lundi 16 janvier 2017

"Les Larmes"

Dès que ce roman de Pascal Quignard est sorti en librairie, je suis allée le chercher chez Garin. J'ai attendu un certain temps avant de l'ouvrir car, il faut une certaine disponibilité d'esprit pour entreprendre sa lecture pointilliste. Cet ouvrage atypique appartient à l'univers hautement quignardien : une mosaïque de fragments, de textes courts, de légendes, de rêves, d'intuitions, de repères historiques, en fait, une littérature enchantée. La trame de ce poème-roman ou roman poétique est parfois difficile à suivre sur un plan linéaire. Je vais essayer de résumer la ligne romanesque : il était une fois deux jumeaux, Nithard et Hartnid, fils de Berthe et d'Angilbert, petits-fils de Charlemagne, nés au début du IX siècle. Ils sont pourtant très différents : l'un, Nithard, devient scribe, chroniqueur de la geste des Francs. Il conseille son cousin, Charles le Chauve, abbé de Saint-Riquier. Son frère, Hartnid, "voyageait. Il voguait. Il chevauchait. Il ne restait pas en place. (...) Son nom n'était que le contraire d'un nom et il était alors complétement indifférent au monde qui n'était que le fantôme du monde." Le premier jumeau se mêle des affaires terrestres car il sera l'instigateur des Serments de Strasbourg, avec Charles le Chauve et Louis le Germanique. Ce fait historique donne naissance à la langue française, issue du latin, le 14 février 842 : "C'est alors que le vendredi 14 février, à la fin de la matinée, dans le froid, une étrange brume se lève sur les lèvres. On appelle cela, le français". Cette date mythique est pour Pascal Quignard l'origine de notre langue et il révèle tel un conteur magique, la naissance de la première œuvre de la littérature française, la "Séquence de Sainte Eulalie" en la datant du mercredi 12 février 881 à Valenciennes ! Hartnid choisit une vie de vagabondage et traque le visage sublimé d'une femme aimée. La période historique très ancienne, celle des Carolingiens, apporte un dépaysement total, un temps lointain et insondable beaucoup plus méconnue que celui d'Athènes et de Rome. Ce roman légendaire demande une deuxième lecture, une troisième, et plus, si nécessaire. Pascal Quignard exige une lecture lente, renouvelée, révélée... Je n'ai peut-être pas tout saisi du projet de ce roman mais, j'aime qu'une œuvre me résiste, m'échappe et m'intrigue... La littérature n'est pas une science, mais un état d'âme !