jeudi 24 septembre 2020

"Yoga"

 Il vaut mieux lire directement le dernier ouvrage, "Yoga", d'Emmanuel Carrère avant de découvrir les nombreux articles qui lui sont consacrés dans la presse : un exercice en dehors des influences, des avis, des critiques bonnes ou mauvaises. Entrer dans ce texte sans préjugés m'a convaincue que j'avais choisi la bonne solution pour garder un esprit neuf. Pourtant, je ne connais rien à la mode du yoga et j'avoue que la première partie du livre sur cette activité physique m'a semblé un peu trop longue. Emmanuel Carrère m'a tout de même fortement intéressée. Il voulait écrire un "petit livre pas prétentieux, un petit livre souriant et subtil" en relatant son stage en immersion en Bourgogne, une retraite absolument silencieuse. Il veut se libérer en particulier des "vrittis", "ces pensées parasites, incessant bavardage qui nous empêchent de voir les choses comme elles sont". Il ajoute, qu'une fois chassées, "l'esprit devient alors clair et transparent comme un lac de montagne. Débarrassé de l'écume de nos peurs, de nos réactions, de nos commentaires incessants, il ne reflète plus que le Réel. On appelle cela délivrance, illumination, satori, nirvana". Mais, la pratique du yoga n'empêche pas l'irruption dans sa vie, d'une dépression dévastatrice qui l'oblige à séjourner à l'hôpital Saint Anne où il subit des électrochocs. Il est diagnostiqué "bipolaire de type 2" et décrit sa maladie ainsi : "On est deux dans le même homme, et ces deux-là sont des ennemis". L'écrivain sombre alors dans un puits de "forces obscures, de culpabilité, de détresse".  Les pages sur sa dépression demeurent le diamant noir du texte, le cœur ou chœur de sa démarche littéraire. Emmanuel Carrère dit tout, ne veut pas mentir, étale ses états d'âme sans complexe. Certains critiques l'accusent de nombrilisme, d'égocentrisme. Ce procès ne le concerne en aucun cas. Il évoque aussi sa lente guérison en partant dans une île grecque pour soutenir quelques jeunes migrants. Dans cette île de Léros, il rencontre l'énigmatique Federica, sorte de double féminin qui lui dit : "Il y a l'Ombre, mais il y a aussi la joie pure". Cette phrase représente le cadeau de cette femme à la fois lunaire et solaire : "Et peut-être qu'il ne peut y avoir de joie pure sans Ombre et que ça vaut la peine alors de vivre avec l'Ombre". L'écrivain a tout de même avoué sur le plateau de La Grande Libraire, que cette partie du livre, était de la pure fiction. Certains passages du récit m'ont beaucoup impressionnée : le décryptage de ses troubles psychiques, le portrait de Paul Otchakovsky-Laurens, son éditeur depuis trente ans, sa passion pour la Polonaise de Chopin, interprétée par la pianiste, Martha Argerich. Malgré la première partie un peu longue, Emmanuel Carrère a écrit un de ses meilleurs livres et l'un des meilleurs de la rentrée littéraire.