mardi 2 août 2022

Hommage à Anne Marie Garat

 J'ai appris la mort d'Anne-Marie Garat à l'âge de 75 ans après une longue maladie. Cette écrivaine bordelaise, membre du jury Femina, a composé une œuvre originale au souffle parfois épique, servie par un style puissant. Sa conception de la littérature ne se rapprochait pas de la sobriété d'Annie Ernaux  ni de l'audace féministe de Virginie Despentes. Elle avait la passion des images, de la photographie et cette belle obsession a influencé son univers romanesque. Femme engagée et combative, elle militait pour un imaginaire actif, "un bien sans pareil", et "la transmission, une question politique". La critique littéraire souvent élogieuse à son égard la qualifiait de "formidable conteuse". Le roman devenait pour elle une "machine à histoires inépuisable, ouverte à tous les possibles". Née à Bordeaux dans une famille modeste, elle découvre la magie de la lecture dans une bibliothèque publique et elle se définit comme "une liseuse gloutonne". Elle raconte dans son dernier livre, "Humeur noire" cette découverte fulgurante : "Chez nous, écrivains, ça n'existe pas. A l'école, ce sont des gens prestigieux mais défunts : rien d'enviable. Ecrire, rien n'y autorise, n'y invite". Le cinéma l'attire beaucoup et a nourri son imaginaire car elle fréquente assidument le ciné-club de son quartier. Après des études littéraires, elle devient enseignante et publie son premier roman, "L'homme de Blaye", influencé par le Nouveau Roman. Déjà dans ce récit, les thèmes de ses livres apparaissent : la présence de l'image, de la photographie, la mémoire "troublée de soi et de l'histoire", les questions d'identité, de l'appartenance et de la filiation. En 1992, elle reçoit le prix Femina pour "Aden". Son registre romanesque éclate vingt ans plus tard loin de la rigueur et des contraintes du Nouveau Roman, avec une trilogie : "La Main du diable", "L'Enfant des Ténèbres" et "Pense à demain", une fresque familiale épique. Son style flamboyant, débridé et son vocabulaire riche montrent ses talents de romancière "gionesque".  J'ai lu en 2020 son beau "Nuit Atlantique", un roman testamentaire sur sa région et sur l'amour. J'avais remarqué son immense gourmandise des mots jusqu'à la saturation parfois dans ses écrits souvent d'une ampleur à faire reculer un lecteur et une lectrice pourtant motivés. Je voulais rendre hommage à une écrivaine-croyante, une croyante éminemment sympathique au style somptueux comme le vin de Bordeaux. Sa seule religion, la littérature, une littérature généreuse et sincère !