jeudi 2 janvier 2020

"Un monde sans rivage"

Hélène Gaudy a publié cet automne un très beau récit, "Un monde sans rivage", aux éditions Actes Sud. L'écrivaine raconte qu'elle est tombée par hasard sur cette histoire dans un musée de Copenhague. En juillet 1897, trois explorateurs s'envolaient dans un ballon à hydrogène pour découvrir et photographier le Pôle Nord. Trois mois plus tard, ils n'ont plus donné de nouvelles. Ils s'appelaient Nils Strinberg, Knut Fraenkel et Salomon August Andrée et entraient dans la légende du pays : "De ces trois hommes, l'absence avait fait des créatures mythiques, pirates fantômes, marins engloutis dont les spectres ne cessaient de sillonner les mers". En 1930, on retrouva par hasard leurs restes, des pellicules photographiques encore exploitables, du matériel divers et un journal tenu par l'un d'entre eux. Cette découverte inouïe a permis de comprendre leur errance sur cet espace sans fin, ce "monde sans rivage". Les corps ont été autopsiés et les scientifiques ont essayé pendant des années de comprendre les raisons de leur échec. A partir des photographies récupérées, l'écrivaine se saisit de cette aventure scientifique fascinante pour raconter ce périple aventureux et dangereux. Les trois hommes deviennent des personnages fictifs et pourtant bien réels. Elle leur invente une vie, un caractère, une mission, des amours, des amitiés. Pourquoi ont-ils erré sans trouver une issue dans ce monde blanc et glacial ? Ils poursuivaient leur projet scientifique en ramassant du plancton, des algues, des feuilles prises dans la glace. Leur passion pour le Pôle Nord réclamait un mental de fer dans ce milieu effrayant où la neige et la glace les engloutissaient sans cesse. Ils se nourrissaient en chassant les ours, marchaient sans cesse, s'abritaient comme ils le pouvaient. Ils étaient trompés par la banquise instable, par le brouillard épais les éloignant de la terre ferme. Ils incarnent à eux trois, l'insatiable curiosité humaine, une raison de vivre (et de mourir) pour la science de l'époque. Cet ouvrage d'une écriture dense, poétique, précise évoque l'épopée humaine avec ses victoires et surtout ses échecs. Hélène Gaudy écrit : "Rien n'a changé depuis leur disparition : il faut percer les mystères, inventer des vies, chercher au fond des mers les boîtes noires englouties, et il faut être nombreux pour le faire, une autre chaîne, qui ne s'élève pas vers le ciel mais creuse dans les profondeurs, une chaîne souterraine, faite de scientifiques, d'internautes, d'écrivains, de curieux qui trouvent dans l'enquête un moyen détourné de fouiller en eux-mêmes, de gratter là où ils ne savaient pas qu'il y avait eu une plaie". Un roman original, d'une belle écriture, d'une dimension universelle et qui comblera les amateurs du Pôle Nord, de l'aventure arctique, des ours blancs et d'une catégorie d'hommes hors du commun. A découvrir sans tarder.