lundi 30 décembre 2019

"Giono furioso"

Emmanuelle Lambert a obtenu le prix Femina essai pour son "Giono furioso". A l'occasion d'une grande exposition sur Giono au MuCEM de Marseille, l'écrivaine a voulu célébrer le cinquantenaire de sa disparition. Sa biographe, commissaire de l'exposition,  remet les idées en place sur cet écrivain dont la réputation se compose d'un grand nombre de clichés : un Pagnol provençal, un régionaliste naïf, un pacifiste pétainiste, etc. En évoquant ses romans, elle écrit : "Chacun est une odyssée, une aventure, une cavalcade. Ces livres agités ne finiront pas sages, endormis sur une étagère. Littéralement, ils déboulent". Sa démarche consiste à "rendre intelligible le sujet Giono, mettre un ordre dans le désordre de l'écriture, les contradictions des déclarations, les images successives, les témoignages". La biographe parle de la préparation de l'exposition et s'adresse directement à l'écrivain en un tête à tête intimiste et interrogatif. Le label iconique "écrivain de la Provence" se transmet comme une image d'Epinal mais Jean Giono dépasse les limites de son territoire de naissance. Emmanuelle Lambert n'hésite pas à mêler sa vie à celle de Giono. Cette biographie classique se change parfois en autobiographie sensible car elle connait la Provence, pays de son enfance. Elle visite la maison de Giono à Manosque où le responsable de l'association lui permet de parcourir les archives de l'écrivain dans son intimité. Il est né dans une famille modeste (père cordonnier et mère blanchisseuse) et il quitte l'école à seize ans pour aider sa famille en trouvant un emploi dans une banque. Heureusement, nous dit la biographe, "il y a les livres. Il les accumule et les dévore en autodidacte". Déjà, l'influence des Grecs se fait sentir. Emmanuelle Lambert glisse dans ses pages un bel éloge à la littérature : "La langue ruisselle toujours de leur plongée dans les classiques". Il découvre Homère, Virgile, Faulkner, Cervantès avec admiration. A dix-huit ans, il part à la guerre de 14. Une certitude se dessine dans les premières pages : les tranchées de la Guerre de 14-18 l'ont façonné et l'ont meurtri dans sa pleine jeunesse. Son pacifisme deviendra pour lui un credo, une farouche conviction qui entacheront sa réputation d'écrivain lors de la Guerre en 39. Sa biographe n'occulte en aucun cas les accusations injustes de collaborationnisme avec l'ennemi. La biographe analyse en priorité ses romans en décrivant chacun dans sa portée littéraire : "Tous, ils ont un bout de vous, une part de chair, une opinion, une idée". La planète Giono n'est pas un monde harmonieux, heureux, optimiste. Bien au contraire : "On y lit constamment une lutte à mort, (…) entre l'homme et les animaux, entre l'homme et la nature, entre l'homme et l'argent, et l'homme et l'homme".  Elle s'adresse à lui comme s'il était près d'elle et cette proximité intimiste donne au texte un ton vif, alerte, direct. Cette biographie dense, très documentée, se lit en fait comme un roman. Pour ma part, j'ai découvert Giono dans ma jeunesse et j'ai aimé tous ses romans. J'ai longtemps préféré sa période stendhalienne avec "le Hussard sur le toit" mais il est temps de le relire des décennies plus tard. Ma mère qui aimait beaucoup Giono m'a légué ses Pléiades et j'ai relu les premières pages du "Chant du monde"... Un style charnel, un travail fascinant sur le langage, une histoire humaine des temps anciens, un classique contemporain à redécouvrir.