "Lettre au père" en citant Kafka. Elle ne trouvera pas la clé de l'énigme paternelle car il n'a jamais voulu s'expliquer et ce texte se termine par ces mots : "Ce livre je te le donne, je l'ai enfin écrit. Je suis sortie du silence. Je suis devenue une femme." Un beau récit littéraire incandescent au cœur d'une famille où règne les non-dits, les secrets et les malentendus... que, seule, l'écriture peut peut-être réparer.
 
 

samedi 18 octobre 2014

Atelier de lectures, suite

Et nous avons abordé les nouveautés... Dans la première séance de septembre, j'avais demandé que chaque lectrice choisisse un roman de la rentrée. Ces livres nous permettent de prendre pied dans la littérature d'aujourd'hui et surtout, en achetant une nouveauté en librairie, nous pouvons en lire une bonne dizaine en échangeant, évidemment, nos impressions quand ils circuleront tout au long de l'année. Nous avons commencé par le Colombien J.G. Vasquez, "Les réputations", présenté par Geneviève. Elle a bien aimé ce roman aux allures de thriller où l'on voit le talent d'un caricaturiste provoquer le suicide d'un député dont la réputation est en jeu. Ce sujet ultra-contemporain (l'influence délétère des médias sur "les réputations") concerne avant tout le milieu politique. Janelou a beaucoup apprécié "Charlotte" de David Foenkinos,  un récit en forme de poème ou de phrases courtes. L'auteur se saisit de Charlotte Salomon, jeune fille juive et allemande. Ses peintures sont exposées à Amsterdam, et sa vie tragique ne pouvait que le passionner. Charlotte perd sa mère et sa tante car dans cette famille, le suicide reste un lourd secret de famille. La petite fille grandit entre un père médecin et une belle mère cantatrice. Elle sort très peu et passe son temps à dessiner. Elle rencontre un professeur de chant et en tombe furieusement amoureuse. David Foenkinos raconte aussi sa quête pour découvrir les traces laissées par Charlotte Salomon à Berlin, dans le Sud de la France. Ce texte lancinant peut séduire ou surprendre mais on ne peut pas être insensible à ce destin de femme peintre, morte à 26 ans dans un camp de concentration. Dany a choisi le dernier titre de Haruki Murakami, "L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage". Elle est séduite par l'univers de cet écrivain japonais qui possède un "fan-club" impressionnant. Un architecte trentenaire se sent bloqué dans ses relations car il a été rejeté par quatre de ses amis sans  connaître le motif de cette exclusion. Il part donc en pèlerinage pour résoudre ce mystère... Evelyne a résumé avec beaucoup de précisions et de rappels historiques le roman historique de Clara Dupont-Monod, "Le Roi disait que j'étais diable" , ou un texte à deux voix, celle d'Aliénor d'Aquitaine et celle de Louis VII dans une relation tumultueuse, entre une femme guerrière et un homme religieux... Un texte relatant avec bonheur l'atmosphère de ces années 1137-1152, une époque bien lointaine mais si proche, au fond. Janine nous a présenté "L'amour et les forêts" d'Eric Reinhardt, un roman sur le harcèlement d'un mari sur sa femme, trop soumise, victime d'un pervers narcissique. Une performance littéraire d'après Janine et une histoire courante qui peut toucher un grand nombre de lectrices. Régine s'est intéressée au roman d'Eliette Abécassis, "Un secret du Docteur Freud". Ce livre raconte l'hésitation du psychanalyste en 1938 quand il était temps de quitter Vienne et la menace nazie. Pour quelle raison, Freud refuse de s'exiler ? Il faut lire le roman pour connaître son secret... Mylène aime depuis longtemps l'univers d'Annie Ernaux. Elle a donc acquis son dernier opus "Le vrai lieu", une suite d'entretiens entre l'écrivaine et Michelle Porte, sur ses lieux de prédilection, ses parents et surtout son engagement total dans l'écriture, son "vrai lieu" de vie. J'ai essayé de résumer au mieux les propos de mes amies-lectrices et je leur donne rendez-vous le 18 novembre, dans un mois avec beaucoup de découvertes et une avalanche de prix littéraires... Les romans que j'ai cités seront-ils primés ?

