lundi 3 février 2014

"Ailleurs"

Richard Russo puise son inspiration dans une petite ville américaine, Gloversville,  dans l'Etat de New York. Il évoque la classe moyenne avec un art magistral et son talent littéraire s'affine roman après roman. J'ai beaucoup aimé  "Le pont des soupirs", "Les sortilèges de Cap Cod", "Un homme presque parfait" publiés au Quai Voltaire. Son dernier récit dresse le portrait de sa mère, aujourd'hui disparue. Elle élève son fils toute seule, son mari l'ayant quittée pour incompatibilité caractérielle. C'est une femme "libre, sans entraves, anticonformiste", mais elle présente une  fragilité évidente, provoquée par la hantise de la pauvreté. Ils vivent dans une petite maison chez les grands parents et leur cohabitation ne se passe pas au mieux. Sa mère décide de partir à Phoenix en parcourant 4000 kilomètres dans une vieille voiture. Richard Russo décrit leur vie chaotique et précaire et évoque très vite, dans ce récit vraiment exemplaire de lucidité et de vérité, la relation complexe de "mère-fils".  Même enfant, il l'observe en proie à l'anxiété, à la nervosité et au déséquilibre affectif. Son père lui avoue qu'elle est "cinglée" comme il le dit dans son langage populaire. Quand Richard Russo accède à la notoriété littéraire, sa mère lui pose un éternel problème. Elle ne vit que pour lui, exige sa présence, et il est obligée de la loger dans des appartements qu'elle n'apprécie jamais. Sa mère devient un poids dans sa vie quotidienne mais, il renonce à la contrarier ou à la contredire. Le dévouement du fils semble exceptionnel surtout quand sa mère devient une femme vieillissante tyrannique et éternellement insatisfaite. Il commence à comprendre, quand elle tombe malade, qu'elle a souffert tout au long de son existence de troubles compulsifs du comportement. Cette maladie psychique n'était pas diagnostiquée dans les années 60. Dans le dernier chapitre, il avoue ses regrets de ne pas avoir compris le handicap mental de sa mère, submergée par ses angoisses, ses tocs et sa peur de l'abandon. Ce récit aborde l'éternelle et délicate question de la filiation, de la maternité, de la relation parents-enfants, si complexe et si difficile à vivre. Richard Russo a écrit un témoignage littéraire émouvant et sans pathos, le "livre de sa mère", l'histoire d'une vie où la maladie mentale non soignée peut provoquer un immense gâchis...