lundi 29 janvier 2024

"Balzac, le roman d'une vie", Stefan Zweig, 2

Balzac menait une vie de forçat des mots à Paris, cette ville qui constitue aussi un des personnages principaux de sa "Comédie humaine". Stefan Zweig nous raconte, avec son talent romanesque particulier, le quotidien éprouvant de l'écrivain français. La biographie déborde de détails concrets sur les conditions matérielles pour créer une atmosphère intimiste et créative chère à Balzac : des livres autour de lui, des plumes bien taillées, des feuilles blanches, une bougie, sa cafetière. Dès que Balzac s'enferme pour écrire la nuit, surtout la nuit, il se consacre à son projet : "Dès l'instant où Balzac se met à travailler, il n'existe plus rien de réel autour de lui que ce qu'il crée". Il commence à composer un drame sur Cromwell, une tragédie ratée mais il ne se décourage guère tellement une folle énergie l'anime dans tout son être. Il se met à composer des romances historiques à la Walter Scott, sous forme de feuilletons, très à la mode à cette époque. Pendant des années, il sera "scribe" au service des autres. Cet apprentissage dans l'écriture prépare sa Comédie humaine. Ce jeune homme traverse des crises : "Je n'ai que deux passions, l'amour et la gloire et rien n'est satisfait". L'amour alors ? Quelle place dans son quotidien ? Le jeune homme cherche toujours une "veuve, une riche héritière" pour sortir de sa galère financière. Il tombe souvent amoureux de femmes plus âgées que lui comme Madame de Berny et de sa mystèrieuse Madame Hanska, la lointaine Ukrainienne. Et il aura aussi dans sa vie de nombreuses maîtresses parisiennes. Avec ses déboires financiers, il dira plus tard : "A toutes les époques de ma vie, mon courage s'était trouvé supérieur à mes misères". A trente ans, il signe enfin son premier roman de son nom, 'Le dernier chouan" et pendant vingt ans, ce geant de la littérature mettre toute son énergie, tout son génie au service de la "Comédie humaine" avec ses 90 romans ! Stefan Zweig, écrivain lui-même, décrit une vie de galérien au détriment de sa vie personnelle. Sa vraie famille, au fond, se nomme Eugénie Grandet, Rubempré, le Père Goriot, Louis Lambert, le Colonel Chabert. Il aura inventé plus de 4 000 personnages dans la "Comédie humaine". Honoré de Balzac a écrit "Les Mille et une nuits de l'Occident" nous rappelle Stefan Zweig, toujours empathique, compréhensif voire complice envers son biographé. L'ouvrage fourmille de détails sur Balzac, l'écrivain mais aussi sur ses relations familiales, amoureuses et amicales. Les commentaires de Zweig sur la "méthode" balzacienne éclaire à merveille cette nouvelle planète littéraire au XIXe. Imaginons ce siècle sans Balzac, c'est inimaginable... "La Comédie humaine", un projet démesuré, titanesque, gigantesque que seul l'écrivain pouvait réaliser au détriment de sa propre santé. Il mourra le 18 août 1850 à 51 ans et l'on raconte que le café l'a tué car il en buvait 50 tasses par jour ! Cette biographie passionnante se lit comme un roman balzacien !

jeudi 25 janvier 2024

"Balzac, le roman de sa vie", Stefan Zweig, 1

Comme j'ai choisi Stefan Zweig pour l'Atelier de Littérature de février., j'ai commencé mon marathon de lectures et relectures diverses, surtout des nouvelles courtes ou plus longues et des biographies. J'ai lu avec beaucoup de plaisir son "Balzac, le roman de sa vie", publié en 1946 et disponible en Livre de Poche. Comme j'ai fêté depuis deux ans mes retrouvailles avec "mon Honoré", j'avais envie de découvrir la biographie de Zweig. Que peut raconter Zweig sur Balzac ? Il existe des dizaines de biographies sur cet écrivain français, l'un des plus grands du XIXe siècle. Et quand j'ai commencé cet ouvrage, je ne l'ai plus quitté tellement il est passionnant à lire et révèle des détails de sa vie que j'ignorais. Une question domine dans cette biographie : comment devient-on Honoré de Balzac ? Par quels sortilèges ou par quels hasards, le jeune Balzac s'est-il jeté à corps perdu dans l'écriture ? Stefan Zweig offre des clés de compréhension sur cette vocation littéraire. Pour gagner son pain quotidien, il a exercé des professions diverses : notaire, journaliste, éditeur et surtout feuilletonniste dans plusieurs publications anonymes. Avant de se lancer dans la littérature, Stefan Zweig rappelle qu'un écrivain doit cumuler beaucoup d'expériences et de contacts pour fabriquer son univers romanesque. Il plonge avec une lucidité exarcerbée une réalité sociologique pour nourrir ses futurs textes, des projets ambitieux, "des projets de gloire". Cette traversée de milieux différents lui sera salutaire dans sa connaissance des moeurs de l'époque. Le biographe soutient la thèse des multiples expériences de vie où le regard acéré de Balzac observe cette "Comédie humaine" : il va "extraire du fouillis, des événements les éléments purs, du désordre l'harmonie, de la vie telle qu'elle paraît l'essence de ce qu'elle est". Non seulement, il a déjà un beau vécu à trente anx car il veut sans cesse s'enrichir en s'accordant des "intermèdes commerciaux" qui lui ont fait perdre beaucoup d'argent. Et l'argent, ce sacré argent, joue un rôle majeur dans l'oeuvre balzacienne. Toute sa vie sera marquée par l'emprunt et par les dettes. Il cherchera en vain des solutions miracles dans des affaires hasardeuses dont l'exploitation des mines en Sardaigne ! Son idéalisme et son romantisme naturels se mêlent à un réalisme cru et rude, acquis dans ses déplorables projets financiers. Tout au long de sa vie,  il rêve même de se marier avec une veuve riche pour enfin connaître la fortune ! Ses romans s'inspirent d'individus réels qu'il a rencontrés et il produit au fil des pages des types comme Rastignac, l'arriviste, le Père Grandet, l'avare, le Père Goriot, l'amour paternel, Vautrin, le criminel, la cousine Bette, la haine et tant d'autres personnages emblématiques de sa Comédie. Le génie romanesque de Balzac se situe dans sa trouvaille de représenter la "totalité du genre humain" et de retrouver certains personnages dans la suite des romans. L'écrivain cherche à organiser le "chaos" social en un "système cohérent", une idée d'une "substance motrice universelle".  Mais comment vivait notre illustre Balzac ?(La suite, demain)