jeudi 16 octobre 2014

Atelier de lectures

Mardi 14 octobre : deuxième atelier de lectures à l'AQCV de Chambéry avec huit lectrices fortement motivées... Nous avons évoqué, dans la première partie de l'atelier, le Prix Nobel de Littérature attribué à Patrick Modiano. Un écrivain somme toute bien peu lu et assez incompris et j'ai vivement encouragé la lecture de ses romans, des romans fugaces sur la mémoire des lieux disparus, des êtres perdus, oubliés, des bribes de souvenirs autofictifs. La planète Modiano, on adore, on adhère ou on laisse vite tomber... Pour ma part, j'aime cette voix sourde, cette voie hasardeuse, ce lamento obsessionnel sur le temps effacé, sur un Paris fantasmé, sur la recherche de traces du passé dans un présent incertain. Comme l'Antiquité me fascine, je me retrouve dans cette littérature d'une mémoire archaïque qui fouille des ruines du XXè siècle. En deuxième partie, le tour de table a démarré avec les coups de cœur : Geneviève a lu "Le Voyage au bout de la nuit" de Céline et ce livre ressemble à un secousse électrique par son style inimitable, sa dénonciation de la guerre, sa défense des humbles, mais la discussion s'est portée sur le Céline antisémite et sur la difficulté d'aborder une œuvre littéraire en fonction de l'idéologie de son auteur... Vaste débat ! Janelou a lu avec émotion, un récit autobiographique très touchant de Noëlle Chatelet sur la mort volontaire de sa mère, "La dernière leçon". Véronique nous a parlé de "La place" d'Annie Ernaux, un beau livre sur les parents de l'écrivaine et sur la distance culpabilisatrice qui s'établit entre une fille cultivée et éduquée et ses parents modestes, n'ayant pas fait d'études. Elle a cité aussi "Les 10 rêves de pierre" de Blandine Le Callet (10 nouvelles sur les épitaphes) et "La jeune fille suppliciée sur une étagère" d'Akira Yoshimura. Dany a découvert "Le dernier Lapon" d'Olivier Truc, un policier français aux forts accents scandinaves, déjà recommandé par Régine dans un précédent atelier. Pour terminer les coups de cœur, Régine a repris le roman de Kamel Daoud, "Mersault, contre-enquête". Ce premier roman rencontre déjà un grand succès et vient d'obtenir le prix François Mauriac. Cet hommage à Albert Camus rappelle évidemment "L'étranger" et Régine nous a lu quelques extraits pour montrer la force du sujet (on est tous des étrangers dans son propre pays...) et la beauté du style. Un roman à lire absolument...

mercredi 15 octobre 2014

"Photos volées"

Ce roman de Dominique Fabre, édité chez L'Olivier diffuse une note mélancolique et nostalgique. Comme on se rapproche de la Toussaint, étape dans l'année pour rendre un hommage aux disparus,  "Photos volées" ressemble à un recueil de souvenirs... J'avais envie d'interrompre sa lecture par manque de rythme, de vitalité, de tonicité, mais ma patience a  pris le dessus pour le lire jusqu'au bout. Je respecte le travail d'un écrivain et j'ai essayé de  trouver dans ces pages,  du charme, lié à la nostalgie et aux regrets. Le héros déprimé du roman se nomme Jean, il a 58 ans et vient de perdre son emploi dans une société d'assurances. Libéré d'un travail sans intérêt, il est obligé d'en chercher un autre et les scènes décrites au sein de l'ANPE sont assez désespérantes même si l'auteur utilise l'ironie à bon escient. Il dresse le bilan de sa vie et veut trier ses affaires. Il a tout le temps de s'adonner à sa passion qu'il avait abandonnée.  Il se refugie dans ses "photos volés", qui racontent son histoire. La photographie maintient  Jean, "debout", vivant et actif. Il reprend toutes ses anciens clichés, formant un vrai kaléidoscope concernant les femmes de sa vie, ses déambulations dans Paris, ses petites escapades, ses amis, etc.  Comment vivre ce temps soudain libre de toutes obligations ? Il ressent un sentiment de vacuité, de solitude et d'égarement, mais peu à peu, il retrouve le goût de vivre grâce à des rencontres et à une nouvelle relation amoureuse. Et ce cadeau inattendu , le temps enfin délivré, le réconcilie avec cet art furtif et immédiat, la photographie... Dominique Fabre semble nous susurrer que la vie peut encore réserver de belles surprises surtout, quand on ne s'y attend pas le moins du monde... Un  roman d'aujourd'hui réaliste qui relate une double crise, celle d'un quinquagénaire au chômage et celle d'une société en plein doute.

