lundi 24 février 2020

"Otages"

Nina Bouraoui vient d'écrire "Otages", son nouveau roman adapté d'une pièce de théâtre et publié chez JCLattès. Elle explique son envie de prolonger ce drame en roman ainsi : "Le destin de mon héroïne ne cessant de se raccorder au chaos du monde, j'ai écrit une nouvelle version, inspirée puis échappée du théâtre en hommage aux otages économiques et amoureux que nous sommes". Son personnage s'appelle Sylvie Meyer, cinquante trois ans, divorcée et mère de deux enfants. Elle travaille dans une entreprise de caoutchouc, la Cagex où elle dirige la section des ajustements. Le monologue de Sylvie Meyer se déroule en deux temps, l'avant de son geste et l'après. Elle raconte sa rupture avec son mari : "Il y a un an quand mon mari m'a quittée, je n'ai rien dit, je n'ai pas pleuré, rien n'est entré, rien n'est sorti, comme pour la violence, le calme plat". Sylvie Meyer ne réagit pas car elle avoue qu'un "mur" s'était dressé entre eux après vingt cinq ans de mariage. Dans son travail, Sylvie joue le rôle de "caisse de résonance" pour son patron angoissé. Il lui demande d'établir une liste d'employés, "un vivier", pour dégraisser l'entreprise. Sylvie obéit sans réagir et dresse cette liste sans état d'âme. Mais, un soir, elle se dirige vers l'entreprise pour parler à son patron. En fait, elle le prend en otage et lui reproche tout ce qu'elle est devenue malgré elle sous l'influence de ce directeur autoritaire et geignard : "J'ai voulu lui montrer que l'on ne pouvait pas toujours écraser les plus démunis, (…), qu'un patron ne peut pas tout se permettre, non, ce n'est pas vrai, le pouvoir n'est pas au-dessus des lois". Après ce geste fou de le "tenir en joue avec un petit couteau", elle se libère de son agressivité devant tant d'injustice. Le matin, elle est arrêtée par la police. Dans son monologue, elle admet qu'elle a commis un acte idiot mais, elle "vengeait toutes les autres, celles qui travaillaient sans répit et qui, chaque soir, retrouvaient la violence : un mari absent, des enfants bruyants, la solitude". La narratrice comprend alors sa propre violence quand elle se souvient d'une histoire lamentable avec un certain Gilles, âgé de trente cinq ans alors qu'elle en avait quinze… Nina Bouraoui éprouve une grande empathie envers toutes ces femmes humiliées, étouffées, vaincues. Mais, la rébellion surgit et l'héroïne s'accepte enfin en découvrant les racines de son mal-être. L'écrivaine a signé un opus sur la violence qui empêche de vivre. Avec son style efficace et subtil à la fois, la fausse douceur du texte révèle une société dure et impitoyable pour les sans grades. Mais, c'est aussi un ode à la liberté...