mardi 23 janvier 2024

Atelier Littérature, 3

 La deuxième partie de l'Atelier Littérature était consacrée aux coups de coeur, ces lectures libres, choisies par les amies lectrices. Annette nous a présenté le prix Médicis Etranger en 2023, obtenu par une écrivaine de la Corée du Sud, Han Kang, "Impossibles adieux", publié chez Grasset. Les deux protagonistes de cette histoire se nomment Gyeongha et Inseon. La première va aider son amie, hospitalisée et celle-ci lui demande de prendre soin de son perroquet, laissé à l'abandon. Dans cette maison, Gyeongha trouve des archives troublantes relatant un massacre de 30 000 civils assassinés en 1948. Ce roman dense et original a touché Annette car elle aime se baigner dans une culture différente où, dit-elle, en Asie, les esprits ont une place importante. Danièle a beaucoup apprécié la biographie d'Astrid Lindgren, une romancière suédoise, créatrice de la savoureuse Fifi Brindacier. Elle a influencé des générations de jeunes lecteurs. Indépendante, féministe, défenseuse des droits de l'enfant, cette écrivaine a vraiment séduit Danièle. Mylène a présenté avec conviction le dernier récit de l'écrivaine portugaise, Lidia Jorge, "Misericordia", Prix Médicis Etranger l'année dernière. Une vieille dame enregistre sur un petit magnétophone le journal d'une année de vie dans sa maison de retraite. Sa fille, Lidia Jorge, retranscrit les textes de sa mère qui a gardé une mémoire intacte, une imagination fertile et une curiosité pour la vie et pour les autres. Mylène était émue par ce témoignage intimiste sur la condition humaine, sur la fin d'une vie noble et digne. La relation mère-fille est aussi au centre du récit. La vieillesse est souvent un "naufrage" mais même sur le Titanic, avant qu'il ne coule, la vie peut offrir de très beaux instants. Janelou a apprécié le récit autobiographique de Laure Murat, "Proust, roman familial". J'ai déjà commenté cet ouvrage dans mon blog et ce récit très "classe" se lit avec beaucoup d'intérêt. Geneviève, la nouvelle recrue de l'Atelier, a évoqué un roman de Julien Gracq, "Un balcon en forêt", publié en 1989 chez José Corti. Un écrivain somptueux, un style somptueux et une histoire sur l'Attente. C'est la drôle de guerre en 39. L'aspirant Grange est cantonné à la maison forte des Hautes Alizes entre Sambre et Meuse en Belgique. Ce blockhaus, construit au coeur de la forêt, abrite quelques soldats isolés qui ont pour mission de stopper les blindés allemands. Dans un roman de Julien Gracq, il faut tendre son attention et se baigner avec bonheur dans une prose française, l'une des plus belles de la littérature. Merci encore à Geneviève d'avoir choisi ce texte dense, subtil et si fascinant. Véronique a mentionné le dernier coup de coeur de l'Atelier Littérature avec "Les terres animales" de Laurent Petitmangin. Un roman dystopique et écologique après un accident d'une centrale nucléaire. Un groupe d'amis décident de rester dans leur village contaminé. Ils partagent des valeurs essentielles comme l'amitié et la solidarité face à un monde devenu invivable. Rendez-vous le jeudi 15 février pour évoquer le grand écrivain européen, Stefan Zweig !