lundi 13 octobre 2014

Rubrique cinéma

Cet après-midi, j'ai vu "Mommy" de Xavier Dolan : un film à haut risque émotionnel... Un portrait d'un couple mère-fils dans une relation passionnelle et invivable. Les premières images sont d'emblée très fortes : la mère doit récupérer son fils responsable d'un incendie dans une cafétéria d'un centre fermé pour adolescents. Son  fils, Steve, souffre d'hyperactivité, tendance "opposant-provoquant". Il est déscolarisé, et ne peut pas se contrôler : il explose  souvent avec une violence verbale (argot fleuri du Québec) et physique, jusqu'à battre sa mère. Elle décide de le garder chez elle malgré la maladie mentale. Une voisine, ancienne enseignante atteinte d'un blocage de la parole, les observe et les rejoint en proposant son aide. Steve va accepter la présence de cette femme patiente, généreuse mais aussi ferme car elle arrive à calmer le jeune homme. Tous les trois vont alors former un trio solidaire, parfois joyeux car l' amitié entre les deux femmes leur donne des forces. La tension du film s'atténue dans certaines scènes : des moments de repas, de danses, de balades en vélo."Mommy" vit aussi une galère totale car on lui retire des piges dans un magazine. Elle se débat sans cesse dans les difficultés  : entre un fils malade, une situation précaire, un isolement social, un manque de soutien familial... Et pourtant, cette femme magnifique de courage, d'optimisme, veut se battre contre l'adversité tellement injuste. Deux scènes sont particulièrement chargées d'émotion intense et bouleversante : sa révolte contre cette situation tragique et son rêve dans la voiture quand elle l'imagine dans une vie normale, diplômé, marié, heureux. L'amie enseignante se révèle aussi touchante que le jeune homme, dans sa générosité, sa patience malgré son handicap. Quel film ! Une "bombe d'émotions", terme que je reprends de Jérôme Garcin dans le Nouvel Observateur. A voir ab-so-lu-ment ! Les actrices, Anne Dorval (la mère) et Suzanne Clément (la voisine) illuminent le film et Antoine-Olivier Pilon (Steve) est stupéfiant de vérité.

vendredi 10 octobre 2014

Patrick Modiano

Quand j'ai appris la nouvelle vers 13h, j'étais assez étonnée de voir décerner le prix Nobel de littérature à Patrick Modiano, le quinzième écrivain français à recevoir cette consécration universelle. Après Le Clézio en 2008, son frère en littérature, (en mentionnant leur âge, une génération née après la guerre de 39), la littérature française  n'est pas moribonde et se porte très bien. J'ai lu pratiquement toute son œuvre depuis 1968 : de "La Place de l'Etoile" à "Rue des boutiques obscures" (prix Goncourt en 1978), de la "Villa triste" à "Livret de famille", du "Vestiaire de l'enfance" à "Des inconnues", de "Fleurs de ruine" à "Dora Bruder", tous ces titres parlent d'eux-mêmes et décrivent la planète modianesque. J'ai lu son entretien dans Télérama et je cite dans ce passage les thèmes qui obsèdent l'écrivain : "la disparition, les problèmes d'identité, l'amnésie, le retour vers un passé énigmatique." Plus loin, il évoque son enfance dans un milieu trouble, dans un Paris occupé et une France d'après-guerre. Un journaliste qualifie Modiano, "d'archéologue de la mémoire", et son œuvre entière repose sur cette "recherche du temps perdu", avec un style très impressionniste. Quand on commence à lire un de ses romans, on ressent un charme désuet, nostalgique et il nous entraîne dans une déambulation urbaine où des personnages insaisissables ont vécu dans des quartiers fantasmatiques. Toujours dans cet excellent article de Télérama, Patrick Modiano évoque le travail de l'écriture : "Ce que j'aime dans l'écriture, c'est plutôt la rêverie qui la précède. (...) il y a un côté anachronique dans l'écriture, la lenteur qu'elle suppose, alors même que tout va tellement vite aujourd'hui, tout s'est accéléré autour de l'écrivain, qui, lui, continue à son rythme". Je suis donc agréablement surprise de ce prix Nobel 2014 et cette distinction permettra à de nombreux lecteurs(trices) de découvrir un classique contemporain, un homme modeste et vrai et quand on le voit dans les médias, où il exprime son étonnement d'avoir été choisi,  je me dis que la littérature est enfin à l'honneur (et aussi l'éditeur Gallimard)...

