mardi 11 mars 2014

"Le don du passeur"

J'ai déjà évoqué l'essayiste Belinda Cannone dans mon blog car j'avais beaucoup apprécié "L'écriture du désir", "Le sentiment d'imposture" et "La tentation de Pénélope". En 2013, elle a écrit "Le don du passeur", un récit très délicat sur la vie de son père, d'origine sicilienne. "Ce drôle de bonhomme, ce bonhomme qui m'a aussi légué la joie, le désir d'intensité et la passion de vivre". Le récit autobiographique de Belinda Cannone se veut une étude approfondie de la vie de son père. Belinda Cannone a prévenu sa mère et sa famille qu'elle allait écrire un livre sur ce père disparu et surtout évoquer cette figure paternelle dans son authenticité et dans son amour de la liberté. Il avait rempli des carnets où il notait ses pensées, ses sentiments que Belinda nomme "affects". Passeur, cet homme a transmis à ses enfants le don de s'émerveiller devant la nature, les enfants, la vie. Il leur disait "Regarde, regarde ! Ecoute ! Sens ! Mais aussi, Imagine ! Son père était l'original de la famille, il croyait à l'éducation, au progrès et cet héritage précieux, Belinda l'analyse et le "décortique" pour montrer l'influence capitale du comportement des parents sur la vie de leurs enfants. Le portrait paternel se dessine par anecdotes successives avec un rappel permanent de la propre vie de l'auteur. Elle nous confie donc en même temps l'histoire de sa relation fille-père et se pose la question que tous les enfants doivent se poser : comment connaître, comprendre, appréhender nos "géniteurs" ? Elle va se demander si son père avait une vie "ratée" et sur quels critères baser cette intuition ? Elle écrit : "Je savais depuis toujours que la mort de mon père me causerait, en plus de la douleur de sa perte, une souffrance particulière, provoquée par l'association de son innocence et du ratage général de sa vie". Elle le compare souvent à "l'Idiot" de Dostoïevski tant son originalité, sa générosité et aussi son irresponsabilité pouvaient provoquer des tensions dans la famille. Plus loin, elle avoue avec une franchise étonnante : "Car il fut mon père et mon éducateur, mais aussi un vieil enfant inadapté qui me broyait le cœur". J'ai rarement lu des témoignages de cette qualité, et cette tentative réussie de portrait-mosaïque est une exploration de la complexité psychologique d'un homme fragile, un père attachant, un personnage de roman comme on peut tous et toutes le devenir...