lundi 22 janvier 2024

Atelier Littérature, 2

 Mylène et Odile ont choisi le roman "animalier" de Virginia Woolf, "Flush". J'ai déjà évoqué dans ce blog ce texte que j'ai relu avec un très grand plaisir. Mylène a beaucoup aimé le regard de ce cocker sur sa propre vie, amoureux de sa maîtresse, jaloux de son futur mari, subissant un rapt odieux, aimant la liberté qu'il connaîtra à Florence quand ses maîtres iront vivre en Italie. Après avoir lu ce roman plein d'humour et de vie, Mylène avait envie d'adopter un chien ! Véronique a choisi "courageusement" le livre de Pascal Quignard, "Dans ce jardin qu'on aimait", publié en 2019. Ce texte adapté au théâtre comporte un récitant qui a un peu dérouté notre amie lectrice mais elle a bien aimé l'histoire de ce révérend, Simeon Pease, le premier compositeur à avoir noté tous les chants des oiseaux qu'il avait entendus dans son jardin au cours des années 1860-1880. Pascal Quignard rend un hommage poétique à ce solitaire : "J'ai été ensorcelé par cet étrange presbytère tout à coup devenu sonore, et je me suis mis à être heureux dans ce jardin obsédé par l'amour que cet homme portait à sa femme disparue". Un roman d'amour élégiaque à la façon quignardesque. Le monde que décrit cet écrivain singulier peut fasciner ou laisser indifférent. J'opte pour la grande fascination... La place des animaux dans ce texte ? Les oiseaux, leurs chants et leurs présences mystérieuses quasi divines. Geneviève a évoqué le roman de Jean Giono, "Le grand troupeau", publié en 1931. Giono raconte la Guerre de 14-18 avec des scènes terribles et réalistes sur cette hécatombe. L'écrivain pacifiste alterne ses chapitres entre les hommes au front et les femmes à la ferme avec la vie du village et la vie dans les tranchées : "C'étaient ces fleuves d'hommes, de chars, de canons, de camions, de charrettes qui clapotaient là-bas dans le creux des coteaux : les grands chargements de viande, la nourriture de la terre". Ce roman sombre et cru sur les horreurs de la guerre est malgré tout chargé d'émotions avec les personnages féminins. Le style inimitable de ce conteur né donne des couleurs inoubliables au texte. Geneviève a cherché le rôle des animaux dans cet ouvrage. Elle a trouvé le troupeau de brebis et le bélier dans les premières pages. En fait, "Le grand troupeau" symbolise les hommes partis au front avec le sentiment d'un gâchis épouvantable. Giono, notre écrivain toujours aussi contemporain. 

jeudi 18 janvier 2024

Atelier Littérature, 1

 Nous étions une dizaine de lectrices, motivées et en grande forme, cet après-midi malgré une météo très pluvieuse. J'ai évoqué le programme du jeudi 15 février et à l'affiche du mois prochain, l'écrivain autrichien, Stefan Zweig (1881-1042) avec ses nouvelles, ses romans et ses mémoires sans oublier ses biographies. Un écrivain mythique, ami de Freud, un européen convaincu et un phare humaniste. Puis, Mylène a soumis l'idée d'une lecture commune. J'ai proposé qu'une fois tous les deux mois, nous testerons cette formule à la place des coups de coeur. Nous démarrons en février avec le dernier roman de Philip Roth, "Némesis", paru en Folio. Danièle et Janelou ont lu "A la table des hommes" de Sylvie Germain. Un enfant sauvage, né au coeur d'une forêt lors d'une guerre civile, sera recueilli par une femme qui va l'éduquer au langage et au monde humain. La première partie du livre sur la guerre a rebuté Janelou par la violence des scènes. Danièle a apprécié la mise au monde de cet enfant sauvage sauvé par la générosité des femmes. Ce conte allégorique sur la violence des hommes ne se lit pas avec facilité. Mais Sylvie Germain, avec son style très cisélé, aborde dans son oeuvre des thématiques souvent religieuses comme le Bien et le Mal, la Nature, les animaux. Geneviève H a choisi "L"Histoire d'Irène" d'Erri De Luca. L'écrivain italien raconte l'histoire d'une jeune femme, vivant sur une île grecque. Mi-femme, mi-dauphin, cette sirène sortie de la legende parthénopéenne du dauphin et de l'homme, contée par Pline,  a séduit notre amie lectrice. Erri De Luca renouvelle l'art du conte en l'actualisant. La mer, la nature, l'esprit panthéiste, tous ces thèmes s'entremêlent dans l'oeuvre entière de cet écrivain napolitain. Annette a été déçue par le roman de Paolo Cognetti, "La félicité du loup". Fausto, la quarantaine, est écrivain et Silvia, artiste. Ils travaillent dans un restaurant de la vallée d'Aoste et quand arrive le printemps, ils se séparent : Silvia part en montagne et Fausti retourne en ville. Mais, ils finiront par se retrouver. Un roman agréable à lire mais sans plus. Et point de loup dans ce roman. (La suite, demain)

