mercredi 17 octobre 2018

"Archives du Nord"

Cet été, j'ai relu le deuxième tome du Labyrinthe du monde de Marguerite Yourcenar, "Archives du Nord", publié en 1977. J'ai déjà évoqué dans ce blog, "Souvenirs pieux" (1974) et je poursuis ainsi mon retour aux grands classiques de la littérature contemporaine. Parfois, quand on se lance dans la relecture d'un classique, la déception peut surgir car plus les années passent, plus nous changeons. Personne n'évite ce phénomène même si au fond, on a l'impression d'être la même personne depuis notre naissance. Quand j'ouvre un ouvrage de Marguerite Yourcenar, je retrouve la même admiration que j'éprouvais à l'époque de ma première lecture et je ne suis jamais déçue. Bien au contraire, ma lecture en ressort bonifiée, approfondie, encore plus intense que dans le passé. Pourtant, les ancêtres de Marguerite Yourcenar ne ressemblent pas du tout aux miens. Ce monde aristocratique (comme chez Marcel Proust) semble très éloigné de notre société contemporaine démocratique. Mais, si on aime l'Histoire, la lecture de ce livre ressemble à une plongée dans le XIXe siècle, dans la région du Nord, la Flandre. L'écrivaine, dans les premiers chapitres, se lance dans une réflexion sur le vertige du temps : "Ces gens-là nous ressemblent : mis face à face avec eux, nous reconnaîtrions sur leurs traits les mêmes caractéristiques, qui vont de la bêtise au génie, de la laideur à la beauté". Elle remonte au XVIe et cette aventure généalogique donne le tournis… Marguerite Yourcenar écrit plus loin : "C'est de la terre entière que nous sommes les légataires universels. Un poète ou un sculpteur grec, un moraliste romain né en Espagne, (…) nous ont peut-être davantage formés que ces hommes et ces femmes dont nous avons été l'un des descendants possibles, un de ces germes dont des milliards se perdent sans fructifier dans les cavernes du corps ou entre les draps des époux". Dans la deuxième partie, elle évoque son grand-père paternel, Michel-Charles, puis de son père, Michel. La narratrice ne se glorifie en aucun cas de sa parenté aristocratique, bien au contraire. Elle décrit les petitesses de sa classe sociale, l'hypocrisie religieuse, leur arrogance hautaine. Elle n'épargne pas son propre père, joueur et flambeur, amateur de femmes. A la fin de l'ouvrage, Marguerite Yourcenar révèle sa vision du monde, une vision sombre et lucide, sur le passé et le présent, et constate avec philosophie : "Ce qui danse aujourd'hui sur le monde est la sottise, la violence et l'avidité de l'homme". Les inquiétudes qu'elle ressentait sur la disparition des espèces, la pollution, la place du divertissement, les dégâts de l'industrie, se sont, hélas, confirmées. La lecture des classiques procure un sentiment d'éternité...