mardi 27 avril 2010

La lecture numérique

Dans le milieu où je travaille (une BU), il existe une tension entre les amoureux passéistes du livre "papier" et les ultra-subjugués du tout numérique. Comme si ces deux mondes commençaient à s'affronter et à ne plus se comprendre... Je me range pour ma part du côté de notre cher livre en "papier", (voir l'ouvrage d'Umberto Eco "N'espérez pas vous débarrasser des livres") sans pour autant négliger les informations numériques. Je peux parcourir vite et brièvement la presse sur le net (je le fais tous les jours); je peux lire des poèmes sur le site de Gallica (BNF) quand je veux retrouver vite un poème de Mallarmé, Rimbaud, Nerval ; je m'intéresse de très près aux blogs d'auteurs, aux sites d'éditeurs, de libraires, des revues littéraires... Et pourtant, quand je me couche le soir, je prends un livre dans mes mains et ce livre m'accompagne dans ma fin de journée d'une façon sereine et silencieuse. Eclairé par une lampe adéquate, le livre se laisse toucher, dégage une odeur de papier, cet objet si familier peut tomber par terre sans dégâts, peut s'ouvrir immédiatement, se fermer, et ne remplacera jamais un e-book qu'il faudra allumer, qui sera froid, anonyme et sans couleurs, qui tombera en panne comme tous les ordinateurs... Je ne pense pas acquérir ce nouveau caprice de notre société de consommation. Quand je tiens un ouvrage dans les mains, je n'ai pas besoin de savoir que j'ai des centaines de titres à lire dans un même outil ! Encore un rêve absurde et inutile des concepteurs-informaticiens qui veulent tout faire, tout dire, tout rêver en un seul clic !!! Il faudra résister à cette vague anti-papier : sauvons nos bouquins uniques et merveilleux et même si nous devenons une minorité, gardons le cap et pensons au film de Truffaut "Fahrenheit 451" où des lecteurs passionnés apprenaient par coeur les livres pour qu'ils ne disparaissent jamais de nos mémoires !

L' avenir de la lecture

J'ai remarqué dans le quotidien Le Monde un article mentionnant un numéro de la Revue des 2 mondes. je le livre tel quel pour méditer sur l'avenir de la lecture et surtout lire la revue en question que j'espère trouver dans une librairie de ma ville (ce qui n'est pas sûr du tout !):

"Si la lecture n'a jamais été aussi accessible, tant elle occupe aujourd'hui nos écrans, il faut avoir la sagesse de revenir sur ses fondamentaux pour mieux cerner sa mutation. La révolution numérique appliquée à la lecture est-elle aussi décisive qu'on le dit ? Est-ce seulement un changement de support ? A-t-elle des incidences plus profondes sur la transmission d'un texte ? Tel est l'enjeu de la dernière livraison de La Revue des deux mondes, qui lui consacre un dossier dont la variété des points de vue donnera au lecteur l'impression d'être branché à une prise multiple.

Revenir au degré zéro de la lecture, c'est d'abord se souvenir que, étymologiquement, lire (du latin legere) signifie recueillir. C'est l'acte - " le plus mystérieux, le plus simple, le plus irréductible ", comme l'écrit le critique littéraire Michel Crépu - par lequel le monde est mis à distance. Celui qui s'adonne à cette opération solitaire aura le privilège de mêler la compréhension à la méditation, expérience que le chaos du réel ne rend pas possible(...) A juste titre, l'écrivain Pietro Citati rappelle ce moment décisif de l'histoire intellectuelle, lorsque la lecture silencieuse se substitua à la lecture sonore, au début du Moyen Age. Pour les Grecs, en effet, la lecture à haute voix en constituait la " forme originelle ". Dans le recueillement silencieux, c'est l'expérience d'une rencontre plus directe avec le texte, sans médiation, pour les moines, que la lecture des livres sacrés rapprochait de Dieu.

Puis vint le temps, pour Citati, où la lecture, à la fin du XVIIIe siècle, ne fut plus le privilège du sacré ou de la philosophie, mais disponible à tous, sous toutes les formes possibles : " Ces lecteurs n'étaient plus seulement les moines, les lettrés, les érudits, mais les juges, les dames de qualité, les hôtesses, les femmes de chambre (...). " Accessible à un plus grand nombre, cette deuxième révolution du livre semble annoncer les prémices de sa dégradation : lire devient un loisir, un moyen de passer le temps, une " haute trahison envers l'humanité ".

Le troisième temps de la lecture est-il celui du numérique ? Que ni Pietro Citati, ni Alberto Manguel, auteur d'une Histoire de la lecture (Actes Sud, 1998), ne le mentionnent dans leurs articles, en dit long sur leur scepticisme. Cette révolution menace-t-elle de saper l'aura de la lecture ? Il faut sans doute nuancer. Car ce livre numérique est la poursuite d'un fantasme de tous les temps : celui d'aboutir au livre total qui contiendrait tous les autres, avec ce rêve sans doute inavoué de vouloir se substituer au monde. Cependant, ce rêve semble avoir pris forme. Et, dans l'épaisseur de la Toile - seconde vie pour un grand nombre d'individus - un livre peut-il encore être bien lu sans que le lecteur soit aveuglé par les " paillettes superficielles et toutes les fausses séductions " (Alberto Manguel) qui saturent la réalité virtuelle ?

Patrick Bazin, conservateur général des bibliothèques, prend la mesure de ce qui menace la lecture (zapping digital, perte des référents stables...), mais il admet aussi que cette mutation est une ouverture vers " un monde plus lisible " et une extension du champ de la connaissance : " Pendant des siècles, nous avons lu le monde (...) à travers l'interface de l'écriture, et, surtout, à travers sa forme la plus aboutie, le livre. Avec le numérique, sa règle a été supplantée par une nouvelle forme de manipulation des symboles (...) plus proche de l'expérience concrète et de l'intuition. "
Amaury da Cunha
Revue
des deux mondes
Lire
au XXIe siècle