mercredi 17 janvier 2024

"L'amour", François Bégaudeau

 Ce court roman de François Bégaudeau, "L'amour", paru en septembre, raconte l'histoire d'un couple "à vie", Jeanne et Jacques, des Français modestes. Ils ont 20 ans en 1970 dans une France des Trente Glorieuses en Maine-et-Loire. Leur relation amoureuse démarre sans coup de foudre fulgurant, ni passion brûlante mais par une promenade dans la campagne pour promener le chien. Ils se marient, ont un enfant et travaillent. Jacques a trouvé un poste de jardinier à la mairie et Suzanne est secrétaire dans un cabinet d'assurances. Une vie simple, ordonnée, ordinaire, banale au fond. Comme des millions de Français des classes moyennes. Leur couple traverse parfois des petites crises provoquées par leurs manies respectives dans la vie quotidienne. Comme le souligne le narrateur, ils s'énervent pour des "pécadilles" sur le pain frais, sur la télécommande non rangée. Et la temps passe et leur amour dure. Elle devient assistante de direction et lui crée son entreprise de jardinage. Leur fils Daniel, ingénieur, se marie et il est muté en Corée, une irruption détonante de la mondialisation. Puis le drame survient avec la maladie de Suzanne et sa mort. Sans aucun lyrisme ni réflexions particulières, l'auteur raconte à la manière de Georges Perec, l'histoire d'un couple soudé, aimant. Même quand Suzanne apprend l'infidélité de son mari avec une femme qui vient lui confesser cette erreur de jeunesse, elle invente qu'elle aussi a eu une liaison avec son patron. Ces deux héros du quotidien prennent une dimension familière comme si c'était des membres de sa famille, des oncles et des tantes, des voisins du quartier. On se reconnaît tout simplement dans ces destins sans histoire extraordinaire, sans péripéties aventurières. Mais, au fond, si c'était eux les vrais héros, les authentiques héros de la société, ceux qui font durer leur couple, qui se construisent un passé, un présent et un avenir d'amour partagé ?  Un des amis du couple s'écrie : "Vivre toute la journée l'un sur l'autre en couple, on finit par se bouffer le nez". Jacques lui rétorque : "Y en a qui tiennent pourtant". François Bégaudeau oeuvre en contretemps dans ce beau livre sur ce couple serein et tranquille. La mode actuelle se love plus dans les relations évanescentes et instables, vu le nombre des divorces. L'écrivain ose même citer Saint Paul lors du mariage de leur fils : "L'amour prend patience, (...) Il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, l'amour ne passera jamais". Ce roman, nimbé de nostalgie sur une France disparue, de la Simca 1000 à l'agenda de la Redoute, se transforme en élégie, une élégie sobre et délicate, sur l'amour "qui peut durer". 

lundi 15 janvier 2024

"Flush", Virginia Woolf

 Quel livre drôle et délicieux, "Flush" de Virginia Woolf, publié dans la collection Folio. Je l'ai choisi dans la liste des romans évoquant la place des animaux dans la littérature pour l'Atelier de janvier. Publié en 1933, ce texte concerne la vie d'un chien, un gentil cocker, Flush, mais aussi de sa maîtresse, Elizabeth Barrett Browning (1806-1861) et de son mari, poètes tous les deux. L'écrivaine anglaise renoue avec l'Histoire que l'on retrouve dans "Orlando". Tout se passe dans la campagne anglaise, le Berkshire. Le jeune chien change de mains, de Miss Mitford à la poétesse Barrett. Celle-ci, malade, ne quitte jamais son appartement londonien. Son père, un patriarche autoritaire, lui rend visite tous les soirs. Flush est malheureux dans ce lieu clos et il rêve des lapins de sa jeunesse quand il parcourait la lande. Son immobilité dans la chambre de cette poétesse solitaire le rend mélancolique. Dans cette vie calme et ennuyeuse, le pauvre Flush est victime d'un rapt, méthode utilisée couramment en Angleterre à cette époque. A Londres, un abîme séparait les beaux quartiers et Whitechapel, un lieu insalubre et glauque où le typhus et le choléra dévastaient la population. La poétesse va remettre la rançon pour récupérer Flush alors que sa famille préfère abandonner le cocker. Avec un humour ravageur, Flush décrit les conditions misérables de sa réclusion et constate alors qu'il vit dans le luxe chez sa maîtresse. Il fait partie des chiens "snobs" de la haute sphère comme sa maîtresse. Les émotions de Flush sont décrites à l'aune de son identité animale. La barrière humain-animal s'estompe sans cesse et un langage symbolique déclenche la communication entre Flush et la poétesse : "Séparés, clivés l'un de l'autre et cependant coulés au même moule, chacun d'eux, peut-être, achevait ce qui dormait toujours en l'autre. Mais elle était femme, il était chien". Le couple de poètes part en Italie, la Bella Italia, avec Flush et ce départ va leur apporter le bonheur des sens et l'esprit de la liberté. Hélas, Flush finira par mourir près de sa maîtresse dans son sommeil. Virginia Woolf avec son génie habituel va plus loin qu'un simple conte allégorique. Dans la préface de la Pléiade, le roman est présenté ainsi : "Ni un roman, ni une biographie, ni un pamphlet politique, ni un essai littéraire, Flush est tout cela à la fois. Objet littéraire non identifié fonctionne, dans l'oeuvre de Woolf, tel un catalyseur imprévu de réflexions formelles et politiques qui permet à l'auteur d'aller de l'avant et de chercher d'autres voies de traverse littéraires". Ce texte d'apparence légère est d'une profondeur digne de toutes les oeuvres de Virginia Woolf. Une belle porte d'entrée dans sa planète littéraire si brillante, parfois exigeante mais si nourricière ! 

