mardi 14 novembre 2023

"Les Heures heureuses", Pascal Quignard, 2

La Nature tient un rôle majeur dans l'univers de Pascal Quignard : "La Nature est la plus belle forme du Temps, plus profonde que la Langue et plus vaste que l'Etre". Dans ce douzième tome, l'écrivain utilise les chiffres et les dates pour mesurer le Temps, "aux commencements et aux départs". L'écrivain possède une "religion" particulière dans le sens d'un sacré laïque, celle des livres (d'où mon engouement pour son œuvre globale) : "On se cache dans l'angle des rideaux, près de la fenêtre, dans la compagnie des livres, c'est à dire, on se cache dans les souvenirs du monde". Il se souvient de sa collègue écrivaine, Emmanuelle Bernheim à qui il rend hommage qui se passionnait pour la nage en mer en songeant à un de ses personnages emblématiques, le marin Boutès qui plonge dans la mer tyrrhénienne pour rejoindre un infini éternel. Il écrit sur la fascination de l'eau : "Moi, je regarde la mer et plus rien. Je regarde la mer. L'Immense. L'immense force d'origine. Joie. Vague. Marée. Wogue. Wellen. Tempête". Pascal Quignard ressemble à un moine copiste d'esprit et de corps qui vivrait dans une abbaye italienne, fou de manuscrits et d'enluminures. Sa culture universelle traverse les siècles et les continents. Il évoque des anecdotes sur les temps antiques et Marc Aurèle devient notre contemporain. Il parle de la civilisation chinoise qu'il rend proche de nous. Dans la littérature actuelle, son univers de grand lettré me ravit tout particulièrement. L'écrivain cite ses confrères en pensée et en toute amitié, de Montaigne à La Fontaine, de Bergson à Freud, les moralistes du XVIIe, des compositeurs, des peintres. Ces références parfois peuvent donner un certain vertige mais, dans sa suite du "Dernier Royaume" aux douze étapes, Pascal Quignard ne cesse de revivifier la sève culturelle de la littérature. Un hommage aux Anciens, un retour aux Antiques sans oublier les Modernes. Nature et Culture, deux sujets étroitement mêlés dans ce texte profond, complexe et quasi "testamentaire". Je cite une des phrases les plus vraies sur la mer que j'aime tant : "La mer est la chose perdue qui sans cesse revient. Sans cesse elle se tient à l'amont de la vie. C'est du ressac pur". Le "Bon-heur" et le "Mal-heur", une somme d'heures au fond heureuses, nous confie l'écrivain, un écrivain "anachronique", obsédé par le Temps, comme Marcel Proust et Marguerite Yourcenar, des influences heureuses...