mardi 7 octobre 2014

Atelier d'écriture

Aujourd'hui, l'atelier d'écriture a démarré avec huit "anciennes" et trois nouvelles participantes dans une bonne ambiance conviviale. Mylène a rappelé les consignes : ne pas juger, ne pas comparer, s'écouter, lire son texte ou ne pas le lire, etc. Elle a proposé un premier exercice en nous lisant un poème de Jacques Roubaud. On devait choisir une carte postale d'un animal pour écrire un poème à la manière du poète cité. J'ai choisi la mouette et voilà mon texte :
La mouette
La mouette n'a qu'une idée :
elle veut voler sans se poser,
"perte de temps", dit-elle
en frottant ses ailes.

La mouette, obstinée, déterminée,
veut en finir avec ses arrêts.
Elle a en tête un record
qu'elle veut battre sans effort.

Voler le jour, voler la nuit,
planer pour se reposer,
virevolter pour épater.

Elle sera la première mouette au monde
à voler au dessus des ondes,
sans se poser sur les bateaux, les poteaux, les roseaux.

Une folie, un rêve fou, la mouette s'élance
l'espoir la soulève et le vent se lève.

Elle se souvient pourtant d'un vœu :
donner naissance à des bébés mouettes
comment va-t-elle faire ?
Nicher dans un nuage ?
Se poser sur le rivage ?
Elle verra plus tard...

lundi 6 octobre 2014

"Entre les jours"

J'ai cherché des critiques sur le roman, "Entre les jours", d'Andrew Porter et j'ai seulement trouvé quelques lignes dans la revue Lire du mois d'avril. Le journaliste littéraire le compare à Raymond Carver et Richard Yates et ces comparaisons sont très bien choisies. La littérature américaine nous offre souvent des grands romans qui racontent la réalité sociale avec une efficacité redoutable. Le lecteur(trice) rentre d'emblée dans cette histoire familiale (encore une ! mais on s'en lasse pas...) : un quatuor parfait, les Harding, avec un père architecte, une mère au foyer et deux grands adolescents, Chloé et Richard dans une petite ville américaine texane. Le bonheur de cette famille se délite quand les parents ont décidé de divorcer. Rien de plus banal qu'une séparation... Mais, ils apprennent que Chloé, leur fille étudiante, est renvoyée de l'université et le roman prend son élan avec cet événement surprenant. Chaque personnage va vivre alors une trajectoire personnelle provoquée par cette crise. Le père, Elson, se sent écartelé entre sa nouvelle jeune compagne et son ex-femme. Cadence, la mère, voit un psychologue pour comprendre l'échec de son couple. Richard affirme sa différence sexuelle et écrit des poèmes remarqués par son professeur. Chloé va organiser sa fugue avec son petit ami Raja, recherché par la police pour une agression violente envers un étudiant raciste. L'art d'Andrew Porter explore les failles des parents et des enfants, fouille à vif les plaies intimes, et surtout montre comment la communication ne fonctionne plus quand un grain de sable enraye le bon déroulement de la vie familiale. Seul, Richard maintient un lien secret avec sa sœur disparue alors que les parents sont tenus à l'écart. Je ne vais pas aller plus loin pour raconter le destin de chacun. Andrew Porter a écrit un portrait saisissant d'une famille d'aujourd'hui, une famille en crise, tiraillée entre des désirs contraires et peu douée pour se comprendre... Un écrivain américain à suivre, dorénavant.