vendredi 12 janvier 2024

"Un Barrage contre le Pacifique", Marguerite Duras, 2

 Ce roman dit "engagé", publié en 1950, peut-il se lire sans éprouver l'épreuve du temps ? Pourquoi est-il devenu un classique du XXe siècle ? A travers les personnages romanesques, l'écrivaine propose aussi un récit anticolonial sur l'Indochine française. Il ne faut pas oublier que Marguerite Duras était une femme politiquement ancrée à gauche toute, inscrite au Parti communiste et la dénonciation du colonialisme lui tenait à coeur. La petite Marguerite a passé son adolescence dans cette colonie française et avec ce roman, elle montre un état quasi tragique de cette époque trouble : misère effroyable des peuples autochtones, exploitation éhontée des ressources naturelles, racisme, mépris, injustices. Dans ce cadre socio-politique, cette famille atypique survit avec beaucoup de difficultés existentielles. La mère-courage ne désarme jamais et sans cesse, refoule les inondations de son champ de riz. Cette femme honnête et révoltée par le sort des colonisés lui donne une réputation de bonté et de générosité dans le village. Mais, son obstination ravageuse semble inutile car elle ne peut pas lutter contre une nature indifférente à ses tourments. Cette défaite la dévaste et elle ne voit qu'une seule issue pour sortir de la misère : vendre sa fille à un jeune planteur riche. Ce projet insensé trouble l'image de cette femme battante. Le fils aîné, brutal et primaire, chasseur et protecteur de sa famille, joue un rôle de "mâle" viril. La jeune fille devient un objet de convoitise sexuelle et participe à cette mascarade. Les relations familiales sont décrites avec un vocabulaire cru, tendu, familier dans les dialogues et aucun membre de ce trio infernal n'apaise les tensions permanentes. Quand j'ai relu ce texte, j'ai découvert avec étonnement cette violence entre la mère et ses enfants dans cette famille bancale et dysfonctionnelle comme on dirait aujourd'hui. Violence dans les mots, violence dans les gestes, violence dans le système colonial, violence dans les relations familiales, l'écrivaine voulait peut-être créer un vrai "barrage" contre ses marées d'humeur, de colères, de désillusions, de rêves brisés à travers ses personnages de "perdants". La mère sombre dans la folie, provoquée par ses échecs permanents. Par contre, Suzanne et son frère quitteront la concession et se libèrent de la cellule familiale étouffante. Marguerite Duras, à la fin de sa vie, répondait à son compagnon, Yann Andréa, que son livre préféré était : "le Barrage, l'enfance". Son seul roman autobiographique, "Un Barrage contre le Pacifique" connaîtra un succès évident depuis les années 50 et il continue de fasciner les lecteurs et les lectrices de Marguerite Duras.  

jeudi 11 janvier 2024

'Un Barrage contre le Pacifique", Marguerite Duras, 1

 J'avais lu le roman de Marguerite Duras il y a bien longtemps et j'avais envie de retrouver l'ambiance durasienne. Publié en 1950 en pleine guerre d'Indochine, ce texte largement autobiographique évoque la propre adolescence de l'écrivaine dans le personnage de Suzanne. Dans l'Indochine française, en 1931, une mère, devenue veuve, s'installe dans une plaine marécageuse de Kam, proche d'un petit port de Ram. Les deux enfants s'appelent Joseph (20 ans) et Suzanne (16 ans) et vivent pauvrement avec leur mère dans un bungalow en bien mauvais état. Ils possèdent une vieille voiture bien bralante et se nourrisent d'échassier que le garçon chasse souvent dans les parages. La mère, une ancienne institutrice, a travaillé dans un cinéma comme pianiste durant quinze ans et ses économies ont permis l'achat d'une concession, une terre cultivable pour le riz qui s'avère inondable lors des grandes marées de la mer de Chine. La mère s'obstine malgré la réalité du terrain et construit sans cesse des barrages pour contenir l'eau. L'administration corrompue du cadastre ne fonctionne qu'avec des pots de vin. Un jour, la famille fait la connaissance d'un jeune et riche planteur, M. Jo. La mère s'imagine alors que Suzanne pourrait se marier avec sa fille pour aider la famille à sortir de la misère : "C'est ainsi qu'au moment où elle allait ouvrir et se donner à voir au monde, le monde la prostitua". Commence alors la passion de ce jeune planteur fort laid pour la jeune fille. Il vient tous les jours voir Suzanne sous la surveillance de la mère. L'homme se désespère de ne pas être aimé et il offre des cadeaux pour l'amadouer jusqu'à lui demander de se montrer nue pour obtenir un phonographe. Ces tranctations sordides entre la famille et cet homme riche montrent les effets de la misère matérielle sur le comportement des protagonistes. M. Jo offre un diamant à la jeune fille afin de l'épouser. Mais Suzanne refuse ce mariage car elle rêve de partir, de quitter ce lieu maudit. Ce diamant va jouer un rôle dans cette histoire dramatique car la mère veut le revendre pour combler ses dettes. Entretemps, Joseph entretient une relation amoureuse avec une femme mariée, Lina.  La mère devient de plus en plus déprimée et s'enfonce dans la folie. Marguerite Duras l'a décrit ainsi : "Elle avait aimé démesurèment la vie et c'était son espérance infatigable, incurable, qui en avait fait ce qu'elle était devenue, une désespérée de l'espoir même". (La suite, demain)

