mardi 1 février 2022

"Anéantir", 1

Michel Houellebecq a donné naissance à son huitième roman, très attendu par ses lecteurs et lectrices. Cette dystopie, "Anéantir", a pris l'apparence séduisante d'un beau livre cartonné d'une blancheur candide, une édition de luxe, accompagnée d'un signet rouge pour marquer les 733 pages. L'éditeur Flammarion a accepté les conditions de son écrivain en "or". Il sait que cet ouvrage va dépasser les deux cents mille exemplaires, ce qui est assez rare aujourd'hui. La campagne publicitaire et commerciale a commencé en décembre, ce qui semble un peu inutile pour un auteur aussi réputé.  Evidemment, il faut un certain temps pour lire ces centaines de pages houellebecquiennes. Son huitième roman va-t-il surpasser le prémonitoire "Soumission" en 2015 et l'explosif "Sérotonine" en 2019 ?  Ce romancier "balzacien" du XXIe siècle (il déclare souvent son amour de la "Comédie humaine") se lit toujours avec un intérêt certain même si, parfois, il sature son texte de considérations sociales et sociétales. Dans son dernier opus "Anéantir", notre Michel national et international (le français le plus traduit dans le monde) raconte l'histoire d'un "héros" qui peut ressembler à Monsieur Tout le Monde. Nous ne sommes pas dans le monde stendhalien ou proustien où la vie est magnifiée par l'amour et par l'art. L'intrigue se situe en 2026, soit quelques mois avant le début de l'élection présidentielle de 2027. Paul Raison, un quasi quinquagénaire et personnage central, travaille auprès du Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, Bruno Juge, le sosie de notre ministre actuel, Bruno Lemaire. Le climat politique est inquiétant car des attentats terroristes sophistiqués se propagent en Europe sans faire de victimes humaines : piratages informatiques, explosion d'un porte-conteneurs, saccage d'une banque de sperme, etc. Les motivations des auteurs semblent difficiles à évaluer, à analyser et surtout la traque de ces criminels semble perdue d'avance. Le père de Paul, Edouard, retraité, est un ancien membre des services secrets et avant qu'il ne soit atteint d'un AVC invalidant, il menait sa propre enquête sur les attentats. Sa compagne l'assiste avec amour dans sa maladie car il est placé dans un établissement hospitalier. L'auteur consacre quelques pages sur les maltraitances des résidents dans les EHPAD. Autour de Paul, sa femme, Prudence, également fonctionnaire, entretient avec lui une relation distante et s'intéresse à la mode vegan. Dans leur bel appartement parisien, ils cohabitent avec une lassitude indifférente. Leur relation ressemble à un "désespoir standardisé". La sœur de Paul, Cécile, catholique pratiquante, mariée à un notaire conservateur, habite Arras et vote pour le "Rassemblement national". Son frère cadet, restaurateur d'art, est marié à Indy, une femme dominatrice au caractère détestable. Dans ce portrait d'une famille hétéroclite et éclatée, l'auteur dresse en parallèle un rapport pessimiste (ou lucide) sur la France d'aujourd'hui. Passent dans le texte des allusions sur les panneaux solaires, la campagne électorale, les boomers, l'écolo fascisme, la misère sexuelle, l'euthanasie, les rêves, les nouvelles technologies, etc. Ce grand marché contemporain sous la critique acérée de l'auteur est l'un des marqueurs de la prose houellebecquienne. Il évoque aussi des journalistes médiatiques comme David Pujadas, François Lenglet ou Michel Drucker. Cette fresque familière d'un quotidien télévisualisé ne manque pas d'ironie caustique. Guy Debord, le pape de la société du spectacle, aurait bien apprécié ce roman labyrinthique sur la société actuelle. (La suite, demain)