mercredi 12 avril 2023

"Le Livre du rire et de l'oubli", Milan Kundera, 1

J'ai choisi Milan Kundera pour l'atelier Littérature du jeudi 11 mai. Cet immense écrivain français d'origine tchèque mérite amplement une redécouverte pour certaines lectrices et pour d'autres, une découverte qui demande parfois un effort de lecture. J'ai conseillé de lire les romans écrits dans la tranche des années 70 à 90 plus accessibles que les dernières parutions. "Le Livre du rire et de l'oubli" est le premier ouvrage écrit en 1976 quand l'écrivain fuit la Tchécoslovaquie et trouve un poste de professeur de littérature comparée à Rennes qu'il occupera jusqu'en 1979. Comme tous les textes de Milan Kundera, il faut entrer dans un labyrinthe musical car il définit ses œuvres comme des "romans en forme de variations". Les thèmes de l'ouvrage (la mémoire et l'oubli, le rire et le tragique) commentés par un narrateur autobiographe s'imbriquent dans un contexte historique (son pays après l'invasion des Russes à Prague) et dans une intrigue romanesque. Les sept parties du livre sont intitulées ainsi : "Les lettres perdues, Maman, Les anges, Litost, Les anges, la frontière". Le roman démarre par une anecdote sur l'effacement d'un opposant politique sur une photo, méthode toute stalinienne. Puis, un personnage apparaît avec Mirek qui veut récupérer des lettres compromettantes adressées à une femme, Zdena, une militante communiste approuvant l'invasion russe en 1968. L'anecdote se termine par l'arrestation de Mirek. Le deuxième chapitre concerne le couple de Karel et de Marketa qui invite la maman du marié pour séjourner chez eux. Ce chapitre détonnant, hilarant et ironique évoque ce couple étrange voulant former un trio avec une amie de Marketa, Eva, disponible pour des jeux érotiques Mais la "Maman" s'incruste dans le foyer et parle de l'enfance de Karel quand il avait quatre ans. Un souvenir de nue féminin l'aurait marqué et cela expliquerait son comportement sexuel. Cette "Maman" loufoque et pitoyable se souvient difficilement de son passé (mémoire et oubli). Dans le chapitre suivant, Milan Kundera intègre des indices biographiques : il retrace un épisode de sa vie d'avant quand il gagnait de l'argent en donnant des consultations astrologiques. Il pousse l'absurde de la situation en parlant d'un rédacteur en chef, modèle du marxisme-léninisme qui appréciait ses prévisions. L'effet comique de ce passage est jubilatoire. Plus loin, il analyse une photo typique de policiers en armes confrontés à des manifestants dansant une ronde. La métaphore du bonheur absolu, "une ronde incessante", est un plaidoyer contre l'idéologie de masse (nazisme, stalinisme) et pour la naissance de l'individu libre. Lui-même a participé à de nombreuses "rondes" lors de fêtes liées à l'avènement du régime communiste (thème récurrent de l'illusion lyrique). Cette dénonciation se poursuit quand il évoque Paul Eluard intégré dans cette ronde à Prague : "Danser dans une ronde est magique ; la ronde nous parle depuis les profondeurs millénaires de la mémoire". (La suite, demain)