lundi 14 mars 2022

Atelier Littérature, 3

 Plusieurs lectrices de l'atelier ont lu Jean-Bertrand Pontalis, l'écrivain psychanalyste le plus clair dans son écriture, le plus accessible pour le grand public, le meilleur passeur exemplaire entre la psychanalyse et la littérature française. Il a animé pendant vingt-cinq ans la Nouvelle Revue de Psychanalyse et a dirigé deux collections prestigieuses chez Gallimard, "Connaissance de l'Inconscient" et "L'un et l'autre". Colette a découvert cet auteur original avec "Le songe de Monomotapa", publié en Folio. Cet essai évoque, en une vingtaine de courts chapitres, le thème de l'amitié : de sa naissance à sa dissolution, de son temps long à un moment bref, alliant réflexions et histoires intimes. Quel rôle joue l'amitié dans notre vie ? La Fontaine écrivait qu'un "ami véritable est une douce chose". Mais ce terme de Monomotapa, tiré d'une fable, définit une amitié idéale, fusionnelle comme l'a vécue Montaigne avec La Boétie. A 85 ans, le psychanalyste revient sur sa vie pleine d'amitiés fugaces comme solides, profondes comme contingentes. Geneviève a lu avec plaisir "Avant", paru en Folio en 2013. Pour résumer cet essai lumineux, je cite Pontalis : "Quand il nous arrive de dire "C'était mieux avant", sommes-nous des passéistes en proie à la nostalgie d'une enfance lointaine, d'une jeunesse révolue, d'une époque antérieure à la nôtre où nous avons l'illusion qu'il faisait bon vivre ? A moins que cet avant ne soit un hors-temps échappant au temps des horloges et des calendriers. Je me refuse à découper le temps. Nous avons, j'ai tous les âges". La littérature comme la psychanalyse se ressemblent et se rassemblent autour de la mémoire, du temps, des souvenirs. J.-B. Pontalis se souvient de son patient illustre, Georges Perec, qui prétendait qu'il n'avait aucun souvenir d'enfance car il camouflait la douleur d'avoir perdu sa mère dans les camps. Un manque impossible à combler. Il est question de la réminiscence (le sentiment du déjà vu), de la trace et de l'oubli. Un essai remarquable. J'ai relu à cette occasion "Fenêtres" et j'ai retrouvé ce même bonheur de lecture que procure Pontalis. La fenêtre, symbole d'ouverture, engage le narrateur au "départ" grâce à la pensée rêvante et rêveuse avec des instants de vie réfléchie, des images et des mots du divan, des anecdotes sur ses patients anonymes. L'écrivain raconte sa vie de psychanalyste avec une élégance discrète et un humour feutré. La parole définit l'acte psychanalytique alors que la littérature se fabrique avec des mots écrits. Cette différence s'amenuise quand on pense à la démarche profonde de ces deux "arts", rechercher les clés d'une énigme : soi-même. J.-B. Pontalis a établi un pont indispensable entre ces deux mondes avec un talent incroyable. Je lui laisse les derniers mots : "L'expérience de la lecture préfigure celle de l'analyse. Toutes deux sont transport, transfert, hors de soi. Toutes deux sont épreuve de l'étranger. D'un étranger qui serait le plus près de l'origine". Ce troisième billet concerne exclusivement cet écrivain psychanalyste qui a séduit les amies lectrices de l'atelier. Il faut souvent revenir à lui comme s'il l'on suivait une thérapie littéraire réussie. La lecture, une exploration de notre condition humaine comme la psychanalyse.