mardi 9 janvier 2024

"La Petite-Fille", Bernhard Schlink

 Bernhard Schlink, écrivain allemand, très connu pour son roman, "Le liseur", a publié en 2023, "La Petite-Fille", édité chez Gallimard dans la collection "Du monde entier". L'histoire se déroule à Berlin et raconte l'histoire d'un couple, Kaspar et Birgit. Lui est libraire, âgé de 71 ans et elle, compose des romans et aussi une autobiographie en gestation. Mais, elle meurt subitement noyée dans sa baignoire, suicide ou accident ? Elle était alcoolique depuis quelques années et son mal de vivre provenait de son passé. A la mort de sa femme, Kaspar découvre un pan de sa vie qu'il ignorait. En 1965, Birgit vivait du côté de l'Est, en RDA et elle avait abandonné un bébé à sa naissance. La découverte de ce secret l'intrigue et il décide de retrouver cette belle-fille inconnue. Il part à Svenja en Allemagne de l'Est et la rencontre avec une certaine stupéfaction attristante. Après une jeunesse punk turbulente et quasi délinquante, elle s'est assagie et elle est mariée à un néo-nazi. Leur fille, Sigrun, vit dans cette troublante atmosphère radicale. Kaspar comprend qu'un mur le sépare d'eux, un mur d'incompréhension. Mais, Sigrun, sa petite-fille par alliance, une adolescente influencée par l'idéologie mortifère de ses parents, accepte de passer des vacances avec ce grand-père si gentil, tombé du ciel. Comment va-t-il établir une relation familiale avec cette famille si différente de lui ? Il reçoit sa petite-fille à Berlin et avec une patience d'ange, il lui montre les musées, la ville dans sa dimension culturelle. Sigrun nie la réalité historique de la Shoah, n'a rien lu sur cette tragédie et elle est même persuadée que le "Journal" d'Anne Frank est un faux. Peu à peu, le grand-père initie sa petite-fille à la culture et surtout au piano car elle est douée. Fils de pasteur, Kaspar symbolise la démocratie libérale et progressiste, une bourgeoisie cultivée et ouverte. L'histoire de cette relation familiale demeure passionnante de bout en bout entre un homme désabusé par son deuil et sa petite-fille rebelle, formatée par une idéologie extremiste. Ce roman puissant et original raconte une Allemagne contemporaine en proie à ses fantômes funestes du passé historique nazi. Bernhard Schlink interroge l'influence de l'idéologie dans les relations familiales et pose aussi la question mémorielle de la réalité historique. Ce roman fresque nous alerte sur la résurgence de la "bête immonde" dans les nouvelles générations. Un roman important et percutant sur notre temps. Et la petite-fille Sigrun prendra un jour une décision vitale pour son avenir. 

lundi 8 janvier 2024

Mes relectures de 2023, les classiques contemporains

 Grâce à l'Atelier Littérature, je m'adonne au grand plaisir de la relecture. Ainsi, un Atelier de l'année dernière a été consacré à Milan Kundera. Cet immense écrivain du XXe siècle, né en 1929 dans l'ancienne Tchécoslovaquie, est mort l'année dernière, le 11 juillet 2023. Je l'ai lu depuis les années 80 avec beaucoup d'intérêt mais des décénnies plus tard, le relire demeure une aventure romanesque et intellectuelle essentielle pour comprendre les soubresauts de l'Histoire du XXe, en particulier le thème majeur de la liberté, une liberté dans nos démocraties face au totalitarisme des pays communistes. Mais l'écrivain ne symbolise pas seulement la Liberté avec une majuscule. Il parle aussi du couple, de l'amour, de la complexité de la vie, de la société humaine, de la perte, de l'exil, de la musique et du silence, de la littérature. Il faut lire au moins une fois dans une vie de lecteur-lectrice, "L'Insoutenable légéreté de l'être", un chef d'oeuvre absolu, publié en 1982 chez Gallimard. En 2023, j'ai relu quelques uns de ses romans en analysant mieux le "génie kunderien". Ces essais sur la littérature ("L'art du roman" et "Les testaments trahis") sont plus abstraits, plus difficiles à lire. Cet écrivain qui n'aura pas eu le Prix Nobel de littérature  (une erreur incroyable du jury suédois) est devenu aujourd'hui un grand classique que des générations futures découvriront dans cent ans pour comprendre notre XXe siècle, les ravages de l'idéologie totalitaire et la nostalgie de l'exil. Un frère de coeur de Milan Kundera me fascine aussi, je veux nommer le sulfureux Philip Roth, américain de naissance. Ses romans racontent une Amérique décalée, en proie au racisme et à l'antisémitisme. Il décrit avec son écriture scalpel les affres des relations hommes-femmes, en guerre permanente. J'ai relu cet été le cycle "Zuckerman" dans la Pléiade et je poursuivrai ma redécouverte de cet écrivain fabuleux avec beaucoup d'intérêt. Je propose un troisième écrivain dans les classiques contemporains, Jorge Semprun, trop oublié de nos jours. Son récit "L'écriture ou la vie" devrait être lu dans tous les lycées pour l'existence des camps de concentration, la Shoah, le nazisme, le totalitarisme. Son témoignage précis et précieux pour la mémoire historique honore la littérature européenne, cet héritage culturel salvateur. Voilà pour la galerie de mes relectures 2023, une année fertile en émotions et en pensées. Les livres nous offrent une clé pour pour mieux comprendre la vie et le monde, une vie parfois compliquée et un monde souvent chaotique. Pour garder le cap, tournons les pages d'un roman ou d'un essai et le ciel devient plus clair, les nuages sombres dispararaîtront sans lancer de traces. 

