jeudi 5 mai 2022

"La femme rompue"

 Depuis quelque temps, je m'adonne à la relecture, un plaisir que je découvre avec une curiosité de plus en plus renouvelée. Comme je collectionne les années (une expérience chanceuse du vieillir), j'accumule aussi les moments de lecture. Etant une dévoreuse de livres depuis mes dix ans, je ne compte plus les heures passées un livre à la main. Dans ma trentaine, j'ai vraiment admiré notre grande Simone de Beauvoir, écrivaine d'un féminisme classique et bien sage quand je pense aux dérives des militantes intersectionnelles d'aujourd'hui. L'été dernier, j'ai relu les deux premiers tomes de ses mémoires, "Mémoires d'une jeune fille rangée" et "La force de l'âge". Je poursuivrai la lecture des deux autres tomes l'été prochain. Me replonger dans une France du XXe siècle avec ses préoccupations politiques et philosophiques de l'époque me ravit toujours car je rajeunis au fil des pages. Ce bain de jouvence bienfaisante me rafraîchit la mémoire et m'indique aussi parfois à regret que le temps passe bien vite.  Récemment, j'ai relu "La femme rompue", publiée en 1967. Ce texte se compose de trois nouvelles, "L'âge de discrétion", "Monologue" et "La femme rompue". Dans la première nouvelle, une femme dans la soixantaine, très sûre d'elle et de ses convictions politiques, commence peu à peu à douter d'elle et de son entourage familial. Elle connaît un succès mitigé pour son dernier livre paru. Son mariage bat de l'aile et elle ne tolère pas le changement de carrière de son fils qui préfère travailler au Ministère de la Culture au lieu d'être enseignant. Cette coupure avec son fils m'a semblé bien datée tellement le clivage politique droite et gauche a bien vieilli de nos jours. Cette mère intransigeante préfère son idéal politique à son propre enfant. Dans la deuxième nouvelle, "Le monologue", l'écrivaine fait parler une femme plus que malheureuse où tout est tragique dans sa vie : suicide de sa fille, perte de la garde de son fils, mère décevante, etc. Elle se révolte contre le sort qui s'acharne contre elle. Un monologue outrancier et dérangeant. J'étais étonnée de ce ton véhément et halluciné. C'était peut-être la période rageuse et militante de Simone de Beauvoir... "La femme rompue" me semble être la meilleure nouvelle du recueil, la plus convaincante d'équilibre. Sous la forme d'un journal intime, Monique, femme au foyer, a tout misé sur son couple et sur sa maternité. Quand ses filles quittent le foyer, son mari s'éloigne aussi d'elle. Double rupture pour cette femme traditionnelle. Elle apprend que son mari la trompe avec une femme plus jeune. Elle accepte cette situation qui va devenir invivable. Il faudra réinventer sa vie et la dernière phrase du texte souligne l'optimisme volontariste de Simone de Beauvoir, une adepte de la liberté à tout prix : "Mais je sais que je bougerai. La porte s'ouvrira lentement et je verrai ce qu'il y a derrière la porte. C'est l'avenir".  Le féminisme de l'écrivaine se manifeste dans ces trois textes : elle remet en question le rôle traditionnel des femmes au foyer, sans aucune autonomie financière, ni liberté individuelle. Le message beauvoirien a bien été transmis au fil des générations et cet héritage via la littérature s'inscrit avec bonheur dans notre culture occidentale. Ces textes ont peut-être vieilli un peu mais se lisent toujours avec beaucoup d'intérêt. Ah, ces belles années 70 !