samedi 4 octobre 2014

"Une vie à soi"

Je n'avais jamais lu Laurence Tardieu et je le regrette un peu car son dernier ouvrage, "Une vie à soi" m'a beaucoup intéressée. Elle appartient à une jeune génération d'écrivains qui parlent d'eux-mêmes, de leur vie, de leurs liens familiaux. En littérature, cette écriture personnelle s'appelle "autofiction".
Pour apprécier ce texte autofictif, il vaut mieux se renseigner sur une artiste-photographe, Diane Airbus, car Laurence Tardieu évoque, tout au fil des lignes, ce personnage emblématique en comparant la trajectoire de sa vie avec celle de l'artiste. Elle se trouve une jumelle en création et leurs histoires familiales se croisent : elles ont été élevées dans la bourgeoisie, ont rompu avec leur milieu d'origine pour vivre leur vocation : la photographie pour Diane, la littérature pour Laurence. En pleine crise existentielle, la narratrice entremêle dans son récit des souvenirs d'enfance à ceux de la photographe, se confie sur ce sentiment d'étrangeté commune aux deux femmes. Je cite ce passage : "Pendant toute mon enfance, les frontières mes paraissent infranchissables. Nous nous tenons d'un certain côté, d'autres de l'autre (....). On ne le visite pas, on ne l'explore pas. C'est un autre monde que le nôtre, un monde auquel, d'évidence, on n'appartiendrons jamais." La rêverie prend le dessus quand elle imagine la vie de Diane Airbus et cette empathie-miroir offre des belles pages quand elle la modèle à sa propre image. Ce phénomène de fusion "identitaire" entre la narratrice et la photographe ressemble à une thérapie car Laurence Tardieu se réconcilie avec elle-même et surtout avec sa vocation d'écrivain, vocation encouragée par l'éditeur Jean-Marc Roberts, disparu récemment. J'ai bien aimé la "petite musique" du style, imprégnée de mélancolie, de nostalgie et de gratitude. La rencontre entre ces deux artistes, entre deux mondes (les mots et les images) donne naissance à un beau récit, vrai et sincère... Je vais lire son avant-dernier ouvrage, "La confusion des peines" que j'ai emprunté à la médiathèque pour un éclairage sur les événements qu'elle mentionne dans "Une vie à soi". Un femme-écrivain à suivre.

jeudi 2 octobre 2014

"Un bon fils"

Pascal Bruckner, philosophe, essayiste et écrivain, livre ses confidences sur sa drôle de famille. Ce "bon fils" qu'il est, écrit cette phrase dès la première page : "Mon Dieu, je vous laisse le choix de l'accident, faites que mon père se tue." Le petit Pascal a dix ans quand il exprime ce souhait : quel père attire ainsi le désir morbide de son fils ? Un père vraiment atroce, antisémite et raciste, misogyne et pervers, Cet homme, d'origine allemande, se montre fasciné par l'ordre nazi et cette monstruosité idéologique blesse à juste titre le narrateur. Ce mari violent bat et humilie sa femme, mère du petit garçon. On ne pouvait pas soupçonner que cet intellectuel brillant, libertaire et frère jumeau d'Alain Finkielkraut, a vécu une histoire familiale aussi cruelle et aussi particulière. Ce père indigne a pourtant donné la vie à ce fils sans le modeler à son image et Pascal Bruckner écrit : "mon père m'a permis de penser mieux  en pensant contre lui. Je suis sa défaite : c'est le plus beau cadeau qu'il m'ait fait". Le narrateur relate de multiples anecdotes sur cette famille déchirée, complexe, traversée par des secousses continuelles, provoquées par ce père pervers. Dans ce récit autobiographique, le lecteur retrouve avec plaisir les vrais re(pères) de cet intellectuel : Mai 68, Roland Barthes, Jankélévitch, Sartre. A la page 144, je lis cet hommage : "Les livres m'ont sauvé. Du désespoir, de la bêtise, de la lâcheté, de l'ennui. Les grands textes nous hissent au-dessus des nous-mêmes, nous élargissent aux dimensions d'une république de l'esprit. Entrer en eux, c'est comme aborder la haute mer ou décortiquer un mécanisme d'horlogerie extrêmement sophistiqué". Son père est mort en 2012 et il n'avait changé pas d'opinion et était même fier de ses idées fascistes. Pascal Bruckner révèle sa fatigue, une fatigue morale qui attenue sa haine du père. Il n'a jamais rompu avec ce père-pitre par fidélité filiale et par pitié familiale... "Un bon fils" et un très mauvais père ! Ce récit autobiographique, écrit avec une retenue pudique, montre que l'on peut échapper à un héritage familial particulièrement lourd à porter.