jeudi 4 janvier 2024

Mes relectures de 2023, les classiques modernes

 Mes relectures des classiques "modernes" concernent la littérature du XXe siècle, surtout la première moitié très riche en génies littéraires en particulier, mon héros littéraire, j'ose le dire ainsi dans le langage familier, je veux parler de Marcel Proust. J'ai relu la moitié de "A la recherche du temps perdu" en 2022 et j'ai abandonné mon cher Marcel pour une écrivaine de son acabit, la magnifique Colette, qui m'a accaparée l'année dernière. Amie de Proust, elle le lisait avec une admiration toute gourmande. Dans le cadre de l'Atelier Littérature, j'avais choisi notre Colette nationale et j'avoue que les lectrices dans leur majorité ont découvert ou redécouvert avec plaisir cette grande voix de la littérature française. J'ai commencé par un "Claudine à l'école", lecture savoureuse à l'odeur d'enfance. Puis, "La naissance du jour", "Les vrilles de la vigne", "La vagabonde", "La retraite sentimentale" et j'ai poursuivi avec d'autres titres sans me lasser d'explorer cette planète charnelle de mots. Je ne pouvais plus la quitter. J'ai donc vécu une "addiction" colettienne avec un bonheur délectable. Ce phénomène m'a permis de traverser l'hiver avec le soleil de sa prose, son amour de la vie, des autres, de la campagne, des animaux et de l'art. Une source de jouvence alors que tous ses écrits datent d'une bonne quantité de décennies. En fait, quand le moral baisse pour des raisons diverses, au lieu de prendre des euphorisants chimiques, je conseillerai un roman ou un récit de Colette. C'est bien meilleur pour la santé. Dans ce début du XXe, j'ai aussi relu un roman de François Mauriac, "Le noeud de vipères", une histoire de famille décapante, un style classique de toute beauté, une atmosphère de thriller psychologique, la province. Comme tous les ans, je ne manque jamais mes trois rendez-vous amicaux :  Virginia Woolf ("Mrs Dalloway"), Marguerite Yourcenar ("Le Denier du rêve") et Marguerite Duras ("Le barrage contre le Pacifique"). En 2024, je me promets d'explorer quelques écrivains et écrivaines qui ont marqué le XXe comme Julien Gracq, Georges Perec, André Malraux, Kafka, Thomas Mann, Simone de Beauvoir, Hélène Cixous, etc. Dans tous les cas, cette année comme les précédentes sera marquée par de belles lectures, des découvertes ou des redécouvertes : romans, essais, livres d'art ! Je m'en délecte d'avance : la lecture, un art de vivre à cultiver.  

mercredi 3 janvier 2024

Mes relectures de 2023, les classiques intemporels

 Peut-être est-ce un effet de l'âge ? Je ne trouve plus de "grands écrivains" à ma disposition dans ce XXIe siècle à part Patrick Modiano et Pascal Quignard que j'apprécie tout particulièrement. Pour lire cette catégorie d'écrivains, il suffit de revenir au XIXe siècle et là, miracle, j'ai un choix stupéfiant en langue française. Quelle chance de découvrir ou de relire Balzac, Flaubert, Stendhal, Maupassant dans sa propre langue ! La France se distingue surtout par sa littérature avec tant de génies, issus de notre culture, de notre terreau, de notre pays. J'ai donc relu cette année "La cousine Bette" et "Eugénie Grandet", sans oublier "Le chef d'oeuvre inconnu" et ce programme balzacien m'a plongée dans un monde où chaque personnage devient vite aussi familier pour nous qu'un homme ou une femme d'aujourd'hui. Passions humaines, caractères bien trempés, amours et haines, le rôle de l'argent, la ville, les trahisons, les illusions comme les désillusions. Lisons et relisons cet écrivain de génie qui ne nous ennuie jamais. J'ai aussi redécouvert "La Chartreuse de Parme" de Stendhal. Une histoire d'un romantisme éblouissant qui se déroule dans un pays éblouissant, l'Italie ! La délicate et la délicieuse Clélia et le romanesque Fabrice del Dongo s'aiment mais que d'épreuves à affronter avant qu'ils ne vivent enfin cette liaison passionnelle ! Tout Stendhal se niche dans ce classique lumineux : l'amour, l'ambition, la trahison, la noblesse, l'aventure, l'Histoire. Quand je pense que ce génie est né à Grenoble à 45 kilomètres de Chambéry, je me l'approprie comme un cousin germain surtout que ces deux villes ont une identité italienne avérée... Mon dernier fleuron du XIXe s'appelle Gustave Flaubert. J'ai relu à quarante ans de distance "L'éducation sentimentale". J'ai redécouvert avec plaisir ce roman initiatique sur l'ambition d'un gentil garçon, Frédéric Moreau, fou amoureux de Madame Arnoux, hélàs trop fidèle à son mari pourtant volage. L'écrivain normand évoque la Révolution de 1848, des moments hallucinés dans le texte flaubertien. J'ai surtout savouré le style de Flaubert, ciselé, précis, magistral. Le trio Balzac-Stendhal-Flaubert, je le retrouverai cette année avec d'autres titres dont la douce Beatrix, l'insatisfaite Emma, l'ambitieux Julien. Je n'ai pas fini d'explorer le XIXe avec sa littérature fabuleuse. 

mardi 2 janvier 2024

Mes 12 livres préférés en 2023, 2

 En juillet, j'ai choisi un roman américain, "La famille" de Naomi Krupitsky dans la collection "Du monde entier", publié chez Gallimard. Cette jeune écrivaine propose une saga familiale originale car le milieu qu'elle décrit concerne "la famille", en un mot la mafia italienne à Brooklyn dans les années 30. Les pères des deux fillettes inséparables, Sofi et Antonia, en font partie. Elles observent la vie de leurs mères et elles jurent de ne pas épouser des hommes appartenant à ce clan criminel. Ce premier roman délicat et puissant aborde le destin de ces deux amies : quels chemins vont-elles prendre ? Respecter la tradition funeste de rester dans ce clan ou se libérer de cet enfermement ? La mafia vue par les femmes : un choc romanesque à découvrir. En août, j'ai lu le dernier Peter Stamm, un écrivain suisse allemand, avec son "Archives des sentiments", publié chez Bourgois. Ancien documentaliste, le narrateur passe son temps à découper des articles de presse, une manie professionnelle qu'il ne peut oublier. Un de ses dossiers concerne une ex-chanteuse de variétés, Franziska, alias Fabienne. Il a connu cette femme sur les bancs de l'école et ont été proches ensuite. Après des années où ils se sont perdus de vue, il reprend contact avec elle et lui envoie un mél. Ce roman traite avec humour et tendresse les anciens amours, les anciennes amitiés qui se tissent au fil du temps mais que le temps détisse avec nostalgie. Un beau roman mélancolique. En septembre, J'ai dévoré le dernier roman de Zeruya Shalev, "Stupeur", un de ses meilleurs livres avec ses thèmes de prédilection : les liens familiaux, un passé mystérieux, l'amour, la maladie, la mort, le deuil, le courage de vivre dans un pays particulier sous tension permanente depuis sa naissance. L'écrivaine israélienne toujours aussi puissante dans sa trame romanesque et dans son style a encore offert à ses lecteurs et lectrices le meilleur roman de la rentrée littéraire de septembre. En octobre, encore un bonheur de lecture pour moi avec Pascal Quignard, mon écrivain préféré, celui qui m'accompagne depuis quelques décennies. Il évoque la magie des livres, de la mer, de l'amour, de l'Histoire, de la littérature, de l'Antiquité et surtout de la musique ! En novembre, encore un coup de maître avec le dernier Ian McEwan, "Leçons", un roman d'une ampleur totale sur soixante ans de vie en Grande-Bretagne. Un homme élève son fils seul, car sa femme l'a quitté pour devenir une écrivain connue. Et le narrateur raconte alors son enfance, son adolescence pertubée et sa vie d'homme. Un grand roman incontournable sur la vie contemporaine. En décembre, j'ai terminé mon année de lectures avec le roman charmant et forestier de Claudie Hunzinger, "Un chien à ma table", prix Femina en 2022. La nature, le vieillir, l'amitié femme et chienne, l'amour du couple, la solitude, l'obsession écologique, l'écriture. Tout une gamme de thèmes chers à cette écrivaine singulière et empathique.

lundi 1 janvier 2024

Mes 12 livres préférés en 2023, 1

Comme tous les ans, je dresse un bilan de mes livres préférés de l'année passée. Je choisis l'ordre chronologique sur la centaine d'ouvrages que je dévore annuellement avec gourmandise. En janvier, je n'hésite pas une seconde pour le roman de Marie-Hélène Lafon, "Sources", l'un de ses meilleurs textes. L'histoire de ses parents paysans dans un Cantal rude et isolé est contée avec un style ciselé et surtout avec un regard à la fois empathique et malgré tout sans concession. En février, comment ne pas élire le dernier roman de Jonathan Coe, "Le royaume désuni", publié chez Gallimard. Ce roman décapant dessine un portrait sociologique, historique, humain de l'Angleterre de 1945 aux années 2000 avec un humour corrosif, des personnages pittoresques et un talent fou du "romanesque". Mary nous fait partager son histoire familiale comme si on en faisait partie ! Sur un fond de mondialisation et de pertes de repères, Jonathan Coe prouve encore une fois son talent indéniable de romancier. En mars, un roman italien m'a beaucoup intéressée : "Le choix" de Viola Ardone. Imaginons Martorana, un petit village de la Sicile des années 60. Oliva, une jeune adolescente, étudie le latin et elle aime les mots rares qu'elle déniche dans les dictionnaires. Ce roman d'éducation évoque la condition féminine dans un monde patriarcal car le destin d'Oliva ne va pas se dérouler toute en douceur. En avril j'ai eu la surprise de découvrir un inédit d'un de mes écrivains fétiches, Julien Gracq. Cette nouvelle, "La maison", représente la quintessence du style "gracquien", un style tellement somptueux qu'il laisse des traces dans la mémoire. Lire Julien Gracq demande une attention certaine mais cet effort de lecture entraîne une récompense : vérifier la beauté de la langue française... En mai, j'ai lu un récit autobiographique, "L'eau qui passe", d'un écrivain subtil et rare, Frank Maubert. Son texte d'une délicatesse poétique, raconte une enfance entre un père absent et une mère fantôme. Ses parents adoptifs lui apporteront l'affection manquante. En juin, mon choix se porte encore sur un roman italien, "La faute" d'Alessandro Piperno. Cet écrivain original et percutant met en scène un narrateur, un jeune homme, torturé par son imposture. Déchiré entre sa famille dysfonctionnelle d'origine et son autre famille d'adoption plus flamboyante, le héros du roman hésite : qui est-on vraiment ? Vaste question sur l'identité singulière de chaque humain sur terre. (La suite, demain)