mercredi 1 octobre 2014

Atelier de lectures

Ce mardi 30 septembre, l'atelier de lectures a redémarré après trois mois d'interruption. Nous étions moins nombreuses pour cause de vacances prolongées pour certaines d'entre elles. Mais, comme à l'habitude (une bonne habitude), nous étions toujours aussi motivées par la lecture, les livres, la littérature. Nous avons abordé dans cette première rencontre, les coups de cœur de l'été car je n'avais pas distribué mon lot d'ouvrages en juin. Janelou s'est exprimée la première en évoquant le chef d'œuvre de Carson McCullers, "Le cœur est un chasseur solitaire", un roman écrit par une jeune écrivaine de 23 ans dans les années 40 et qui peut être lu 60 ans après, tant les personnages du roman sont attachants et émouvants, en particulier ce Mr Singer, sourd et muet, recevant les confidences de tous malgré son handicap. Un livre sur la solitude, universellement partagée... Janelou a lu aussi  le roman de l'année, "Réparer les vivants" de Maylis de Kerangal et elle a rappelé l'intensité du document "La fin de l'homme rouge". Dany a savouré avec plaisir "Les mots de ma vie" de Bernard Pivot, et a découvert une biographie  de Laurent Seksik, "Le cas de Edouard Einstein", un portrait de la famille d'Einstein dont un fils souffrait de schizophrénie. Evelyne a redécouvert le charme de Samivel, "Les contes à pic", "La grammaire française impertinente" de J.L. Fournier, deux romans de S. Japrisot, le Goncourt, Pierre Lemaître, très intéressant, "La guerre d'Algérie" de Jules Roy, et a évoqué son goût littéraire pour la littérature scandinave avec la saga en deux tomes, "Karitas",  C.M. Baldursdottir, et "L'exception" de Olafdottir. Janine a relu avec émotion "La soupe aux herbes sauvages" d'Emilie Carles, un immense succès des années 80 et a mentionné une nouveauté de la rentrée, "L'aménagement du territoire" d'Aurélien Bellanger. Marie-Christine a cité "Une part de ciel" de Claudie Gallay, et le journal d'Etty Hillesum, "Une vie bouleversée", édité dans la collection Points-Seuil. Régine a surtout communiqué son enthousiasme pour un roman-miroir de Kamel Daoud, un écrivain algérien francophone, qui  a écrit une contre-enquête camusienne sur le personnage de l'Arabe dans "L'étranger". Le narrateur est le frère de la victime de Mersault et en nous lisant quelques passages d'une qualité littéraire indéniable,  ce livre devrait marquer la rentrée littéraire. Régine a évoqué d'autres titres comme "La centrale" d'Elisabeth Filhol et "Seuls, le ciel et la terre" de Brian Leung. Sylvie-Anne a pris une grande décision cet été : lire tout Proust... Vaste et beau programme ! Voilà pour cette premier rendez-vous, toujours des idées de lecture, des vagues stimulantes de mots et des paroles partagées. Le prochain rendez-vous : mardi 14 octobre.